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saison 5, Chapitre 25 « Nåtalit - La fête de la naissance du Sauveur » saison 5, Chapitre 25

À l’approche de Nåtalit, la fête de la naissance du Sauveur, tout s’était brusquement accéléré.

Tandis que le pays, fidèle à cette tradition qui la rassurait en ces temps incertains, se préparait allègrement à la fête, la première ébauche de la nouvelle constitution de Sveeriagë voyait le jour.

Elle ne regroupait pas moins de quatre-vingt-dix essais, condensés sur trois rouleaux de dix mètres, qui réunissaient les plumes de la noblesse, du clergé et du tiers-état. Les rouleaux avaient été présentés pour étude à la cour constitutionnelle temporaire, composée des conseillers des trois états ; et il n’avait fallu pas moins de cinq versions corrigées, de nombreuses nuits de veille et des heures de délibérations pour que tous approuvent cette nouvelle convention.

La nuit de Nåtalit , elle était adoptée.

Pour Magnus, Fleur de Pivoine et Marika, cela avait été un soulagement ; et ainsi chacun avait pu quitter l’étude et honorer les obligations propres à sa société.

Pour cette sainte nuit, la cathédrale de Lathium avait souffert trois mois de réhabilitation intensive, permettant de reconstituer la chapelle axiale consacrée à la Vierge, la partie est de la nef et l’abside qui avaient soufferts de la chute de la flèche.

Ne restait que la charpente qui laissait le ciel se substituer à la voûte originellement peinte de mille figures saintes, offrant aux fidèles un tableau majestueux d’astres scintillants et de nimbes bleutées vers lequel s’envolaient les nuées d’encens.

Magdala se rappelait le plafond peint de sa petite chapelle. Sans nostalgie aucune, seulement avec cette affection mélancolique qu’elle portait à celle qu’elle était alors.

Elle avait en quelques mois l’impression d’avoir vieilli d’une dizaine d’années, comme si le temps hors de son sanctuaire était pressé de s’écouler.

Parfois, assise le soir dans sa cellule, lorsqu’aucune rai de lune ne traversait le vitrail, qu’aucune prière, qu’aucun chant ne dérangeaient sa solitaire retraite, elle se demandait si tout était bel et bien arrivé, ou si toutes ces aventures n’étaient que le fruit de son imagination folle et affamée.

Avait-elle vraiment défié la puissante Eglise de Lathium ? Avait-elle véritablement refusé son destin, répudié son statut de sainte, abandonné son nom ? Avait-elle véritablement rencontré Ana ? Existait-elle seulement, ou était-elle un fantasme qui l’accompagnait, projeté par son esprit dément ?

Assaillie par tant d’interrogations, Magdala, alors, gardait les yeux ouverts dans le noir. Fixait l’obscurité. S’écoutait respirer, vibrait au son des battements fous de son cœur. Elle passait fébrilement ses doigts fatigués sur le tissu rêche de son voile, humait les effluves bruts qui s’y étaient accrochés, mélange d’herbe humide, de boue, de mousse, de sang, de fleurs.

Puis l’aube venait, revêtu de son éternel habit rosâtre, chassait les ombres du bout de sa timide lanterne. Magdala quittait dès lors ses appartements, traversait le cloître, savourait les balbutiements du jour nouveau, les derniers vestiges d’une nuit mourante. Parfois, elle ramassait quelques fleurs dans le jardin du couvent. Et enfin, après ces simples rituels qui la rassuraient, elle pénétrait dans l’infirmerie.

La réalité la rattrapait à ce moment-là.

Car face au visage défiguré d’Ana, elle ne pouvait ni l’ignorer, ni la rejeter.

Elle avait vécu tout cela.

Elle avait renié sa lignée et abdiqué son nom.

Tenu tête à la Sainte Eglise de Lathium.

Elle souriait alors, et déposait sur le front de son amante ses lèvres brûlantes.

Malgré ses tourments, malgré cette inquiétude qui lui creusait le sein, malgré les regrets qui bridaient cette joie incapable d’éclater, Magdala avait savouré sa première célébration de Nåtalit.

Jamais elle n’avait ressenti un tel plaisir, ni entendu d’aussi beaux chants. Jamais elle ne s’était sentie en telle communion avec ses semblables, louant l’Eternel de tout son cœur, chantant la venue du Sauveur à toute voix.

Oubliées alors les nombreuses fêtes de la nativité passées dans le solitaire silence de son sanctuaire. Oubliés, les colifichets rapportés de Lunthveit par le Père Erik pour marquer l’importance de ce jour et lui plaire. Toute son âme tendait vers le Ciel, portée par l’odeur délicieuse de l’encens.

Elle avait porté la main à l’amulette rouge dont elle ne séparait jamais, gardé l’autre serrée dans celle de Moea.

Moea qui, pendant ses longs mois de désordre, n’avait eu de cesse de rester à ses côtés ; cette nuit bénie demeurait fidèle à un engagement connu d’elle seule et duquel elle ne comptait se détourner. Moea, réalisait Magdala en cette sainte nuit, avait été un roc inflexible tout l’automne. Trois mois durant lesquels elle avait tenu sa main, gardé son côté, veillé ses rêves parfois, compté les heures, guetté les doigts rosées de l’aurore, uni aux siennes ses prières -peu importait à qui elle les adressait.

Une immense, une chaude gratitude s’était épanouie au cœur de cette allégresse festive, la transportant au confins d’elle-même. Un bras l’avait étreinte, gardée serrée contre un sein rassurant, bien connu, sanctuaire de consolation de ses derniers temps.

Magdala avait levé les yeux. Moea la couvait du regard. Demeurait dans ses iris chauds cette obscurité qui parfois poignait, n’échappait jamais à la vestale. Elle se détournait alors, non pas par manque de compassion mais par crainte que ces ténèbres-là, ceux-ci qu’elle exilait férocement aux confins d’elle-même, ne l’engloutissent.

Elles demeuraient alors sans se voir, fixant un point au hasard : une ombre, une lueur, un vitrail, une fleur ; en proie aux regrets, se laissant étrangler par les remords, elles attendaient seulement. Ces derniers mois, attendre était devenu une habitude complice, un moyen de rendre plus ténus les liens qui les avaient unies par la force des choses.

Au passage de la croix de procession éternellement couronnée, portée par un servant d’autel à peine plus vieux qu’elle, elle s’était agenouillée, plus par fatigue que par réelle dévotion.

Elle se sentait lasse depuis quelques temps. Epuisée. Les nuits étaient trop courtes, les jours…interminables.

Elle s’étiolait. Elle ne pouvait le nier. Tout son corps le lui faisait sentir. Pour ne pas s’affoler, elle mettait cela sur le compte de son manque d’amour, son besoin d’amour, l’absence de son Ana. Lui revenait, comme pour confirmer son raisonnement fou, ce conte que Moea lui avait raconté, celui de deux amants se donnant la mort, incapables de survivre séparés par la haine de leurs familles respectives. Elle avait soif d’Ana comme Ana avait soif du Ciel.

Elle, elle regardait seulement d’un œil désabusé la croix qui déjà s’éloignait sur le parvis. La belle euphorie s’en était allée.


Texte publié par Yukino Yuri, 13 décembre 2022 à 16h09
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