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Par-Delà les Ténèbres - 1 - Ombeline
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tome 1, Chapitre 5 « L'effacée » tome 1, Chapitre 5

Cher Journal,

Une chose m’inquiète depuis que Mr Foxy et moi sommes revenus du désert de glace. Je suis persuadée de l’avoir vu se transformer en loup. Je n’ose pas le lui demander, car je ne sais pas comment je réagirais à cette nouvelle surprise. Je préfère croire que mon esprit m’a joué des tours.

Alexis m’a accidentellement informée que des Épreuves m'attendent en fin d'année. La première aura lieu dans six mois, juste avant mon anniversaire. Cent-quatre-vingt-trois jours pendant lesquels je suis supposée rattraper le retard que j’ai sur des sorciers qui ont grandi avec leur don. Pire, si j’échoue, on m’enlèvera ces pouvoirs que je découvre à peine.

Je n’ai pas vu Karelle et Sibyl ces derniers jours, apparemment, madame Jennas leur a fourni tellement de corvées à achever qu’elles n’ont pas le loisir d’importuner les autres étudiants. Dans les bonnes nouvelles, M. Anaxander, le prof d’Histoire et théorie de la magie m’a informée que j’avais, étant donné que j’arrivais en cours d’année, le droit d’accéder à la bibliothèque comme tous les élèves de première année. Bon, je dois exploiter cette possibilité pour compléter un devoir d’ascendance. Tout sorcier doit connaître les antécédents de sa Lignée, m’a-t-il expliqué. Aussi, chaque étudiant a été chargé quelque temps après son introduction à l’académie de travailler sur son arbre généalogique. Soit. L’idée de rester le nez plongé dans les bouquins m’enthousiasme davantage que de retourner dans la classe du professeur Suc et j’apprécie la pensée d’en savoir plus sur cette branche de ma famille.

De jour, la bibliothèque parait moins menaçante. Le harfang dort dans son nichoir bien au-dessus des étagères et la bibliothécaire, mademoiselle Boyd, se montre plus qu’aimable avec Ombeline. Elle l’aide à trouver plusieurs énormes volumes grâce auxquels la jeune fille peut commencer à retracer son arbre généalogique. Elle parvient également à en apprendre plus sur les précédents sorciers et sorcières de sa Lignée. Elle découvre ainsi que son patronyme n’en est pas un puisqu’il se transmet par les mères — un matronyme alors — et pas par les pères, comme il est généralement d’usage chez les non-sorciers. D’ailleurs, les sorciers utilisent-ils un nom pour ceux qui ne possèdent pas de pouvoirs ? Doit-elle les appeler « Moldus » ? Ombeline rit doucement à cette pensée. Elle doit tout de même se renseigner. Le don ne semble se transférer que de mère en fille au cœur de leur lignée. Par ailleurs, aucun garçon n'est né dans la famille depuis des générations.

Tout en prenant des notes, Lily joue avec le bijou à son cou et l’inscription au dos : E. A., lui revient à l’esprit. Sa mère lui a dit que le collier perdure dans la famille depuis longtemps. Pourtant, si leur matronyme est Rives, il parait impossible qu’un « A » figure sur le médaillon de la lignée. À moins qu’il ne vienne du côté de son père, mais il n’aurait alors pas été en possession de sa maman…

Dans l’arbre généalogique, Ombeline remarque aussi un blanc, un nom a été supprimé dans le premier quart du dix-septième siècle.

Alexis la rejoint pendant qu’elle prend des notes et commence à lui parler tout bas avant de se faire taper sur les doigts au bout de cinq minutes par la bibliothécaire. Lily pouffe et on lui accorde un regard noir. Alexis lui adresse un signe en lui désignant la porte. Estimant posséder tout ce dont elle a besoin, elle opine du chef, referme les énormes livres et les rapporte à mademoiselle Boyd.

La pluie tombe à torrents ce jour-là — pas du fait de Lily cette fois — aussi se réfugièrent-ils dans une des alcôves du premier étage. Lily explique à Alexis sa découverte et lui montre le médaillon. Le garçon parait sceptique, retourne celui-ci entre ses mains et secoue la tête.

— Ombeline, il est magnifique, mais je n’observe rien en particulier. Il est peut-être protégé par un sortilège dédié à ta Lignée dessus.

— C’est là. Insiste Lily en pointant les initiales du doigt.

Mais rien à faire, Alexis ne peut pas les voir. Que ces histoires de magie sont compliquées ! Dépitée, la jeune fille remet le médaillon autour de son cou et manifeste sa curiosité à propos du blanc dans son arbre. Pourquoi effacer une personne ? Auprès de qui pouvait-elle en apprendre plus ? Elle a repéré le nom de sa mère dans les volumes de sa bibliothèque, il y est dit que c’est une illusionniste. Enfin, c’était… L’on a ajouté qu’elle avait décidé de couper les liens avec le Convent et vivait en compagnie d’humains en ayant accepté de ne plus utiliser ses dons. Comme elle n’est pas très puissante, le Conclave a accédé à cette demande.

Perdue dans ses pensées, Ombeline observe le cœur en dentelle d’argent. Les mystères ne cessent de s’accumuler. Elle soupire, puis sursaute quand Alexis tend la main pour effleurer sa joue.

— Hey ! Ne t’inquiète pas, on va trouver. Je ne peux rien voir de gravé dessus, mais je te crois sur parole. E. A. tu dis ?

Ombeline hoche la tête. Elle regrette tellement sa vie d’il y a quelques semaines, bien moins complexe malgré les disputes avec la pimbêche de son école. Puis elle croise le regard rieur d’Alexis et songe qu’elle n’est pas si malchanceuse que ça. De son côté, Alexis a réfléchi à la question.

— Écoute, s’il y a un trou dans l’arbre généalogique, c’est probablement que l’une de tes ancêtres a fait quelque chose de suffisamment répréhensible pour qu’on la gomme purement et simplement. Cela dit, ils ne peuvent pas l’avoir effacée de toutes les archives. Si on arrive à isoler la période, on doit pouvoir partir de là pour trouver les évènements qui ont eu lieu et déterminer de qui on parle.

— Tu as raison. Je ne vais pas me décourager dès maintenant tout de même ! décide Ombeline en reprenant du poil de la bête.

— Exactement ! C’est ça qu’on veut  ! s’exclame Alexis, enthousiaste, en lui serrant les mains.

Ombeline adresse un timide sourire au garçon et entend un bruit de bris derrière eux. Elle se retourne pour voir une silhouette aux cheveux blond-platine s’éloigner d’un pas furieux. Au sol gisent des éclats de poteries. Sibyl. Lily lève les yeux au ciel et reporte son attention sur Alexis, qui n’a rien remarqué. Pourquoi cette fille lui tient-elle rancune ?

L’adolescent la tire sur ses pieds et la ramène à la bibliothèque.

— On va commencer par chercher nous-mêmes, murmure-t-il à son oreille en franchissant les larges portes, si elle a été effacée, il y a peu de chance que la bibliothécaire veuille bien nous parler de cette période.

— Tu as raison, répond Ombeline sur le même ton, troublée par la proximité du garçon. Je tente dans la section histoire, tu fouilles dans la rubrique journaux ?

Alexis acquiesce et s’éloigne. La branche historique de l’Académie ne lui apprend pas grand-chose. Il est bien question d’une « rupture » trois cents ans plus tôt, mais il n’y a aucune précision, aucun détail qui pourrait l’aider. Autant chercher une aiguille dans une motte de foin. L’esprit de Lily vagabonde. Elle se demande si les sorciers inventent leurs propres expressions : chercher une baguette dans un chaudron ? Malgré elle, la jeune fille s’esclaffe. Un « chhhhut » exagéré lui parvint du fond de la pièce.

L’adolescente pince les lèvres et rabat la couverture du recueil inutile qu’elle tient pour déambuler entre les rayonnages, espérant y puiser la créativité. Géologie, généalogie, sphères, histoire des gnomes, disparition des fées… on ne manque pas d’ouvrages… Ombeline clôt les yeux et prend une grande inspiration. Elle laisse ses doigts errer sur les reliures. Peut-être… Oui, il lui semble percevoir quelque chose. Son instinct la guide et elle referme la main sur un livret qui peut facilement passer inaperçu dans cette immense bibliothèque : Membres de la sphère d’illusion. Elle hausse un sourcil.

— Voyons ce qu’on peut en tirer, chuchote la jeune fille pour elle-même

Elle feuillette le livre. Personne aux initiales E. A., en revanche, Ombeline y trouve sa mère, Claire Rives. Elle a fréquenté l’Académie des années plus tôt. Elle avait sensiblement le même âge que Lily et y est demeurée quelques années après avoir validé ses trois années règlementaires. Elle y a en outre pratiqué le métier d'enseignante.

Ombeline jette un œil à Mr Foxy, perché sur son épaule. Lequel parait aussi surpris qu’elle. Il a rencontré la famille de Lily quand celle-ci était enfant, sa mère avait alors déjà rompu tout lien avec le Convent.

— Bon… ça ne m’avance pas beaucoup n’empêche. Tentons le tout pour le tout.

Prenant son courage à deux mains, l’adolescente se dirige vers le bureau de la bibliothécaire. Elle affronte le regard perçant du harfang qui s’y est perché, et recule un peu pour ne plus voir son bec dans son champ de vision direct. Elle n’a aucune volonté de commencer une carrière de pirate borgne.

— Madame Boyd ? hèle-t-elle.

— Mademoiselle, grince la vieille fille. Comment puis-je vous renseigner miss Rives ?

— Pardon, oui ! Eh bien… Monsieur Anaxander m’a donné ce devoir, vous savez, celui de l’arbre généalogique, mais… eh bien, il y a un trou.

— Je ne vais pas faire tes recherches à ta place jeune demoiselle ! s’insurge la bibliothécaire.

— Non, non, bien sûr, ce que je veux dire c’est qu’un vide se trouve dans les archives, une de mes ancêtres n’y est pas et malgré mes tentatives, je n’arrive pas à trouver son nom.

Mlle Boyd parait soudain gênée.

— Oh… je vois, lâche-t-elle. Sais-tu à peu près quand cela s’est produit ?

— Il y a environ trois siècles, ici même, indique Ombeline.

— Oh… répète mademoiselle Boyd. Ce fut une période sombre pour le Convent. Votre ancêtre a probablement été effacée.

La bibliothécaire la scrute comme si elle l’apercevait pour la première fois, baissant le nez et plissant les yeux par-dessus ses lunettes. Cela met Lily mal à l’aise.

— Et il n’y a rien que je puisse faire pour trouver des renseignements à son sujet ?

— Non ! refuse violemment mademoiselle Boyd. Si on l'a effacée, ainsi que les informations sur cette période, c’est que vous autres élèves n’avez pas à accéder à cet évènement ! Le professeur Anaxander ne vous en tiendra pas rigueur. Je peux vous écrire une note si vous le souhaitez.

— Je me débrouillerais, madame, merci quand même. Répond Ombeline, surprise par la véhémence de la bibliothécaire.

La vieille femme ne prend même pas la peine de la corriger, manifestement perturbée. Elle regarde la jeune fille s’éloigner d’un air sombre. Se pouvait-il… ? Le harfang à ses côtés pousse un cri strident.

Alexis n’est pas plus chanceux de son côté et quand sonne l’heure de retourner chacun dans leur dortoir, ils ne sont pas plus avancés. Cela étant, la réaction étrange de la bibliothécaire attise la curiosité de Lily. Dénicher des informations semble difficile, mais il suffit qu’elle trouve un point de départ concret. À partir de là, le fil se déroulerait de lui-même. Du moins, c’est ainsi que son père lui a appris à faire des recherches.

Loin de se décourager, elle s’en ouvre à Eléa quand elle parvient au dortoir, profitant de l’absence de Karelle pour papoter avec sa compagne qui est un vrai puits de science sur tout ce qui concerne l’Académie. S’il avait existé un rôle de préfet comme dans Harry Potter, sa camarade aurait probablement postulé.

— Effacée tu dis ? glapit la petite blonde.

Ombeline sursaute et lui fait signe de baisser le ton. Si ça ne plait à mademoiselle Boyd, nul doute qu’on l’empêchera de fureter ailleurs.

— Effacée ? Reprends Eléa plus bas. Comme Alexis te l’a expliqué, cette femme a dû commettre une sacrée erreur pour que le Convent en arrive là. Mademoiselle Boyd n’a rien voulu te dire de plus ? Mmhhh, si tu n'as rien trouvé à la bibliothèque, n'espère pas trop. La seule qui pourrait avoir des informations sur des choses qui se sont passées il y a trois cents ans, c’est madame Jennas, ou peut-être M. Anaxander. Mais je suppose que tu n’as pas envie de le leur demander ? On pourrait tenter un sort de divination, mais franchement, ce n’est pas ma tasse de thé. La meilleure dans ce domaine, c’est Sibyl, ou alors il faut s’adresser aux deuxièmes ou troisièmes années…

— Sinon, les interrompt la voix de Karelle, il reste la grotte aux murmures.

Ombeline fronce les sourcils. Depuis quand cette peste est-elle debout à la porte à les espionner ? Eléa pâlit à la suggestion de Karelle.

— La caverne est réputée pour abriter les esprits séculaires des sorcières. Si les informations que tu cherches ne sont pas écrites dans les livres et que tu ne souhaites pas demander aux professeurs, les anciennes sauront. Insiste Karelle.

— C’est trop dangereux ! proteste Eléa.

— Je te rappelle que la dernière fois tu m’as jeté entre les griffes d’une déesse maléfique avec ta copine Sibyl. Remarque Lily, suspicieuse.

— Euh… je suis désolée, je ne pensais pas qu’elle entendait faire ça. Elle m’avait dit qu’elle voulait te faire une blague, te perdre dans les jardins. Je n’avais aucune idée qu’elle comptait t’envoyer dans cet endroit maudit. Je… je ne suis pas méchante, tu sais. C’est juste que Sibyl est populaire et… personne ne m’enquiquine tant que je suis amie avec elle.

— Mmpphh, respire Ombeline. Qu’est-ce que tu peux me dire sur cette grotte Eléa ?

— C’est dangereux. Répète la blondinette, obstinée.

— Tu ne vas pas t’y mettre à ne pas vouloir me répondre toi aussi ? Je pensais que je pouvais compter sur toi, ajoute sournoisement Lily.

Eléa lui jette un coup d’œil vexé.

— Comme le dit Karelle, elle abrite les âmes des plus puissantes sorcières du Convent, du moins celles qui n’ont pas été bannies. Elles savent tout ce qui a été et ce qui sera d’après ce que l’on raconte. Mais ce sont des esprits, elles essaieront de t’attirer à elles et t’empêcher de partir.

— Il y a un moyen de se protéger ? Questionne la demi-sorcière, prête à tout pour tirer cette histoire au clair.

***

Eléa est catastrophée par la proposition de Karelle. Il parait invraisemblable de faire confiance à cette peste, c’est l’acolyte de Sibyl depuis toujours. La grotte aux murmures. Pourquoi pas le miroir des âmes aussi ? Eléa se mord la lèvre. Surtout, ne pas parler de cet artefact à Ombeline, elle chercherait à s’en servir tant elle veut connaître la vérité. Ce serait encore plus dangereux.

En théorie, il est possible d’entrer et sortir de la caverne, cela a déjà été accompli, mais… pas par une sorcière totalement inexpérimentée qui ne maitrise pas une once de sa magie ! Doit-elle en dire plus à Lily ou la laisser dans l’ignorance ? Ce choix tourmente Eléa. Lui en dire plus, c’est soutenir son projet. Si Ombeline se fait attraper et qu’elle indique les noms de celles qui l’ont aidée, qui sait quelle punition l’attendra ? Elles ne se connaissent pas suffisamment pour qu’Eléa lui fasse une confiance aveugle.

La petite blonde soupire en entortillant une boucle de cheveux autour de son doigt. Quelle plaie ! Eléa réfléchit à ce qu’elle maîtrise à propos de la grotte. On y trouve les ossements des plus puissantes sorcières du Convent, ce qui lie leurs âmes à l’endroit. Ni bons ni mauvais, les esprits qui y dorment sont toutefois colériques et emportés. Certains sont malicieux. Aucun n’a plus la notion de bien ou de mal. Ils répondent souvent par énigmes, aussi, chaque mot possède son importance.


Texte publié par JenniferDaina, 21 septembre 2020 à 10h29
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