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Par-Delà les Ténèbres - 1 - Ombeline
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tome 1, Chapitre 3 « Le Sortilège » tome 1, Chapitre 3

Cher journal,

Mr Foxy parle ! Mon furet est doué de parole ! Il m’a même avoué qu’il portait en réalité un autre nom : Wulfric, un nom très ancien d’après lui. J’en suis tombée de ma chaise ! Mais si ce n’était que ça… Mes parents ne m’ont pas envoyée n’importe où, l’Académie Jennas n’est pas juste une école privée, elle appartient à ce qu’ils appellent un Convent, un regroupement de sorciers si j’ai bien compris et je suis supposée apprendre à me servir de mes « dons » ici.

J’ai cru que c’était une blague tout ça, mais la directrice a fait apparaître une flamme au creux de nos mains sous mes yeux… J’en ai même ressenti la chaleur…

Ombeline reste dans les jardins aussi longuement qu’elle peut. Elle finit par se calmer. Doucement, l’orage et le mauvais temps semblent décliner avec sa frayeur. Tous les éléments paraissent soudain s’emboiter. Les évènements des derniers mois, les accidents qui surviennent en sa présence. Et puis, elle ne peut nier ce qui est arrivé dans le bureau de la directrice, pas plus que le fait indéniable que Mr. Foxy — ce traitre ! — sait parfaitement s’exprimer comme un être humain.

Elle se rend bien compte qu’elle ne peut pas rester éternellement dans ces jardins, mais une part d’elle-même l’espère, aussi résiste-t-elle jusqu’à ce que la nuit tombe. C’est finalement la faim et le froid qui l’obligent à regagner l’abri de l’Académie. Frissonnante, elle essaie de se retrouver dans les couloirs. À l’heure où elle remet le pied dans le bâtiment, il semble que tous les étudiants se dirigent vers le même endroit. Un coup d’œil sa montre lui signale que c’est l’heure du repas, aussi suit-elle sans trop de réticences le mouvement général.

Le réfectoire est une salle impressionnante. Ombeline se demande en arrivant à l’entrée — pour quel genre de créature, une porte si haute a-t-elle été conçue ? — combien d’élèves exactement abrite cette Académie ? Elle hésite, reste plantée un moment à son poste. Elle regarde, fascinée le ballet des élèves et des professeurs qui rejoignent leurs tablées. Tous semblent parfaitement savoir où se diriger, comme s’il y a une place définie pour chacun. Elle se mord la lèvre, dans son lycée, l’on s'assied où l’on souhaite avec son groupe d’amis, peu importe que les étudiants de terminale, de première et de seconde soient les uns à côté des autres. Tant qu’il y a un espace disponible, on s’installe, et sinon il faut attendre. Et où donc se trouvent les plateaux ? Les gens qui servent et préparent les repas ? Nulle part, elle ne voit un distributeur d’eau. Ombeline déglutit, il doit y avoir ici au moins deux cents élèves. Et elle ne sait absolument pas où se mettre.

Elle entend un bref claquement de mains et s'aperçoit que ces deux centaines de paires d’yeux — sans compter celle des professeurs — sont tournées vers elle. Au fond de la salle, madame Jennas essaie d’attirer son attention depuis plusieurs minutes manifestement. Elle lui fait signe d’avancer. Sur son passage, Lily sent qu’on la dévisage. Des murmures s’élèvent autour d’elle. Elle saisit des chuchotements « C’est elle… » . Elle a l’impression de s’empêtrer dans une sorte de toile, que son esprit s’englue. Il lui semble qu’on la touche alors que tous les élèves sont assis. Elle a tout à coup du mal à respirer. La panique l’envahit et le bout de ses doigts la picote. Au loin, l’orage se remet à gronder.

- Par la Triade, cela suffit !

La voix de madame Jennas claque comme un coup de fouet dans la vaste pièce et Ombeline titube, soudain libérée d’un poids.

- Psssst. Lily ?

La jeune fille tourne la tête. Sans s’en rendre compte, elle a traversé la plus grande partie de la salle et sur la tablée à sa droite, Eléa lui fait signe. Soulagée de trouver un visage connu — et amical —, Ombeline se glisse rapidement vers sa camarade de chambrée et s’installe à côté d’elle. La jeune fille est à peine remise de ses émotions que madame Jennas prend la parole.

- Mademoiselle Rives a rejoint l’Académie ce matin. Elle commencera sa formation de première année dès demain. J’espérais que vous sauriez vous contenir. Être un peu plus polis. Elle découvre juste l’existence de ses pouvoirs et n’a jamais côtoyé autant de sorciers. Gardez pour vous votre curiosité et montrez-vous sous votre meilleur jour pour l’accueillir… La directrice fait une pause en appuyant du regard sur chacun, puis tape sèchement des mains. Maitres de tablées !

Lily rougit aux paroles de madame Jennas. Il lui semble qu’elle a l’air bien idiote de ne pas être au courant de pouvoirs qui, si elle a bien compris, ont toujours fait partie d’elle. Baissant la tête sur son assiette, elle n’a pas vu qu’au bout de chaque rangée, un élève s’est mis debout. Chacun d’entre eux ferme les yeux, rapproche les mains l’une de l’autre en un mouvement qui pourrait ressembler à un geste de prière, à cela près que leurs paumes sont décollées et que seuls se touchent leurs pouces et index. Le reste des doigts demeurent comme ouverts sur le monde.

Ombeline perçoit une série de bruits sourds, comme de petites explosions de bulles d’air et se retourne. Sur les tablées du fond, celles des étudiants plus âgés, des plats apparaissent au-dessus des tables et lévitent doucement pour se déposer entre les élèves. Elle fait un bond au moment où les sons se produisent devant elle et que l’odeur alléchante d’un velouté de potimarron lui vient aux narines. Elle ne réagit pas tout de suite quand Eléa lui réclame son assiette, si bien que celle-ci s’en empare avec un sourire avant de la lui remplir.

- Tu t’habitueras. On n’employait pas du tout de magie chez toi ?

Ombeline secoue la tête, se demandant si l’un de ses parents a utilisé la magie chez elle sans qu’elle s’en rende compte. Il lui semble improbable que ce soit son père, si pragmatique et terre à terre. Eléa poursuit, faisant fi de sa profonde réflexion…

- On en utilise peu chez moi. Ma mère considère que ce n’est pas nécessaire pour servir à table par exemple. Ici bien sûr, nous sommes très nombreux, c’est bien pratique et ça nous permet de nous exercer sur les sorts basiques comme la lévitation. Ce sont les cuisiniers qui coordonnent l’arrivée des plats, les maitres de tablées se contentent de les réceptionner et de les déposer. Sur les tables de premières années, il y a souvent des ratés au début, mais on commence à bien s’en sortir maintenant. On tourne chaque semaine, mais je pense que madame Jennas ne t’intègrera pas tout de suite au planning. Mange ! Ça va refroidir !

Sa tirade terminée, Eléa entame son dîner avec un sourire, l’incitant à faire de même et continue à étourdir Ombeline de paroles. Celle-ci l’écoute d’une oreille et cesse enfin de sursauter au bout de la troisième apparition. L’adolescente observe un peu autour d’elle. Elle se rend compte que Karelle la scrute d’un regard noir tout en discutant avec une jeune fille à la chevelure blond-platine qui ne semble guère l’apprécier elle non plus. Cette dernière a un reniflement de dégout à un stade de la conversation et lâche — suffisamment fort pour qu'Ombeline l’entende — « il parait qu’elle vient d’une école d’humains… beurk ! ». Son air méprisant heurte Lily et elle pense à Mandy, sa meilleure amie, qui n’a rien d’une sorcière, mais est une des personnes les plus aimables et talentueuses qu’elle connaisse.

Puis elle pose la question qui lui brûle les lèvres à Eléa.

— C’est quoi cette Triade dont a parlé madame Jennas ? chuchote-t-elle à l’oreille de sa camarade.

— Oh ! Oui, je suppose que tu ne peux pas être au courant non plus à ce sujet, répond Eléa sur le même ton. Écoute, on dîne et je t’explique ça en arrivant au dortoir !

Ombeline acquiesce et demeure pensive jusqu’à la fin du repas.

Eléa lui donne un petit coup de coude et Ombeline s’aperçoit que le souper est terminé. Machinalement, elle se lève pour suivre sa compagne de chambre, mais se fige soudain en attendant la voix de la directrice murmurer à son oreille.

- N’oublie pas de consulter ton emploi du temps pour demain, Eléa, continuera à te guider pour tes premiers jours.

Lily se retourne, mais madame Jennas est toujours assise derrière la table des professeurs, apparemment en grande conversation avec une de ses collègues. Elle lui accorde cependant un regard et un sourire.

- Ça aussi tu t’y habitueras. Mme Jennas préfère souvent nous donner ses instructions en privé plutôt que de les crier à travers la salle.

- Tu lis dans les pensées ? demande Lily à Eléa, légèrement déstabilisée.

- Non, mais Mme Jennas m’a également transmis des consignes à l’instant. Réponds la petite blonde dans un sourire. Allez-viens, tu as encore tes affaires à déballer et tu as bien besoin d’une bonne nuit de sommeil.

Lily soupire. Combien d’autres surprises nécessiteraient qu’elle s’habitue ?

***

La soirée est très courte. Eléa babille durant tout le temps où Lily déballe ses affaires. Karelle n’est pas encore revenue dans la chambre. Ce dont Ombeline ne va pas se plaindre. Enfin, une fois qu’Ombeline a terminé son rangement, Eléa s’assoit auprès d’elle.

— Tu voulais savoir ce que c’était que la Triade ? demande la jeune fille. Si tu t’y connais un peu en mythologie, les noms de Séléné, d’Artémis et Hécate te seront familiers. On les appelait aussi…

— Triade lunaire. Complète Ombeline.

— Oui. Il y a des centaines d’années, ces déesses sont tombées en désuétude. Comme beaucoup de panthéons, les divinités grecques ont été oubliées. Alors que le christianisme prenait en ampleur, des rumeurs se sont mises à courir. Certains anciens dieux sont descendus de leurs royaumes pour fouler la terre des Hommes. On n’a aucune confirmation bien sûr, il pourrait s’agir de femmes qui ont adopté ces noms…

— Mais tu penses que cette légende dit vrai. Sourit Ombeline en contemplant le regard perdu dans le vide de sa camarade.

Eléa hoche la tête et poursuit.

— Ces trois déités ont parcouru le monde semant tantôt bienfaits tantôt malfaisance. Très vite, le terme « sorcière » leur a été appliqué. On les disait sœurs bien qu’elles ne partagent pas vraiment de ressemblances physiques. L’une était blonde comme les blés, l’autre avait les cheveux argentés telle la lune et la dernière les avait noir de jais. Rapidement, Sélèné, Artémis et Hécate se sont mises à se disputer. La première avait un amour incommensurable pour les humains, elle leur octroyait des dons, créant ainsi les lignées de sorciers. La seconde veillait sur la nature et sans être malveillante envers les Hommes, elle préférait favoriser les bêtes. Lorsque sa sœur offrait des capacités, elle concevait les familiers. Leur tâche consistait à garder l'humanité dans le droit chemin, pour cela, elle lia étroitement chaque être à son familier. La troisième quant à elle, détestait le genre humain. Elle avait autrefois chéri un homme, disait-on, qui l’avait trahie de la plus odieuse façon. Depuis, elle leur jouait des tours où s’amusait à noircir leur cœur et leur âme.

— Ces… déesses seraient donc à l’origine de nos pouvoirs ? Mais… il n’existait pas des sorciers bien avant cela ?

— Si bien sûr, répond Eléa, sûre d’elle, de timides médiums, des chamanes dotées de dons mineurs, rien à voir avec les talents formidables qu’ont alors distribué les trois sœurs. Tu n’imagines pas ce que les sorciers d’antan étaient capables d’accomplir. Il y en a peu comme celles-ci maintenant, les dons se sont dilués à travers les générations. Mais de temps en temps, il y a quelques-uns qui se démarquent du lot.

La tête pleine, Lily annonce à Eléa qu’elle préfère se coucher tôt. De fait, elle est fatiguée, mais elle meurt d’envie de se retrouver au calme pour réfléchir. Elle se glisse donc dans son lit, et ne dit rien quand Mr Foxy, Wulfric — elle n’arrivera jamais à l’appeler ainsi — montre son museau et se faufile sous la couverture, contre son ventre, comme il l’a toujours fait. Machinalement, elle mêle ses doigts à sa fourrure épaisse.

Elle fait mine de ne pas entendre Karelle lorsqu’elle entre dans la chambre, faisant pourtant preuve de très peu de discrétion et s’endort, bercée par la chaleur du furet et la sensation familière du petit corps doux contre elle.

***

Le matin est difficile. Lorsqu’elle ouvre les yeux, elle croit un instant avoir rêvé la journée précédente, mais le plafond de la pièce, d’un blanc régulier sans la moindre étoile phosphorescente lui prouve qu’elle a tort. Elle demeure un moment étendue sur le dos, écoutant la respiration de ses compagnes de chambre encore endormies, puis regarde le réveil. Il n’est pas six heures du matin, les cours qu’elle est supposée suivre ne débutent pas avant trois heures.

Elle se lève sur la pointe des pieds, ouvre l’armoire et fait la moue en avisant les uniformes qui s’alignent sur les cintres, sans originalité. Elle attrape l’un d’entre eux et file à leur salle de bain commune. Après une toilette rapide, elle enfile la large jupe gris souris à jupon blanc et grimace devant sa longueur juste au-dessous du genou. Tant pis, elle n’a pas le temps de se lancer dans un ourlet étant donné l’ampleur du vêtement. Le chemisier immaculé est des plus classiques. Ombeline jette un œil à la cravate courte qui accompagne l’habit et la balance en travers du lavabo. S’emparant d’un long ruban de velours bleu glacier, assorti à ses yeux, elle le noue à la place. Elle enroule ses manches, les remontant à mi-hauteur sur ses avant-bras. Le reste de la tenue a besoin de plus de travail, mais il faut qu’elle y réfléchisse davantage. Elle attache ses cheveux en un chignon haut et légèrement désordonné et s’autorise une pointe de gloss sur ses lèvres. Elle n’a pas la moindre idée de ce qui est, ou non interdit dans cette école. Elle aurait sans doute dû lire le règlement qui git sur sa table de nuit. Toujours sur la pointe des pieds, elle s’empare de son sac de cours et se glisse silencieusement hors de la pièce.

Les couloirs sont déserts et très peu éclairés. Manifestement, les élèves ne sont pas invités à trainer dans les couleurs en dehors des horaires des cours. À moins qu’elle ne soit la seule lève-tôt de l’école. Ombeline enfile ses ballerines gris terne. Elles seraient tellement jolies saupoudrées de paillettes ou recouvertes de dentelle. La jeune fille sourit, va-t-elle trouver des fournitures de ce genre dans l’académie ? Elle oublie l’idée pour le moment et commence son exploration. Elle a encore du mal à s’orienter à l'intérieur du bâtiment et se dit qu’elle devra peut-être se dessiner un plan. En sortant de la partie du dortoir réservé aux filles, elle aperçoit un escalier qui monte. Elle n’a pas réalisé la veille que les chambres ne sont pas situées au dernier étage. La porte des garçons est sculptée d’un motif compliqué, tout en volutes. Ombeline se retourne pour regarder celle par laquelle elle vient de sortir. Les symboles sont légèrement différents. Ils ont probablement une signification bien précise. Elle continue son chemin, il faudra qu’elle demande à Eléa le sens de ces runes.

La jeune fille se détourne des portes et descend l’escalier, atteignant ainsi le troisième étage de l’Académie, celui où se trouve une partie des salles de cours. La structure des paliers la perturbe cependant, il ne fait aucun doute que l’école ne fait pas la taille qu’elle devrait lorsque l’on regarde le bâtiment de l’extérieur. Une bizarrerie architecturale. Lily est persuadée qu’il est impossible de caser dans le manoir une bibliothèque de la taille de celle qu’elle a aperçu la veille.

Elle examine les salles de cours à travers les baies vitrées. Si certaines sont organisées comme des salles classiques, tables et chaises bien en rang, le bureau du professeur au fond, d’autres ont davantage la forme d’amphithéâtres. Certaines, plus petites, lui font penser à des laboratoires de chimie. D’autres encore ne contiennent aucun meuble. Peut-être sont-elles inutilisées ?

Elle descend d’un étage, vérifie sa montre, s’assurant qu’il lui reste du temps. Les lourdes portes en bois de la bibliothèque tournent toutes seules sur leurs gonds tandis qu’elle s’arrête devant, se demandant comment elle pourra y entrer. Elle fait quelques pas à l’intérieur. L’endroit semble vide. Ne devrait-il pas y avoir une conservatrice ? Tu crois peut-être qu’elle vit dans la bibliothèque ? S’admoneste Ombeline. Elle ne comprend pas bien pourquoi le passage s'est ouvert alors qu’on lui a dit qu’elle n’y aurait pas accès avant quelques semaines. Profitant de l’occasion, elle s’avance vers les immenses rayonnages et constate que ceux-ci montent jusqu’à une hauteur phénoménale. Ici, les volumes anciens aux reliures de cuir et aux lettrages dorés côtoient des ouvrages récents. Lily les caresse du bout des doigts. L’un d’entre eux lui lance une décharge électrique et la jeune fille retire vivement sa main.

Un bruit léger se fait entendre. Comme le froissement d’une page de papier. Pourtant, le son vient de bien trop haut pour que ce soit un livre. Sur ses gardes, Ombeline regarde autour d’elle, osant à peine lever la tête de crainte de ce qu’elle risque d’apercevoir. Rien n’indique que la bibliothèque ait un gardien, mais puisqu’elle est interdite aux nouveaux étudiants, ce ne serait pas surprenant. Elle fait un bond quand le bruit de griffes minuscules crissant sur le parquet s’arrête derrière elle. Elle fronce les sourcils, puis soupire. Il n’y a que Mr Foxy, qui l’a suivie.

- Tu sais que tu n’as pas la liberté d’être là ? Comment es-tu entrée ? lui chuchote l’animal, mal à l’aise, en scrutant le plafond.

- Tu sais que tu ne devrais pas parler ? réplique-t-elle au furet, encore fâchée de sa trahison.

- Je… Ce n’était pas juste de ma part, pendant toutes ces années, de ne jamais avoir révélé ce secret, mais… je n’avais pas le droit ! J’avais pour mission de veiller sur toi, jusqu’à ce que le sortilège montre des signes de faiblesse ! C’est le travail d’un familier.

- Le sortilège ?

- Mmhhh… le furet se met à bafouiller, tourne sur lui-même d’un air gêné et pousse soudain un gémissement en regardant derrière Ombeline.

- Tu crois vraiment que tu vas m’avoir comme ça ? s’énerve l’adolescente.

La jeune fille pose les poings sur ses hanches, refusant de se retourner pour contempler la direction que désigne le furet de sa petite patte. Un sifflement aigu lui fait cependant faire une grimace. C’est le cri d’un oiseau. Elle tourne doucement la tête. Du haut d’une étagère, une chouette blanche avec des taches noires l’observe de ses yeux jaunes. Elle émet un claquement de bec menaçant et pousse plusieurs sons perçants avant de prendre son envol et de fondre vers elle.

Lily se précipite vers la porte d’entrée, précédée de son furet. Le souffle court, elle dévale l’escalier au pas de course et se réfugie dans le réfectoire. Celui-ci est tout aussi impressionnant vide, mais il lui semble plus accueillant ainsi. Elle s’installe sur la même table que la veille au soir, Mr Foxy à côté d’elle, haletante.

- C’était quoi ça ? Et parle-moi de ce sortilège. Si tu es censé me protéger, je ne vois pas en quoi me mentir m’aide.

Le furet pousse un soupir mélodramatique. Il explique à Lily que la chouette de la bibliothèque est un harfang, le familier de la bibliothécaire, il veille sur les rayonnages en l’absence de celle-ci. Le furet a une peur bleue de lui, évidemment, celui-ci est son ennemi naturel.

Le familier marque une pause puis passe au sortilège avec hésitation. Si une lignée préfère ignorer les recommandations et de ne pas envoyer ses enfants à l’Académie, ceux-ci ne doivent pas avoir accès à leurs pouvoirs, ne pas avoir connaissance de l’existence de la magie. Sa mère, apprend Lily, a fait ce choix. Elle a été élevée en tant que sorcière, a probablement suivi elle-même les cours de cette Académie. Mais elle est tombée amoureuse d’un simple humain, et a décidé d’emprunter cette voie. Elle a renoncé à la sorcellerie, pour elle, et pour sa famille. Mais dans la lignée d'Ombeline, la magie est vraisemblablement puissante. Le sortilège bloquant les pouvoirs de Lily risquait de se briser depuis bien des années. Lorsqu’elle avait sept ans, suite au décès de sa petite sœur, Mr Foxy était apparu dans sa vie. Ombeline a pensé que c’était pour l’aider à surmonter la perte de Rosemary que ses parents lui avaient offert le furet. Mais il était en fait venu de lui-même, attiré par le pouvoir latent de la fillette, qui sous le coup des émotions, menaçait d’éclater. Le sortilège avait commencé à se fissurer depuis lors… L’hypersensibilité de Lily n’était pas étrangère à cette rupture, supposait le familier.

Ombeline a la gorge nouée. Elle n’a pas songé à sa petite sœur depuis très longtemps, elle a même du mal à se remémorer son visage. En fait, elle se demande si elle y a pensé depuis… Comme si même ces souvenirs étaient bloqués. Tout à coup, la douleur la frappe de plein fouet et des perles salées roulent sur ses joues tandis que son cœur se libère de ce poids qu’elle n’a jamais vraiment pu évacuer. Elle entend un bruit discret de pas et une assiette de pancakes chauds, de la confiture et une tasse de chocolat sont déposés délicatement sur la table à côté d’elle. Elle lève un regard embué de larmes vers un visage rond et sympathique, un homme habillé d’un tablier blanc immaculé lui sourit.

- Les élèves viennent rarement par ici à cette heure-là, et tu avais l’air d’en avoir besoin. Mais ne le dis pas aux autres.

Il lui fait un clin d’œil alors qu’elle le remercie timidement et disparaît par une petite porte sur le côté de la salle. Ombeline ne l’a pas vue hier, tant elle se fond bien dans le décor. La jeune fille se demande à travers son chagrin s’il y en a d’autres. Elle grignote un morceau de crêpe et se rend compte qu’elle a faim, malgré tout. Reconnaissante envers celui qui lui a offert ces douceurs, elle aimerait le remercier, mais la porte est hermétiquement close. Essuyant ses larmes, elle mange un peu, s’empressant de faire disparaître les pancakes et le chocolat.

Mr Foxy est venu se réfugier sur ses genoux pendant ce temps, la consolant comme il le peut. Il la prévient que les autres étudiants ne vont pas tarder. Lily décide qu'il faudrait se plonger dans l’analyse de son emploi du temps tout en essayant de se recomposer un visage calme et serein. Sur son planning, il est indiqué que le moment libre du mercredi est consacré à des cours traditionnels par correspondance permettant aux élèves de garder le « niveau scolaire exigé ». Au programme, les bons vieux cours auxquels est habituée Ombeline. Le reste de l’emploi du temps lui parait chargé et en partie incompréhensible : Illusion, Divination, Histoire de la magie, Sortilèges, Alchimie… Elle est d’avance larguée. Seuls deux cours la soulagent : musique et astronomie, deux sujets qu’elle adore et maîtrise.

Puisqu’on est vendredi, sa journée est composée de cours qui ne lui disent rien du tout et terminée par le cours d’astronomie qui prend fin à 16 h 30. Elle a la possibilité d’assister à une observation du ciel en soirée, mais celle-ci n’est pas obligatoire.

Un brouhaha indique que la salle de réfectoire se remplit doucement. Elle sursaute, regarde autour d’elle, mais le plateau contenant assiette et tasse a disparu. Eléa se glisse sur le banc à côté d’elle, troublée.

- Je t’ai cherchée partout ! lui dit la blondinette d’un air contrarié.

- Je me suis réveillée très tôt, j’en ai profité pour explorer un peu…

- Tu as fureté dans l’école ?

Eléa parait scandalisée. N’a-t-on pas le droit d’aller où bon nous semble ? Elle n’a croisé personne pour l’en empêcher en tout cas. Eléa hausse les épaules et Ombeline remarque son regard qui s’attarde sur le nœud en velours qu’elle a entrelacé autour de son cou au lieu de la cravate. Elle redirige hâtivement la conversation en la voyant esquisser un début de parole.

- Qu’est-ce que c’est que ce cours « Élémentaire » de la première heure ?

Eléa referme la bouche et réfléchit une minute avant de lui expliquer que les styles de magie sont catégorisés en plusieurs grandes sphères. La sphère élémentaire est l’une d’entre elles. L’illusion, la divination, l’enchantement et l’invocation constituent les autres. Tout le monde ne dompte pas les pouvoirs de chaque sphère, mais les professeurs essaient de leur en enseigner les notions afin que les étudiants comprennent comment cela fonctionne. Dès lors qu'on a évalué le niveau d’un élève, ils sont allégés de certains cours où ils n’ont vraiment aucune affinité. Pour les élèves les plus doués sont ainsi aussi les plus surchargés.

- Mais ne crois pas que tu auras du temps libre à la place ! Ce sera remplacé par de la pratique ! En illusion, la sphère basique que peut maitriser tout sorcier ou dans une autre sphère qui semble plus adaptée à tes capacités. Oh, voilà le petit-déj !

Eléa se tait, pendant que le ballet de la veille au soir recommence. Croissants, chocolatines, thé, café et diverses douceurs apparaissent sur les tables. Le brouhaha se fait moins intense et Lily note l’absence des professeurs. Eléa lui explique qu’ils prennent leur petit déjeuner dans une salle réservée, leur permettant ainsi de démarrer la journée par des réunions éducatives.

Le premier cours se déroule dans un des amphithéâtres du troisième étage. Le professeur est un homme grand et sec à l’air sévère, les cheveux bruns, une barbichette, il revêt une tenue élégante, pantalon et veste anthracite au motif en surimpression. Sa chemise au col serré donne le sentiment qu’il va bientôt s’étrangler. Une large cravate pourpre est fixée sous un veston, lui conférant un style très victorien.

Il leur rappelle brièvement que chaque exercice pratique doit être effectué par groupes de deux et que le cours du jour portera sur l’élément du feu. Il s’agit de faire naitre une flamme dans le creux de la main. L’anxiété monte en Ombeline. Le feu. C’est ce qui lui a valu d’être mise à la porte de son ancien lycée. Le professeur est-il au courant ? La jeune fille se souvient qu’elle a cru voir un garçon faire cela la veille et réalise qu’elle n’a pas rêvé. À ses côtés, Eléa lui explique qu’elle ne suit pas ce cours habituellement. La sphère élémentaire ne fait pas du tout partie du type de magie qu’elle maitrise. Cependant, elle y assistera cette semaine parce qu’elle est désignée pour guider la nouvelle venue. Lily s’excuse piteusement à sa camarade en comprenant que son propre emploi du temps est surchargé par sa faute, mais la douce Eléa lui fait signe que ça ne la dérange pas. Le professeur observe quelques minutes sa douzaine d’élèves se mettre par groupes et commencer les exercices qu’il vient d’expliquer. Puis il monte entre les rangs pour rejoindre Eléa et Ombeline. La jeune fille se fait toute petite, intimidée par le sorcier à l’air peu amène.

- Bonjour Ombeline, je suis le professeur Suc, spécialisé en magie élémentaire. Dans cette classe, nous allons essayer de déterminer si tes dons te permettront d’interagir dans cette sphère ou si nous gaspillons notre temps. Ce n’est pas le cours que j’aurais choisi pour t’introduire aux éléments, mais je ne peux pas m’offrir le luxe de faire prendre du retard à tes camarades, il te faudra donc rattraper le temps perdu…

Ombeline souffle doucement en constatant que le sujet du cours est totalement fortuit. Le ton du professeur Suc est très… professoral. Il indique à Lily la méthode pour atteindre ses dons. Selon lui, il lui suffit de gagner un certain niveau de calme et de concentration, puis d’imaginer la flamme, l’impression de chaleur, la lumière produite par le feu, l’air lui apportant la vie et sa mouvance. Il peut être utile de claquer des doigts, avant d’ouvrir en grand les mains afin de reproduire la sensation d’étincelle faisant naitre le « triangle du feu ». Tout, à son avis lui, est question de chimie.

Lily se sent presque plus perdue après ces explications. Eléa est plus terre à terre. Sortant un briquet — les yeux d'Ombeline s’exorbitent à la vue de celui-ci, qu’est-ce que c’est que cette école ! — elle l’allume en ignorant sa surprise et lui suggère de scruter la flamme, le plus minuscule de ses détails, de la température à son intensité… la moindre chose susceptible de l’aider à faire s'embraser elle-même une flammèche. Une fois la phase d’observation terminée, elle lui demande de fermer les yeux, de se concentrer sur elle-même, de tenter de trouver le centre de son pouvoir puis de se rappeler les sensations de la flamme du briquet.

Ombeline essaie de s’imaginer la chaleur, la lumière et tout le reste, mais ses efforts demeurent vains. Agacée, l’adolescente se met à marmonner pour elle-même. Elle entend le tonnerre gronder et comprend, cette fois que c’est de son fait. Elle s'efforce de contrôler son énervement, mais se dit que si la foudre tombait maintenant, cela résoudrait son problème de feu — tout en lui en générant un tas d’autres. Elle se souvient d’Olivia et de sa chevelure. Alors elle tente de se remémorer ce qu’elle ressentait à ce moment-là. Colère, humiliation, rien de positif, mais tant pis, elle ne sait pas comment invoquer des sentiments qui l’aideraient. Elle devine la chaleur qui émane doucement de sa main et se concentre sur la sensation. Elle a l’impression de sentir en elle un point chaud et imagine qu’elle puise à l’intérieur pour le propulser à l’extérieur.

Elle ouvre les yeux en entendant Eléa pousser un cri. Dans sa paume, une flamme, comme un être vivant s’élève et prend en ampleur. Paniquée, Ombeline agite la main, mais sa peur semble alimenter le feu, qui grossit. Elle ne sait pas comment éteindre ce début de brasier. Monsieur Suc leur a expliqué comment le créer, mais pas comment le stopper. Le professeur grimpe les marches deux à deux lui criant de s’arrêter. La fureur de celui-ci ne l’aide pas et engendre plus de terreur encore dans son esprit qui s’occulte complètement, refusant de fonctionner.

Ombeline tente d’enrayer le torrent de magie alimentant son feu, qu’elle ressent à présent nettement, mais n’y parvient pas. Elle sent en revanche clairement l’intervention du professeur et une vive douleur quand il lui paraît que le flot est cautérisé avec une lame chauffée à blanc. Elle pousse un cri, et se plie en deux, les mains serrées sur son ventre. Lorsqu’elle réussit à reprendre son souffle, les autres élèves, Eléa comprise, sortent de la classe et monsieur Suc tourne en rond en gesticulant. Elle réalise avec du retard que ses rugissements s’adressent à elle.

- On ne libère JAMAIS, JAMAIS tant d’énergie pour un simple exercice, mademoiselle Rives !

Elle écoute à peine le reste de sa tirade, il lui semble que l’orage bourdonne maintenant jusque sous son crâne. Le fracas du tonnerre l’empêche d’entendre quoi que ce soit. Les carreaux vibrent sous le choc. Le professeur s’éloigne des vitres en continuant à enrager. Elle recule doucement lorsque le professeur lui tourne le dos et se faufile hors de la pièce. Eléa, qui l’attend à la porte, lui saisit le bras et l’entraîne dans la salle suivante, encore vide. Il reste quelques minutes avant le début du prochain court.

- Je ne voulais pas ! Je ne voulais pas ! s’écrie Lily, au bord des larmes.

Ombeline se tient la tête, tentant d’apaiser l’orage sous son crâne, les yeux fermés pour ne plus voir le monde l’entourant. Le souffle court, elle songe à son amie Mandy. Elle lui dirait qu’elle allait y arriver et assurer comme toujours. Ensuite, Mandy sortirait sa guitare et Lily se laisserait porter par la mélodie, l’accompagnant de sa voix… Un sourire flotte sur les lèvres de la jeune fille paniquée qui chantonne dans ses pensées, puis tout bas. Elle n'ouvre les yeux que quelques minutes plus tard, quand l’orage s’apaise. Eléa l’observe en silence, assise face à elle. Les cris de monsieur Suc dans la salle voisine se sont enfin taris.

- Tu as une très jolie voix. Constate Eléa. Ça va mieux ? Le professeur n’aurait jamais dû s’énerver comme ça !

Quand madame Jennas va apprendre ça, elle va lui passer un de ces savons ! Miss Siobbhan est bien plus aimable tu verras. Elle est Irlandaise, belle comme un cœur, et c’est un véritable puits de patience.

Ombeline acquiesce. Les battements de son palpitant s’apaisent enfin. Elle craint une seconde catastrophe pour ce cours. Un mauvais pressentiment oppresse son cœur. Les élèves entrent dans la salle sereinement. Certains toutefois lui jettent des regards torves. Si ces adolescents agissent en partie comme les autres, ses exploits ont sûrement déjà fait le tour de l’école. Lily devine le rouge qui lui monte aux joues tandis qu’on la dévisage et essaie de garder son calme. Elle sent ses émotions s’agiter tout au fond d’elle. Elle se concentre sur le professeur. Miss Siobbhan est un petit brin de femme à l’ossature frêle semblable à une fée. Ses cheveux blond-roux forment une crinière ondulée — et impeccablement maitrisée — qui lui arrive à hauteur de mâchoire et ses yeux sont d’un vert transparent. Elle porte une tenue du même gris que les uniformes des étudiants, mais le modèle n’y ressemble en rien, c’est une robe près du corps à encolure bateau dégageant ses épaules fines et dévoilant ses jambes fuselées des genoux aux chevilles. Elle n’est pas du tout à l’image de ce qu'Ombeline s’est fait d’un professeur de formules magiques. La professeure feuillète un gros ouvrage sur un pupitre et fait un geste nonchalant de la main. Dans un « pof » sourd, une demi-douzaine de livres apparaissent sur les tables, un pour deux étudiants. Lily a un mouvement de recul quand les pages se mettent à tourner comme mues d’une vie propre.

Lorsque les pages s’arrêtent, tous les élèves se penchent au-dessus des volumes pour y lire « Formule d’oubli ». Le reste de la feuille est blanche. Le professeur commence le cours en expliquant la nécessité et l’utilisation de cette formule. Au fur et à mesure de son discours, de nouvelles informations apparaissent sur le livre. Il n’y a pas une seule formule d’oubli, car chacune est propre à chaque sorcier. Elle doit avoir une signification profonde pour lui, pour que ses mots s’imprègnent du pouvoir. Il existe cependant, pour certains sors "génériques" des formules bateaux. Les formules, aussi appelées incantations, sont bien souvent employées dans les sortilèges à long terme, peuvent être accompagnées d’une potion pour renforcer leur effet.

Il est possible de réciter une formule ou la chanter. La préparation qui s'ingère généralement avec la formule d’oubli, indique miss Siobbhan, est à base de valériane, au goût âcre et à la fleur de lotus. Cette dernière ayant davantage une utilité symbolique. La professeure se fend d'une courte parenthèse sur Ulysse et son aventure chez les Lotophages avant de revenir à son cours. Elle fait circuler une racine de valériane, que chaque élève renifle en fronçant le nez.

À son tour, Ombeline inspire l’odeur de la racine. Celle-ci ramène un souvenir enfoui dans les tréfonds de sa mémoire.

Rosemary et elle jouent dans le jardin devant la maison de ses parents. Leur ballon passe par-dessus la clôture. Plus proche que Lily du portillon, Rosemary s’échappe et court après la balle. Ombeline pousse un cri qui alerte leur mère lorsque la petite – elles ont deux ans d’écart — ouvre et se précipite dehors. Le bruit des freins de la voiture qui tente de s’arrêter et le hurlement d’horreur de leur mère résonnent dans la tête de Lily comme si la scène se déroulait à nouveau sous ses yeux. La jeune fille se souvient du camion de pompier, du conducteur choqué et des sanglots de désespoir de ses parents. Puis tout est flou. Le goût âcre et l’odeur nauséabonde d’une tisane que Claire la force à boire lui reviennent. Le refrain de la chanson que Claire Rives chante à sa fille pour l’aider à enfin trouver le sommeil remonte dans ses pensées.

« Dort, endort toi profondément. Oublie ces évènements. Souris encore à ta maman… » Ces paroles lui ont semblé bien incongrues à l’époque, se souvient-elle. Mais elle s’est endormie si vite qu’elle n’a pas posé de questions à sa mère, et à son réveil, l'accident s'est effacé de son esprit. Elle a omis que c’est elle, qui, la dernière, est sortie sans fermer à clé… Un secret dont elle ne sait pas si ses parents eux-mêmes ont connaissance…

Ombeline se lève prestement. Tous les regards se tournent vers elle — encore. Elle demande l’autorisation de quitter la classe au professeur et s'éclipse sans attendre de réponse. Elle dégringole les escaliers, et, comme la veille, se précipite vers l'extérieur. Vers cette bouffée d'air frais dont elle a tant besoin.

Elle a du mal à respirer. Le souvenir est cruel, violent et difficile à digérer. Pour la seconde fois de la journée, les larmes dévalent sur ses pommettes. La magie, ces souvenirs, c’est beaucoup trop à encaisser pour l’adolescente. Elle s’engage dans le labyrinthe qui constitue le cœur des jardins et s’engouffre dans le premier dédale qu’elle trouve, cherchant refuge sur un banc de pierre. Elle s’y allonge, les genoux remontés vers sa poitrine, la joue posée contre la roche fraiche, bouleversée. De grosses gouttes de pluie se mettent à tomber, la trempant rapidement, mais Lily ne s’en rend pas vraiment compte. Elle est tellement perdue dans ses pensées qu’elle en omet son corps mortel.

L’heure du déjeuner est passée depuis un bon moment lorsqu’un bruit de pas lui fait relever la tête. Un garçon se tient à quelques mètres. Malgré l’averse en cours, il n’a pas de parapluie, mais parait parfaitement sec. Lily plisse les yeux et remarque que la pluie tombe en cercle autour de lui. Quel étrange phénomène ! Elle le détaille tandis que lui-même l’observe en silence. Il doit avoir à peu près le même âge qu’elle. Les cheveux brun très foncé, la peau légèrement mate, des yeux verts magnifiques, il lui adresse un sourire malicieux.

- C’est à toi qu’on doit ce temps déplorable ? questionne-t-il.

Même sa voix est agréable. Ombeline hoche la tête. Elle regrette de ne pas être une de ces filles gracieuses même quand elles pleurent. Elle rencontre un garçon canon alors qu’elle a les yeux rouges et gonflés et renifle lamentablement. Il s’approche et Lily se retrouve sous son invisible parapluie magique. Il lui tend un mouchoir.

- Tu dois être Ombeline ? C'est à toi qu'on doit ce temps abominable ? Toute l’école parle de toi. On n’a pas souvent de nouveaux élèves en cours d’année par ici. Tu ne devrais pas être en cours ?

- Si… souffle Lily. Je… La jeune fille s’arrête, ne sachant que dire. Mais appelle-moi Lily, comme tout le monde.

- Tu as du mal à t’habituer ? J’ai entendu dire que tu n’avais pas connaissance de… tout ça avant ton arrivée hier ? C’est beaucoup à encaisser, j’imagine ! Il ne faut pas en avoir peur !

- J’étais… On m’a jeté un sortilège quand j’avais sept ans… Je ne m’en souvenais pas jusqu’à ce matin. C’est pour ça que je ne savais pas que j’avais des pouvoirs.

Ombeline ressent le besoin de s’épancher. Ici, elle n’a personne. Elle ne peut dire pas si elle doit accorder sa confiance à Mr Foxy et a une irrépressible envie d’ouvrir son cœur à quelqu’un. Que ce soit un parfait étranger ne ferait que faciliter les choses. Et puis… ce garçon dégage un sentiment qui appelle à la confiance.

- Oh ! Ça fait vraiment beaucoup pour toi alors. C’était peut-être un brin violent de la part de madame Jennas de te propulser directement au milieu des cours. Ce n’est pas évident de prendre le train en marche. La plupart des élèves arrivent ici en ayant quelques bases… Je ne suis qu’en seconde année, mais je peux t’épauler un peu si tu veux ! Je suis Alexis au fait.

- Lily. Mais tu le sais déjà, comme tout le monde… Oui, de l’aide serait bienvenue, acquiesce-t-elle.

Alexis lui décoche un sourire qui ajoute encore à son charme. Lily se surprend à lui sourire bêtement en retour.

- Eh bien Lily ! Je te reconduis à l’intérieur, le cours d’astronomie devrait bientôt commencer. Tu participes à l’observation ce soir ? C’est en option, mais les élèves des différents niveaux s’y retrouvent. Je te récupère à la sortie du réfectoire si tu veux !

Impossible de dire non à une invitation pareille. Il lui tend la main pour l’aider à se relever et la raccompagne jusqu’à la porte de sa classe. Eléa soupire de soulagement en la voyant, ouvre la bouche — sans doute pour lui demander où elle est passée tout ce temps — puis écarquille les yeux et rougit vivement en croisant le regard d’Alexis. Le garçon sourit à Lily — à moins que ce ne soit à toutes les deux ? — et lui adresse un petit salut avant de disparaître dans une salle voisine.

***

Alexis dépose Lily à l’intersection des couloirs avant sa classe d’astronomie. Il l’observe tandis qu’elle continue son chemin sans se retourner. Ses cheveux noirs bleutés sont remontés en chignon, mais elle les avait laissés libres dans son dos lors de son arrivée. Sans même le voir, elle avait fixé une minute sur lui ses iris à la couleur d’une mer glacée. Où peut-être avait-il espéré qu’elle les posait sur lui, car son cœur s’était mis à battre pour elle à la seconde où elle avait franchi les portes du manoir.

Ombeline Rives est son prénom. Mais elle s’est présentée à tous comme Lily.

Il émane d’elle autant de force que de fragilité. Alexis perçoit une personnalité haute en couleur. Elle est profondément ancrée à ses émotions. L’adolescent possède une grande empathie. Il est excellent juge de caractères. Au moment où il l’aperçoit pour la première fois, elle parait également très seule. Mais qui ne le serait pas à sa place ?

D’après ce qu’il sait, elle découvre tout juste sa nature de sorcière. Il ne peut qu’imaginer ce que ce serait si on l’avait coupé de ses pouvoirs durant toute son enfance. Elle avait dû ressentir ce vide aussi sûrement que si on lui avait creusé un trou au milieu de la poitrine sans jamais pouvoir nommer son mal-être.

Il lit dans une alcôve voisine des jardins quand il la voit passer en courant. Elle semble bouleversée. Si elle était sous le coup d’un sort de bridage, ses pouvoirs doivent progressivement prendre de l’ampleur et investir son corps. Pourtant, Alexis devine une détresse plus profonde. Son instinct lui dicte de patienter avant de se présenter à elle. De plus, la pluie tombe à torrents, ce qui s’il a bien suivi est un effet secondaire de ses pouvoirs non maitrisés. Mieux vaut attendre que tout cela se calme.

Au fil des heures, les flots se tarissent. Pas totalement, le ciel déverse encore quelques gouttes éparses. Alexis active un sort de protection au-dessus de lui et s’avance d’un pas qu’il souhaite nonchalant vers la jeune fille. Il tente d’apaiser les battements de son cœur, et espérant qu’elle ne sente pas la nervosité dans sa voix l’aborde de ce qui se veut une plaisanterie.

Lily lève vers lui des yeux rougis par sa détresse. Il n’a qu’une envie, s’asseoir tout près d’elle et passer un bras autour de ses épaules pour la réconforter. Mais cela serait peut-être malvenu ? Alexis se contente de produire un mouchoir et de le lui tendre après s’être installé à côté d’elle — mais pas trop près — et avoir étendu son invisible parapluie.

Il s’arrange pour lui proposer son aide dans l’espoir de la revoir rapidement et manque bondir de joie lorsqu’elle accepte. C’est presque un rendez-vous !


Texte publié par JenniferDaina, 29 juillet 2020 à 12h03
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tome 1, Chapitre 3 « Le Sortilège » tome 1, Chapitre 3
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