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XVIIIe siècle, Blancheroque.

Les filles se serrent autour d'elle en grelottant de peur. Chacune fait preuve de courage, ne laissant échapper aucun mot qui signalerait leur présence. Quelques étages au-dessus d'elles, les cris se taisent quelques minutes. Des bruits de pas, une course effrénée, puis des hurlements à nouveau.

La jeune femme secoue la tête, elle ne peut permettre à tout ça continuer. Elle est tiraillée entre le devoir de protéger les adolescentes qu'elle a prises sous son aile, un groupe dont sa propre fille fait partie... l'envie d'aller porter secours à ses consœurs, son Convent qui se fait décimer là-haut.

Elle soupire en arrêtant la décision qui lui coûtera probablement la vie. Sans compter l'hostilité de ses sœurs si elle ne meurt pas aujourd'hui. Elle lance un dernier regard aux gamines, enlace son enfant en lui murmurant quelques paroles de réconfort et leur ordonne de ne pas bouger tant que le péril ne sera pas écarté. Si quiconque n'appartenant pas au Convent et à l'Académie approche, elles devront se défendre.

En espérant que le danger ne vient pas de l'intérieur... songe-t-elle.

Elle passe son médaillon qui brille d'un éclat vert tandis qu'elle le lie à Iris. La jeune fille proteste doucement.

- Mais.. maman, tu en auras besoin !

La sorcière la fait taire, elle ne voit qu'une solution. Il faut combattre le feu par le feu. L'ombre par l'ombre.

Elle élabore son sort en hâte lorsqu'elle parvient à l'étage supérieur. Puis, elle se laisse guider par les cris, étouffant le bruit de ses propres pas en chuchotant un mot de pouvoir.

Elle rejoint le réfectoire et capte la trace de deux de ses sœurs, qu'elle ignore — celles-ci se cachent, et elle ne veut pas les mêler à ce qu'elle va faire. Un pleur étranglé lui parvient, à peine un murmure, elle accélère. Au détour d'un couloir, une personne nimbée de ténèbres se penche sur une femme. Elle reconnait la masse de cheveux blonds et espère ne pas être arrivée trop tard. Emeli est sa meilleure amie. Prenant une courte respiration, elle s'abîme dans son pouvoir. Lorsque la silhouette sombre délaisse Emeli et se retourne vers elle, elle en a le souffle coupé.

- Toi !

La douleur de la trahison manque la submerger, mais elle se reprend quand l'autre lance son premier sort. Elle devrait être pétrifiée et incapable de réagir, mais le pouvoir obscur et interdit dans lequel elle a puisé est de ceux qui ne peuvent être contrés que par une puissance supérieure. Son ennemie n'a pas pensé qu'une de ses sœurs pourrait, comme elle, se laisser tomber dans les abysses de la magie noire. Elle autorise la colère et la tristesse à l'envahir. Elle a déjà perdu sept de ses sœurs ce jour, plus de la moitié du Convent, et l'une de ses membres — ou peut-être plus, songe-t-elle avec désarroi — les a trompées, traquées, tuées et absorbé leurs énergies. Son opposante lève un sourcil en constatant la présence de la noire protection qui l'entoure, puis sourit.

- J'ai festoyé des pouvoirs de ces pauvres idiotes et je me repaîtrai du tien et de ceux de ta descendance !

Elle secoue la tête et libère le sortilège qu'elle a préparé et mûrit depuis qu'elle est remontée de la cave où elle a caché les enfants. La noire énergie l'envahit tout entière et le hurlement qu'elle pousse en relâchant le sort vrille les tympans de son ennemie et de plusieurs de ses sœurs.

Elle aurait pu réussir. Elle l'a vue vaciller, glisser.

Elle aurait dû l'anéantir. Elle a observé sa puissance se défaire d'elle comme autant de filaments ténébreux. Elle discerne son visage qui se craquelle, entend son cri d'agonie... Mais elle n'a pas prévu la dague qui transperce son rein. Elle hoquette, sa concentration s'altère et tombe à genoux. En face d'elle, la femme émet un rire bref avant de se tourner de nouveau vers Emeli.

- Si tu permets, je dois d'abord en terminer avec ton amie, sinon, toute son essence sera perdue.

Elle tente de se redresser, de puiser dans ses pouvoirs pour se guérir, au moins en partie, mais son sang qui se déverse sur le sol emporte ses forces avec lui.