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De dentelle et d'acier - Contes revisités
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tome 2, Chapitre 3 « Le récit » tome 2, Chapitre 3

Il était une fois, plus d’un demi-siècle auparavant, un scientifique de renom dont la fille unique était née si faible, si fragile qu’elle ne pouvait affronter le monde et devait vivre cloîtrée dans une chambre spéciale. Aussi décida-t-il de tout tenter pour lui offrir une vie normale. Il lui fallut quinze années complètes pour trouver une solution ! Il enferma son corps dans une enveloppe qui la protégerait du monde extérieur tout en lui permettant de le découvrir en toute liberté. Une enveloppe d’une merveilleuse beauté, qui faisait d’elle une créature d’exception et que rien, en théorie, ne pouvait entamer ni altérer.

Pour son seizième anniversaire, il organisa une fête grandiose, à laquelle il invita tous les notables de la ville, toute la haute société de la région, mais aussi les scientifiques qui l’avaient aidé à sauver son enfant. L’un de ces savants était venu avec son fils, un jeune homme de vingt ans. À peine ce garçon posa-t-il les yeux sur la jeune fille qu’il tomba amoureux d’elle. Il l’approcha et resta à ses côtés l’essentiel de la soirée ; il découvrit une personnalité aussi pure que généreuse qui acheva de conquérir son cœur. Peu lui importait son enveloppe artificielle ! Il était prêt à tout pour passer sa vie auprès d’elle.

Mais lors des recherches que le scientifique avait effectuées, il s’était brouillé avec l’une de ses collaboratrices, qu’il avait renvoyée avec fracas. Elle en avait conçu une profonde haine envers lui. Elle n’avait, bien sûr, reçu aucune invitation pour la somptueuse célébration. Par vengeance, elle avait envoyé un cadeau, une sorte de joli bibelot susceptible de plaire à une jeune fille… La reine de la fête le trouva au milieu des autres présents et s’en saisit avec ravissement. Mais à peine l’avait-elle pris en main qu’un aiguillon surgit, spécialement conçu pour franchir la merveilleuse enveloppe. Il lui perça cruellement le doigt…

Sous l’effet de cette agression inattendue, pourtant si minime, l’armure se verrouilla, pour protéger son occupante de tout mal supplémentaire. La fille du savant se retrouva plongée dans une sorte d’hibernation. Elle pouvait toujours être alimentée en oxygène et en nutriments grâce à un port prévu au bas de son dos, mais rien d’autre ne pouvait l’atteindre. Ivre de chagrin, son père fit ériger cette étrange usine conçue pour assurer sa survie.

Maintenue par tous ces appareillages insensés, elle pourrait demeurer dans cet état pendant des siècles, voire des millénaires… Mais en dépit de tous les efforts de son père, ses yeux et sa bouche restaient hermétiquement clos. Le jeune homme qui était tombé amoureux d’elle vint travailler à ses côtés et, quand le savant décéda, il poursuivit cette tâche avec le même acharnement.

Après de longues années, il finit par trouver, enfin, un moyen de la faire revenir vers lui…

***

« Comme vous vous en doutez, conclut le conteur, je suis ce jeune homme, dont la vie s’est brûlée dans ces recherches désespérées. Mais enfin, mes efforts ont porté ! Il ne suffit plus pour l’éveiller que d’un léger contact… à l’endroit le plus fragile de la cuirasse… »

Son regard devint rêveur :

« En résumé, un simple baiser sur ses lèvres… et ses yeux s’ouvriront enfin.

— Alors, pourquoi ne pas le faire vous-même ? demanda Jonas qui ne s’était senti ni touché ni ému par cette histoire dont il n’avait compris que l’essentiel.

— Regardez-moi ! »

Le conteur posa une main sur son cœur :

« Je ne suis plus qu’un vieillard. Si elle ouvre les yeux sur ce visage sillonné de rides, elle ne me reconnaîtra pas et prendra peur… »

Jonas haussa les épaules :

« Qu’importe, elle est à moitié poupée, de toute façon… »

Le vieil homme posa les deux bras sur les accoudoirs et leva les yeux au ciel :

« Oh, je comprends parfaitement votre réticence. Pour tout vous avouer, j’aurais voulu trouver un autre candidat, moins… cupide, peut-être ! Mais je ne doute pas de sa capacité à changer votre cœur. Promettez de veiller sur elle et vous hériterez des biens considérables de son père ! Vous n’êtes pas mal fait de votre personne… Vous me ressemblez un peu, tel que j’étais dans ma jeunesse. Elle pourrait apprendre à vous aimer. »

Jonas baissa les yeux sur la créature dans le sarcophage : d’accord, c’était une poupée, mais elle n’était pas vilaine. Au pire, il pourrait la laisser enfermée dans une pièce et vivre la belle vie. Cela valait bien un baiser sur ces lèvres artificielles !

Le vagabond se rapprocha lentement ; il éprouvait un peu de doute, ainsi qu’un léger dégoût en songeant aux organes humains piégés dans cette carcasse. Il lança un dernier regard vers le conteur, qui lui sourit avec encouragement, puis plaça les deux bras sur le rebord du sarcophage et se pencha vers la jeune fille…


Texte publié par Beatrix, 29 novembre 2020 à 13h16
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