« C’est une forêt de ronces, dont les tiges, aussi dures que l’acier, sont armées d’épines longues comme le doigt. Si tu parviens à la traverser, tu trouveras en son cœur un château de pierre blanche, où dorment d’incroyables richesses. Quand tu y pénétreras, tu suivras une musique silencieuse qui ne parlera qu’à ton cœur et tu trouveras une princesse endormie par un sortilège… Seul un baiser peut l’éveiller. Et ta vie lui sera dédiée jusqu’à la fin des temps… »
Jonas reposa son verre avec un bruit sec, prêtant pour la première fois attention au vieux soûlaud blotti près du poêle. Jusqu’à présent, il n’avait pas écouté une seule de ses paroles. Sa voix lui parvenait comme le bourdonnement d’une mouche, un son vaguement agaçant dans la cohue habituelle des bars mal famés.
« Qu’est-ce que tu racontes, l’ancêtre ? »
Le vieil homme tressaillit ; la vie dans ces taudis l’avait visiblement malmené.
« Payez-lui un autre verre, j’m'en lasse pas ! » hurla un ouvrier baraqué, la casquette vissée au crâne.
« Avec ta tune, alors ! », répliqua un petit maigre, tout aussi rougi par l’alcool.
Jonas tourna la tête vers le vieillard : des vêtements rapiécés, des cheveux gras qui coulaient le long de son visage, une barbe de trois jours… Il semblait échoué sous les poutrelles du plafond comme un sac de détritus. Mais lui-même n’était pas mieux loti. Il ne supportait pas de travailler dans les usines, mais il ne possédait ni fortune ni talent. Quand la vie vous refusait sa part la plus lumineuse, était-ce un mal de croire aux contes de fées ?
« Je paye pour lui ! »
Il se leva et lança vers le bar sa dernière pièce. Le patron bougea sa bedaine et remplit de pisse d’âne un godet qu’il fit glisser le long du comptoir. Une main tordue par l’âge l’attrapa ; Jonas rencontra une paire d’yeux remarquablement clairs. Le vieillard brandit un doigt vers le jeune vagabond :
« Toi… toi ! Je suis certain que tu pourrais y arriver… Loin, très loin sous la forêt d’épines… »
Il caqueta de rire ; un papier froissé atterrit aux pieds de Jonas. Il se pencha pour le ramasser.
Il s’agissait d’un morceau de plan, où figurait en blanc sur fond bleu une série de bâtiments et de données techniques. Il haussa les épaules, songeant à le jeter, mais il changea d’avis et le fourra dans sa poche.
* * *
Quinze jours plus tard, il regrettait toujours de ne pas avoir gardé sa pièce pour une dernière bière. Il avait tenté de travailler dans une fonderie, mais il avait pris la fuite après deux heures de ce labeur abrutissant. Jonas n’était pas né pour ce style d’esclavage, certainement pas ! Ni pour vivre de la charité, comme les flemmards et les impotents. Tout ce qu’il voulait, c’était s’éloigner de cet endroit. Voir le ciel bleu, pas ce plafond grisâtre envahi de fumée.
En cherchant une piécette oubliée, peut-être, dans le fin fond de ses poches, il retrouva le plan. Il se laissa tomber sous la pile d’un pont et le déplia, en le lissant sur son genou. Mais cette fois, les choses lui parurent plus claires : le site représenté lui rappelait beaucoup l’usine désaffectée au sud de la ville. Plus personne ne savait à quoi elle avait pu servir. Elle ressemblait à une forêt de tuyaux hérissés de pointes, au centre de laquelle…
Mais oui ! La tour blanche ! Enfin, blanche, c’était un bien grand mot. Un haut bâtiment industriel tarabiscoté en pierre grisâtre. Qui aurait pu mettre une princesse là-dedans ?
« Tu n’as rien à perdre, Jonas… »
Il cracha sur le sol pour se donner du courage. S’il attendait avant d’agir, il aurait le ventre encore plus vide et ses forces le déserteraient.
C’était ce soir… ou jamais.
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