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Après que son père se fut retiré, Naan’See regagna discrètement ses appartements, en serrant la cape autour d’elle. À son arrivée, elle congédia tous les serviteurs à part Ellezee, à qui elle demanda de l’accompagner dans son cabinet de toilette. Dans la petite pièce carrelée de marbre vert, où une source d’eau froide et une autre d’eau chaude coulaient dans deux bassins si vastes qu’elle aurait pu y nager, elle fit tomber sa cape. En scrutant le visage d'Ellezee, elle y lut autant d’horreur que de fascination. La jeune servante tendit la main vers les entrelacs de végétation qui revêtaient sa maîtresse :

— Qu’est ceci ?

— Les résultats de mes exigences irraisonnables.

Elle esquissa un sourire tremblant :

— Le conseil de Zellin’aa n’était pas si bon, après tout…

Quand les doigts d’Ellezee effleurèrent les feuilles, Naan’See sentit un frisson jusqu’au fond de son être. Comme elle l’avait soupçonné, cette « robe de vie » prenait naissance au plus profond de son corps. Elle tenta de tirer sur l’une des lianes qui enserraient son bras, mais frémit de douleur : elle avait l’impression de s’arracher un membre. La sève qui se mit à sourdre de la tige abîmée avait la couleur du sang.

Ellezee attrapa sa main, pour l’empêcher de se blesser davantage.

— Non, arrêtez, Votre Altesse ! Ça ne sert à rien !

Naan’See rendit les armes en soupirant. Elle pâlit soudain, en songeant à sa nouvelle demande. Elle comprenait à présent à quoi elle allait s’exposer. La princesse avait sous-estimé les Transmutateurs de son père. Ils présentaient un talent assez versatile, une virtuosité assez absolue pour créer une incroyable merveille… ou une incroyable monstruosité . Elle aurait dû se douter que se trouvaient parmi eux des maîtres dotés des mêmes capacités que sa mère.

Elle se sentait subtilement trahie. Après tout, ne partageait-elle pas une partie de son sang avec les Compromis ?

Ses yeux s’écarquillèrent : pourquoi n’y avait-elle pas pensé plus tôt ? Après tout, tout comme Ell'See, elle possédait un talent inné pour la transmutation liée au vivant.

— Tu as raison, Ellezee, soupira-t-elle. Je vais en prendre mon parti jusqu’à en être délivrée. Peux-tu me laisser seule, à présent ?

Après un instant d’hésitation, la servante opina et se dirigea vers la porte. La princesse attendit qu’elle ait disparu pour poser ses deux mains sur son cœur, là où le joyau avait sombré sous sa peau. Elle ferma les paupières et se concentra pour repérer sa présence. Sa nature était complexe, mais il s’agissait avant toute chose d’une graine. Elle pouvait être endormie par la fameuse clef. Une fois inerte, elle quitterait sans doute d’elle-même le corps de son hôtesse. Avec cette certitude en tête, elle usa de ses maigres connaissances pour forcer ce processus. Après tout, il lui était arrivé de faire éclore plus rapidement les fleurs de son jardin. Elle devait emprunter le même cheminement, mais dans le sens inverse.

La jeune fille s’allongea sur la méridienne installée au bord du bassin d’eau chaude et invoqua toute l’énergie dont elle disposait. Elle sentit le flux baigner sa poitrine, et s’efforça de la rediriger vers la graine. Naan’See avait l'impression de soulever une montagne, tant le procédé drainait ses forces. Au bout d’un long moment, ses bras retombèrent, inertes. Elle avait dû brièvement perdre connaissance. Péniblement, elle se redressa sur un coude, et contempla son corps, dans l’espoir de le voir libéré… hélas, il n’en était rien. Quelques feuilles jaunies et une poignée d’insectes recroquevillés jonchaient le sol autour de la méridienne, mais la robe s’était déjà régénérée. Elle avait échoué…

La jeune fille enfouit son visage entre ses mains et se mit à sangloter. Elle avait été l’instrument de son propre destin, en suivant le conseil mal avisé de Zellin'aa.

Non. C’était faux. Le roi était le seul responsable et sa tante avait fait de son mieux pour l’aider. Elle aurait dû se douter que ses pouvoirs de transmutation n’étaient pas assez puissants pour parvenir à contrer une réalisation aussi magistrale.

Ses pouvoirs…

Pourquoi n'y avait-elle pas pensé plus tôt ? Après tout, son père ignorait tout de sa nature hybride. Même s’il avait en grande partie perdu l’esprit, il n’en avait pas abandonné pour autant le souci de sa dynastie. Aucun roi ne voudrait salir le sang de sa descendance légitime avec celui des Compromis ni celui d’une simple servante. Il lui suffirait de rendre à ses traits leurs caractéristiques originelles pour qu’il se détourne enfin d’elle.

Puisant dans ses dernières forces, Naan’See se leva de la méridienne pour retourner dans sa chambre. Elle devrait tout d’abord récupérer, avant de mettre son nouveau plan à exécution.