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Disparates, les enfants d'une nouvelle ère
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tome 1, Chapitre 13 « Chapitre 13 - Cicatrices » tome 1, Chapitre 13

Le voyage est assez dur. N’ayant pas dormi de la nuit, nous sommes exténuées et la route semble très longue. Il fait désormais jour et nos estomacs se sont réveillés en même temps que le soleil. Nous avons passé plus de trois heures murées dans un silence pesant. Ce qu'il s'est passé... est encore difficile à réaliser pour nous. Parfois, je vois le corps de Misty trembler du coin de l’œil. Elle semble avoir comme un genre de crise incontrôlée. De mon côté, entre le voyage en voiture et les souvenirs macabres qui me hantent, je me contiens de vomir toutes les cinq minutes... Mais devons rester forte, nous sommes seules à présent. Bordel, cette situation est tellement insensée... Nous deux dans cette voiture volée aux soldats, après que ceux-ci aient détruit nos vies en tuant sans le moindre remord nos si précieux parents. Enfin… je m’interroge vraiment sur le père de Misty. Je ne l’avais jamais vu avant et il semblait la mépriser au point de vouloir la tuer… Mais pour le moment, je vais m’abstenir de poser une question à ce sujet. Il est encore trop tôt.

J'aperçois un panneau indiquant le nom d’une ville à la prochaine sortie. Après avoir eu l’avis positif de Misty, je m’engage donc vers cet embranchement nous menant vers une ville nommée Snow shoe. Après tout on ne peut pas continuer dans cet état, nous avons besoin de dormir et réfléchir... si tant est que nous y arrivions. Pendant la route, Misty a pris le soin de compter l’argent que nous avons tout en vérifiant aussi le prix de deux billets d’avion pour Paris. La bonne nouvelle, c’est que nous avons largement assez pour prendre ces billets, car mes parents m’ont laissé au moins deux fois plus que la somme nécessaire. Nous pouvons donc nous permettre de prendre une chambre d’hôtel pour nous reposer dans cette petite ville. Aussi, ils ont veillé à laisser des dollars américains, mais également des billets français pour pouvoir nous en sortir après notre voyage en avion, ils ont vraiment pensé à tout…

  Après une petite recherche, nous avons fini par trouver un petit hôtel dans lequel nous avons pris une chambre. Après avoir récupéré la carte d’accès à notre chambre, nous sommes allés prendre un déjeuner dans une brasserie juste à côté avant de rejoindre à nouveau l’hôtel. Enfin, disons plutôt que nous nous sommes obligées à manger un peu, malgré notre mal-être et notre fatigue que ni l'une ni l'autre n'avait désormais la force de cacher aux autres.

Dès l’entrée dans notre chambre, nous nous sommes étalées chacune sur un lit, complètement épuisées. J’ai cependant décidé d’aller prendre une douche avant de me reposer. Seule dans la salle de bain fermée, j’ai remarqué les figures de Lichtenberg qui sont apparues sur mes bras, me rappelant alors le moment qui a provoqué leur apparition. Je passe mes doigts sur ces traces, puis serre le poing. Je suis à jamais marquée par cet événement douloureux et je ne pourrais jamais oublier ça, avec ou sans ces cicatrices. Quelques secondes passent alors que je reste hypnotisée par mes souvenirs, puis je reprends mes esprits et déclenche le jet d’eau de la douche. La fraîcheur de l’eau me fait d’abord sursauter, mais celle-ci se réchauffe rapidement, m’entourant d’une buée opaque. La chaleur et l’impression de me trouver pour un court instant loin de tout mes soucis m’apaise.

J’ai fini par laisser ma place dans la salle de bain à Misty, qui voulait elle aussi prendre une douche. J’avais emprunté un tee-shirt dans le sac de ma chère Misty, qui avait même pensé à en prendre pour moi lorsqu’elle rassemblait ses affaires. Les cheveux encore humides, je me suis étalée dans ce qui est mon lit pour une nuit. Il est tellement confortable que je pourrais m’endormir en un clin d’œil. Mais je tiens bon, ne voulant pas laisser mon amie seule.

Elle finit alors par sortir de la pièce, se séchant les cheveux avec une serviette blanche de l’hôtel. Mais lors de son arrivée, j'aperçois une chose que je n’avais jamais remarqué auparavant. Une longue marque horizontale, sûrement une cicatrice, est présente tout le long de son cou. Face à mon air stupéfait, Misty semble se souvenir de son existence et porte une de ses mains à son cou. Son visage, qui était auparavant neutre, s’est immédiatement transformé. Elle semble gênée et plisse les yeux qu’elle avait détournés des miens. Après un petit silence, elle prit la parole.

- Je suppose que tu veux une explication ?

- Si tu veux bien me dire ce que c’est, oui. Tu caches ça depuis combien de temps ? Et comment tu fais pour le cacher ?

- Je mets beaucoup de fond de teint, tout simplement. Elle n’est pas trop visible alors elle est facile à cacher. Et j’ai ça depuis mes deux ans… Je te préviens, ce n’est pas du tout une histoire joyeuse…

Je garde le silence. Ce qu’elle vient de me dire me sidère déjà. Elle a cette cicatrice depuis ses deux ans et personne ne l’a jamais remarqué. Pas même moi, bien que nous ayons passé énormément de temps ensembles ces derniers mois. Elle devait vraiment tout faire pour la dissimuler. Cette marque cache alors sans aucun doute une horrible histoire. Devant mon silence, l’incitant à continuer du regard, Misty reprit la parole après un souffle montrant sa résolution.

- Je t’ai dit le jour de notre rencontre que ma mère avait fait un déni de grossesse jusqu’à l’accouchement. Elle était ravie de m’avoir. Elle m’a chouchouté autant qu’elle le pouvait. Mais mon père n’était pas du même avis. Il n’a jamais souhaité m’avoir et me voyait comme un poids inutile. Et il me l’a bien fait comprendre. D’abord en m’ignorant presque complètement et me repoussant chaque fois que je tentais de l’approcher. Puis vint l’année de mes deux ans. C’est à ce moment que j’ai commencé à développer mon don. Des bourrasques survenant à l’intérieur de la maison, seule dans ma chambre dont la fenêtre était fermée, mes parents comprirent vite ce qu’il se passait. Mon père, à cette découverte, fut pris d’une rage intense à mon encontre. Il me méprisait déjà, alors c’était sûrement la goutte de trop. Il a bondi sur moi après avoir récupéré la ceinture de son pantalon et a commencé à m’étrangler de toutes ses forces. Je n’aurais sûrement pas tenu longtemps sans l’intervention de ma mère. Elle a réussi par je ne sais quel moyen de le faire lâcher prise. Mais bien qu’il m’ait laissée en vie à la demande de ma mère, j’aurais pour toujours cette marque pour me rappeler à quel point il ne voulait pas de moi. Depuis ce moment il ne m’avait plus jamais regardée et ne m'avait même pas une seule fois adressé la parole. Ma mère me donnait deux fois plus d’amour au fil des années, mais la douleur ne s’est jamais vraiment dissipée.

Je restais muette suite à son récit. Comment réagir face à ce genre d’histoire ? Qui plus est racontée par celle que je considère comme ma sœur… Je ne peux même pas imaginer ce qu’elle a dû ressentir toutes ces années, à vivre dans cette condition, certainement la boule au ventre chaque jour. Je comprends maintenant pour quelle raison elle n’avait jamais accepté de m’inviter chez elle. Et désormais, je comprends également la réaction de son père lorsque les soldats ont débarqué chez elle. Qui sait, peut-être est-ce lui qui les a appelés, après avoir pris connaissance de ces rumeurs qui circulaient sur nous ? Ou tout simplement, il n’a rien voulu faire pour elle lorsqu’ils sont arrivés… Mais je n’arrive toujours pas à croire que l’on peut être aussi mauvais avec sa propre fille. Ayant vécu dans une famille soudée, j’ai du mal à comprendre que l’on puisse agir de cette manière.

Ne sachant pas quoi lui dire et voyant son visage fermé sur le point de pleurer, la seule chose qui me vient en tête est de la prendre dans mes bras. Je sens alors ses mains s’accrocher à mon tee-shirt. Elle me serre fort, pleurant toutes les larmes de son corps contre moi, mais elle restait tout de même assez silencieuse. Nous restons comme ça un moment. Si pleurer peut la soulager de sa douleur, après avoir enfin réussi à en parler à quelqu’un, alors je resterai tout le temps qu’il faudra.


Texte publié par Lubellia, 11 juin 2020 à 21h20
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