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tome 1, Chapitre 7 « Konzen'ittai* » tome 1, Chapitre 7

Silence.

Dans le miroir, l’autre le fixe avec effroi. Ses traits déformés reflètent sa terreur et son angoisse. D’ombre et de matière, il esquisse un sourire qui en rien ne l’apaisait, mais l’effraie de plus, et cela le satisfaisait.

Silence.

Satô ! Satô !

La voix est un souffle rauque dans son dos.

Silence.

不言**

Silence.

Une pluie fine tombe et lui colle les cheveux sur le crâne. Quelques gouttes coulent dans ses yeux et lui brûlent la rétine ; d’un geste machinal, il les essuie.

Silence.

Satô ! Satô ! La voix est devenue plus aiguë, plus ténue, plus sifflante également.

Le temps file, l’espace se fige, il fixe Kagami Sensei, impassible.

Un sourire satisfait se dessine sur ses lèvres.

Silence.

Ses mains gantées écartent avec lenteur les pans refermés du kimono. La tête penchée en avant, le menton posé contre son sternum, elle ne bouge plus, elle ne bougera plus jamais. Plongé dans la clarté crue du lampadaire, le visage demeure ombrageux, comme si les ténèbres elles-mêmes avaient peint sa figure.

Silence.

Les derniers lambeaux de chair tombent.

Silence.

Ses doigts effleurent le mort. Porté à la carotide, il ne sent rien, seulement le durcissement de la chair. Quelqu’un crie derrière, un autre hurle et la pluie, sans fin, continue de s’abattre. Indifférent à l’agitation, il contemple le cadavre.

Silence.

Dans le miroir, son reflet se retire ; le vide, la nuit, le rien.

Silence.

Posée sur le binkake, la lame du tentô brille de mille éclats.

Silence

Le son du silence

est toute l’instruction

Que tu recevras

Masque de mort ricanant, la mâchoire affaissée, des lèvres entrouvertes s’échappe un souffle glacial ; une vapeur fétide qui s’exhale de la bouche grimaçante, cependant que le visage se redresse. Laquée de noir, la figure s’écaille par endroit, laissant apparaître par-devers son reflet dans le néant.

Silence.

Dans le miroir, il voit.

Silence.

Violemment, il écarte les pans du kimono. Tatoué sur la poitrine dans une encre couleur obscure.

円***

Silence.

Cérémonieuse, l’ombre s’est retirée. Du plat de la main, il caresse le bois verni, elle est noire et sa lame est blanche.

Silence

Dans le miroir, elle est blanche et sa lame est noire.

Silence.

La main posée sur la poitrine du mort, il contemple la sienne.

Silence.

満****

Un sourire habille ses lèvres. Il sait.

Silence.

Sa main se retire. Quelqu’un pose la sienne sur son épaule ; il ne bouge pas. Impassible, il fixe le cadavre désarticulé, les pans de son kimono entrouvert sur une poitrine large ; une tache à hauteur du cœur.

Silence.

Plongé dans le miroir, il a échangé la poupée blanche contre la poupée noire. Dans le sourire du miroir, ses dents sont devenues noires. De rire, il éclate.

Silence.

Les paumes ouvertes, sous la pluie, la tragédie se poursuit. D’un geste brusque, il se redresse et bouscule l’homme qui se tient derrière lui. Surpris, l’homme manque de peu de laisser s’échapper le parapluie des mains. Livide, il le fixe, la bouche grande ouverte.

Silence.

円満*****

Silence.

Dans une flaque, le parapluie flotte tandis qu’il se remplit peu à peu d’eau.

Silence.

Lame noire, lame blanche. Poupée noire, poupée blanche.

Tac, tac, tac.

Le bruit des pas qui se rapprochent.

Cat, cat, cat.

Le bruit des pas qui s’éloignent.

Les paupières closes, la main dextre refermée sur le tentô. Dans le miroir, l’ombre se décompose.

Silence.

Satô ! Satô !

Derrière lui, la voix s’éteint. Dans la ruelle, les sons qui lui parviennent encore se meurent. La main dans la flaque, il étouffe la douleur née dans sa paume. Les lumières qui l’entourent se fondent dans le noir.

Silence.

Les yeux grands ouverts, il devine le masque blafard de Kagami Sensei suspendu dans les ténèbres ; baudruche grotesque et défaite.

Silence.

Un sourire se dessine sur ses lèvres.

Silence

Inspiration ! Expiration. L’air contenu dans ses poumons s’expulse comme la lame glisse sur le bois verni.

Silence.

Sentencieux, il referme le kimono du gisant. Dans ses yeux vitreux, il contemple son reflet en creux. Vision d’un mort en attente de sa renaissance ; ses lèvres s’élargissent.

Silence.

Sur le tatami, la tête achève sa course. Ses doigts se détachent du corps de la poupée kokechi. Posée sur le binkake, la lame du tentô lui renvoie la figure d’un homme serein. En face de lui, le corps massif de Kagami Sensei s’est affaissé.

Silence.

Encore une fois, il contemple le creux de ses mains et les referme. Silencieux, il se relève et ramasse le parapluie tombé par terre, puis le lui tend.

Silence.

Autour de lui, les ombres font silence. Sentencieuses, elles glissent le corps sur une litière puis se retirent.

Silence.

Le regard tourné vers le ciel couleur orage, il savoure la rumeur de la nuit.

渾然一体*

La saveur d’une nouvelle vie.

Silence.

*konzen'ittai : En parfaite harmonie

**Fugen : Silence

*** En

**** Man

*****Enman : Concorde.


Texte publié par Diogene, 3 avril 2021 à 22h40
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