Silence.
Dans le miroir qui le compose, il devine la chose. Elle est semblable à lui-même si ce n’était la lumière. Plongé dans l’obscurité, son reflet l’est en pleine lumière. Sa main portée à son visage, l’autre en fait autant, puis il la repose.
Silence.
Les yeux baissés, il contemple la petite tablette en bois laqué dans laquelle se reflètent les échos de la lune. De l’index, il les effleure, cependant qu’ils se teintent d’obscur. Dans le miroir, la chose rit, elle se moque de lui ; sur joues pâles, des taches minuscules apparaissent puis s’étalent ; ses lèvres entrouvertes dévoilent des dents noircies.
Silence.
Las, il contemple sa main ; celle-là même par laquelle il a failli. Au creux de sa paume, un fragment de chair ; dans le miroir, l’autre le fixe, les yeux à peine visibles derrière ses paupières étrécies ; dans sa main aussi, repose un lambeau de peau.
Silence.
Collée sur son visage, elle obombre sa figure.
Silence.
Bientôt, il sera lui. Bientôt, elle sera lui ; il sourit. Dans le miroir, le pâle visage se déchire et en dévoile un autre.
Silence.
Agenouillé dans une flaque d’eau, il tend une main gantée vers son visage. Penché sur le côté, l’œil vide le fixe. Dans l’obscurité semi-liquide, son regard se fige, cependant qu’une eau glaciale pénètre à l’intérieur de sa gabardine.
Silence.
Dans le miroir, la chose le fixe.
Silence.
Tatoué sur sa joue,
Silence.
Dans la rue, les passants marchent indifférents. Il voit leurs silhouettes ourlées de rouge et de bleu traverser en toute hâte la rue, cependant que la pluie redouble d’intensité.
Silence.
Posé sur le plateau, ses doigts effleurent un autre lambeau. Sa texture est ferme et douce à la fois ; dans le miroir, une tache nouvelle apparaît.
Silence.
Entends !
Silence.
Les yeux clos, les lèvres scellées ; seul lui parvient encore le bruit de sa respiration. Souffle de plus en plus léger, de plus en plus court, cependant que dans sa poitrine s’enfonce le tentô.
Silence.
Les doigts encore refermés sur le manche, il observe avec indifférence le sang qui s’écoule de la plaie béante. Nulle peur, nulle douleur ne le saisit ; dans le miroir, l’autre en a fait autant.
Silence.
La main sur la poitrine, il écarte les pans de la chemise collée par la pluie.
Silence.
Au milieu, il y a le trou blanc ; au milieu, il y a le trou noir. Dans le miroir, l’autre lui tend un cœur noir, lui un cœur blanc. Dans le miroir, son visage est devenu noir, dans le noir son visage est devenu blanc.
Silence.
Ses doigts glissent sur la fine cicatrice ; de l’index, il éprouve la texture.
Silence.
Comme dessiné à la sanguine, un sourire bée à la base de sa nuque ; lèvres entrouvertes sur une bouche édentée.
Silence.
Dans le miroir, l’autre lui a confié son cœur blanc, en échange il lui a donné son cœur noir. Disposée sur le plateau, la lame scintille doucement ; de son visage, l’un des lambeaux de chair se détache et révèle une tache.
Silence.
L’index appuyé sur la joue, il détache le lambeau, puis le glisse dans un sachet de plastique et referme sans un mot ; des gouttes d’une pluie noire et grasse s’écrasent dessus.
Silence.
Un problème ?
Quelque part derrière lui, quelqu’un lui parle ; il se retourne. Une silhouette se tient debout ; un immense parapluie bleu nuit le protège. Son visage n’est plus qu’une caricature, traits grossiers tracés à la hâte où figure bouche, nez et yeux.
Silence.
Non.
Les mots sortent seuls de sa bouche, mais ce n’est plus lui qui les prononce, mais l’autre. Détaché, il se regarde les articuler, cependant que l’ombre massive de Kagami sensei le domine.
Silence.
Le regard vide, il contemple le fragment de chair posé sur le plateau. Du bout des doigts, il le caresse, devinant les infimes renflements de la peau.
Haji.
S
a voix n’est plus qu’un souffle, cependant qu’il sent la pièce se refermer sur lui.
Silence.
Dans le ciel, la lune n’est plus qu’une minuscule tête d’épingle.
Haji.
Silence.
Son poing se resserre autour du sachet qui s’écrase dans un bruit aigu de plastique froissé et torturé, cependant que l’orage redouble d’intensité.
Silence.
Au creux de sa paume, il contemple la poupée kokechi qui le fixe de ses yeux sans vie. Il esquisse un geste en direction du tentô, mais sa main est devenue soudain bien trop lourde et retombe. Gravé sur le tranchant de la lame,
Dans l’ombre du miroir, il croit devine le regard de Kagami sensei.
Silence.
Haji.
Ses doigts s’égarent sur les replis de chair de la fine cicatrice.
Silence.
Oohaji.
Le cri muet jaillit de sa poitrine. Le poing serré, il se mord la chair jusqu’au sang, cependant que de son cœur blanc suintent les larmes d’un suc amer.
*Humiliation, fait de perdre la face
** Haji : Honte
*** Son du silence
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