À la base, on devait juste se prendre quelques vagues, entre potes comme ça, en loucedé. Le confinement, on se sentait pas trop concernés. Enfin moi si, parce que j'ai mes grands-parents qui sont sympas, que je vois souvent et que je voudrais pas qu'ils se choppent cette saloperie de COVID, mais les potes moyen, quoi. J'avais déjà refusé plusieurs fois de venir surfer avec eux, mais ce jour là j'avais grave le seum parce que pour les vacances à New-York cet été, mes darons m'avaient dit que c'était définitivement mort.
Et puis de toute façon, c'était des conneries, d'interdire les plages : c'est vrai, y'a jamais personne et même quand il y a du monde, on est jamais à moins d'un mètre des autres surtout pour surfer ! En plus, le virus, il se transmet pas dans l'eau donc ça va, quoi !
Bref, j'suis allé les rejoindre à la plage. Les mecs connaissaient un spot où on pouvait se barrer facilement si on voyait les keufs arriver. En gros, on se mettait entre deux chemins : s'ils se pointaient par la gauche, on se tirait à droite pour se planquer dans le garage de Mehdi, et s'ils se ramenaient par la droite, on filait à gauche et on se réfugiait dans le jardin de Kevin. Suffisait juste de surveiller la plage à tour de rôle pour ne pas se faire gauler. Easy.
Au début, c'était génial : Les vagues étaient trop bonnes, il faisait beau, on se marrait bien, pas un képi à l'horizon. Nickel.
Après un moment, on est sortis de l'eau et on s'est posés sur nos planches, sur le sable, juste pour cinq minutes – en respectant la mesure de "distanciation sociale".
J'avais apporté des bières, Kevin des clopes, Mehdi du coca – en cannettes, bien sûr, pour éviter la contagion, et Mathieu a sorti des muffins de son sac. Il nous en a lancé à chacun en nous précisant :
"Je les ai faits moi-même."
Franchement, Mathieu qui cuisine un truc, j'aurais dû me méfier. Mais j'avais tellement la dalle que j'ai pas fait gaffe. Je l'ai mangé direct. J'ai trouvé que le chocolat avait un drôle de goût, mais ça restait carrément mangeable. Je lui en ai redemandé deux fois.
Et puis j'ai commencé à me sentir… Je sais pas… un peu genre en train de planer. J'avais l'impression de surfer sur le sable. Mehdi avait l'air carrément à l'Ouest et Enriqué regardait fixement la plage à travers le prisme vert-bouteille de sa Kronenbourg.
Là Mathieu nous sort : "Devinez un peu l'ingrédient spécial que j'ai ajouté à la farine !" On l'a regardé un moment sans comprendre et lui a commencé à se marrer d'un air bête.
C'est son frère qui a réagit le premier :
"Nan, dis-moi qu' t'as pas fait ça…
- Ça quoi ?" j'ai fait.
Et l'autre s'est mis à glousser encore plus fort.
"Putain ! C'est des space-cakes ! C'est du cannabis qu'il a mis dedans !"
Mehdi s'est mis à jurer et à lui balancer du sable à la gueule.
"Mais sérieux t'es trop con ! Comment j'vais m'faire trop déchirer si mes parents s'en aperçoivent !
- Ben en attendant, c'est toi qu'est trop déchiré !"
Je lui ai balancé du sable aussi. On aurait dit des gosses de cinq ans.
" … Vous trouvez pas que l'océan est bizarre ?" A soudain demandé Enriqué d'un ton détaché.
Il était là, assis sur son surf, le regard perdu à l'horizon. J'ai pouffé.
- Vas-y, t'as mangé combien de muffins ?
- Arrête, il a grave raison !" a ajouté Kevin.
Alors j'ai observé la mer, moi aussi. Et là, j'ai vu une espèce de grosse vague qui se rapprochait de la côte.
" C'est un putain de tsunami !
- Nan, on dirait un gros truc qui vient sous l'eau, genre un sous-marin…
- Arrête, c'est trop gros pour un sous-marin…
- Une baleine ?
- T'es con, une baleine c'est plus petit qu'un sous-m…"
Là, on s'est tous tu, saisis d'effroi. Une masse énorme s'est élevée au dessus de l'eau, genre plus haute qu'un immeuble et un tentacule qui devait faire au moins quinze mètres a jailli des flots.
"OH PUTAIN ! C'EST CTHULHU ! C'EST CTHULHU !" A gueulé Mathieu. On a choppé nos sacs et on s'est mis à courir comme des fous.
"MATHIEU ! LAISSE TA PLANCHE !" A crié Enriqué.
J'ai jeté un coup d'œil en arrière et j'ai vu les frangins se faire chopper par des bras immenses, couverts de ventouses. J'ai lâché mon sac et j'ai couru encore plus vite. A côté de moi, Kevin est tombé et a été entrainé dans l'eau, hurlant. Mehdi et moi, on a sauté derrière la dune, roulé dans le sable, et on a tracé direct jusqu'à son garage, sans nous arrêter.
Jean-Romuald était contrarié. Ses informateurs lui avait certifié que les humains avaient disparu. Il était venu s'en rendre compte par lui-même et quelle était la première chose qu'il avait vue sur la plage ? Je vous le donne en mille : cinq de ces fichus bipèdes. Certes, c'était peu, mais néanmoins assez pour prouver que l'espèce n'était pas éteinte, contrairement à ce que prétendait la rumeur.
Et assez aussi pour donner l'alerte et risquer de faire échouer son plan de conquête. Il en avait attrapé trois, qu'il donnerait en pâture à ses requins d'élevage, mais deux autres avaient réussi à lui glisser entre les ventouses.
A présent qu'il avait été vu, il allait falloir précipiter un peu leur projet. Mais peu importait, après tout.
Jean-Romuald savait qu'ils étaient prêts, lui et les siens. Ces millénaires passés à se terrer au fond des océans et dans les failles sous-marines allaient prendre fin pour les céphalopodes de toutes espèces, depuis les plus petits poulpes Dumbo jusqu'à ses propres frères et sœurs, les Gigantic Octopus. L'heure avait sonné de détrôner l'espèce humaine, bruyante, pollueuse et décadente, à la tête du monde.
Ils allaient enfin sortir.
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