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Quatrième nouvelle

A la source ...

Elle vivait au bord de la Loire. Pas le large fleuve, un peu sauvage, qui passe à Blois ou à Orléans, avec ses langues de sable mouvantes et ses tourbillons étranges. Non, mais à la source, au tout début, dans le Massif central près du Mont Gerbier des Joncs, quand de ruisseau à Sainte-Eulalie, elle devient petite rivière à Solignac.

Elle habitait au bord de la jeune Loire. Ses parents l'avaient appelée : Marie-Loire. Et dès que le temps était assez chaud, elle vivait dehors, au bord de la rivière ou se laissant glisser dedans, au gré du courant. L'eau douce savait la bercer, l'eau vivante savait la caresser ; sur ses joues et son nez, elle gardait des poussières dorées, comme des grains de sable que la Loire lui aurait donnés.

Quand Marie-Loire eut quatorze ans, elle faisait du bateau autant que du vélo et elle connaissait toute la contrée. C'est ainsi qu'elle pédalait jusqu'à la Semène, ce petit affluent où l'on pouvait facilement construire des barrages. Elle empilait des cailloux et des pierres, savamment et s'amusait quand pour un moment, l'eau du ruisselet était stoppée, à voir les petits poissons et les alevins s'étonner, rebrousser chemin, revenir, faire demi-tour, hésiter, dans le petit lac qu'elle avait créé. Et puis, elle redonnait au ruisseau le fil de son eau, libérait ses otages et empilait les pierres pour cette fois faire chanter la rivière... Car l'eau jouant à saute-mouton, faisait ce petit glou-glou qu'elle aimait bien, ce petit clapotis qui rafraichissait ses oreilles autant que l'eau refroidissait ses mains. Puis après ces jeux d'eau, les seuls qu'elle affectionnait, elle reprenait son vélo pour aller voir le Furan, cet autre affluent tout encombré d'herbes, de roseaux, de lentilles d'eau où l'on pouvait jouer à attraper les puces aquatiques, à regarder les ailes bleutées des libellules, à surprendre des poules d'eau. Ou bien elle allait saluer la cascade de la Beaume, à quelques kilomètres, un peu plus loin.

La cascade était un lieu magique. Au coeur du mois d'août, comme elle était agréable cette petite brume fine chargée de gouttelettes, comme elle était douce, cette mousse humide et gorgée de fraîcheur qui recouvrait les rochers et les berges. Ensuite, sous la cascade, Marie-Loire prenait carrément une douche vivifiante qui lui martelait la tête.

Ce fut un dimanche, alors qu'elle venait nager à la cascade, qu'elle rencontra Pierre. Mi- garçon, mi-poisson, il passait l'été dans l'eau, tout comme elle. Il avait des yeux verts comme les reflets à la surface des plans d'eau et des mèches brunes qui s'égouttaient lentement ou qu'il ébrouait comme font les chiens pour sécher leur pelage. Il jouait à déloger les écrevisses, juste pour les embêter sans se faire pincer et il cultivait l'art du ricochet. Il enseigna donc à Marie-Loire où trouver de belles pierres bien plates et comment adopter le bon geste, à fleur d'eau, pour que le galet fasse un premier saut, puis deux, trois, va savoir peut-être quatre ou cinq ! Ils s'entrainaient souvent ensemble, ils riaient et puis un jour sous la cascade, il l'a embrassée, l'eau fraîche et pure se mêlant à leur premier baiser. Et un peu plus tard, c'est tout naturellement que, pour leurs premières étreintes et pour s'offrir leurs corps frissonnants et ondulants, ils choisirent le lit de la rivière.

Pierre et Marie-Loire ont grandi, mais pas tant que ça. Ils continuent leurs jeux et sont maintenant habiles pour fabriquer de petits bateaux avec des écorces de bouleau. Ils savent, sur le tout petit ruisselet, à la source de la Loire, faire voguer leur flottille, s'inventer un port creusé dans les graviers ou un moulin à eau brassant le flot limpide. Ils ne partent pas en vacances, l'idée ne les a pas effleurés. Ils ne rêvent pas d'océan, ni de vagues, ni d'algues, encore moins de marées salées. Ils attendent l'été pour aller se baigner en eau douce, pour paresser au fond d'une barque, pour manger des glaces sur le petit pont en ne laissant tremper que le bout des pieds. Maintenant ils partagent une maison à moitié amarrée à la terre et surplombant à moitié la rivière, pas loin de Solignac. L' hiver, Marie-Loire fait de l'aquarelle. De la peinture à l'eau. Elle peint des tâches bleu clair et vert d'eau, qui se mêlent au hasard et puis trois traits jaillissent, sombres et précis, ce sont trois roseaux. Elle esquisse un nénuphar, elle imagine un oiseau. Et puis elle rince ses pinceaux et va coller son nez au carreau en regardant tomber la pluie sur la rivière, multitudes de petits points qui dansent.

Après trois automnes, le ventre de Marie-Loire s'est arrondi. Elle allait être mère. Pierre était content. Ils attendirent neuf mois sans aucun souci et l'accouchement ne fut pas difficile. Mais le moment le plus fort de cette aventure, c'est ce dimanche, le 23 mars, premier jour du printemps, où Marie -Loire a perdu les eaux.

Debout à la fenêtre, tenant son bol de café, regardant les petites pousses vertes envahirent les arbrisseaux et verdir les berges, elle a senti couler le long de ses jambes, la petite rigole, le joli ruisseau annonçant la naissance toute proche. Marie-Loire s'est senti source. Elle était rivière. Et tout doucement, elle a appelé Pierre.

Une petit fille était née avec de beaux yeux verts et des poussières dorées sur le nez. Ils l'ont appelée : Eaurore. C'était une enfant vive et joyeuse. Dès que le temps était assez chaud, elle vivait dehors, au bord de la rivière ou se laissait glisser dedans, au gré du courant... L'eau douce savait la bercer, l'eau vivante savait la caresser...

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