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tome 1, Chapitre 3 « Premiers pas. » tome 1, Chapitre 3

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Troisième nouvelle

Premiers pas.

C'était le mardi et le jeudi soir, qu'ils se retrouvaient tous autour de la table de l'Essivam, cette association menée par des bénévoles. Yukino, Assia, Consuela, Fatoumata, David et Roberto faisaient leurs premiers pas, avec une motivation admirable et avec mon aide. Car elle n'est pas facile, la langue française ! Mais ils voulaient pouvoir mieux s'exprimer dans le pays où ils vivaient.

A trente, quarante ou même cinquante ans pour Roberto, ils revenaient à l'école, avec des cahiers et des crayons, mesurant tout le travail qui s'annonçait pour eux. Ils maitrisaient tous les six, à peu près le même petit vocabulaire. C'est ce que j'avais constaté en septembre, la première fois que nous nous étions rassemblés. Depuis, des amitiés s'étaient formées. Yukino, la jeune japonaise, venue de Sapporo s'entendait bien avec Assia. Elles avaient, toutes les deux, cette discrétion culturelle, éternellement souriante pour l'une et joliment voilée pour l'autre. Le Japon du Nord avait rencontré l'Afrique du Nord ! Consuela s'était rapprochée, on pourrait dire maternellement, de Fatoumata et elles riaient forts, toujours exubérantes et joyeuses ces deux-là ! Leur alliance semblait sceller le rapprochement de l'Espagne et de l'Afrique noire. Au milieu de tant de filles, David et Roberto faisaient équipe évidemment, se soutenant pour apprendre et se soufflant souvent les bonnes ou les mauvaises réponses, il faut bien l'avouer.

Car même si nos soirées d'apprentissage du français ne se déroulaient pas comme dans une classe d'écoliers, certaines similitudes pouvaient néanmoins être observées. Comment éviter les listes de vocabulaire ... Comment se passer des tableaux de conjugaison.... Mais l'essentiel de notre travail, restait quand même la discussion et j'inventais mille occasions pour mettre mes élèves en situation, n'hésitant pas à amener des décors, des tickets, des baguettes de pain, des tomates et des poireaux, afin de mieux nous représenter les sujets que nous abordions. Conversation au guichet d'une gare. Questions réponses dans une boulangerie ou à la pharmacie. Discussion au téléphone ou tout simplement récits de vacances entre amis, dans un restaurant. Des séances pour remplir papiers administratifs ou documents officiels étaient aussi organisées. L'oral était privilégié mais l'écrit n'était pas oublié.

A l'oral, notre pauvre français, pendant tout l'automne fut bien malmené... De Consuela qui roulait terriblement les " r ", amplifiant démesurément les mots, "frrrites, courrrage ou barrrièrrre" à Yukino qui n'arrivait pas à les prononcer et murmurait, hésitante, des " te- ibles colè- es !", notre langue prenait des reliefs auxquels elle n'était pas habituée. J'avais un peu de fierté malgré tout, en ce mois de mai, à voir tous les progrès accomplis et comme chacun d'entre eux avait acquis une prononciation tout à fait compréhensible, avec en plus, les différents petits accents qui coloraient délicieusement les mots ou la mélodie des phrases, ces petits accents apportant le charme de leurs origines à notre belle langue française.

Mais que de travail pour en arriver là ! Qu'il était difficile de faire le partage des féminins et des masculins ! D'engranger dans sa mémoire " LE soleil, mais LA lune, LE jour, mais LA nuit ! Bien sûr nous avons souvent comparé les différences avec le japonais, l'arabe, l'espagnol ou l'hébreu. Nous utilisions des couleurs évidentes, mots masculins chaque fois écrits en bleu, féminins en rose ou en rouge. Et pourquoi la Seine coule-t-elle au féminin et le Rhône au masculin ? UN fleuve, UN ruisseau, Un torrent et pourtant UNE rivière, allez expliquer tout cela ! Le français compte d'ailleurs énormément de mots pour désigner " les cours d'eau", alors qu'en arabe, c'est pour le mot "chameau", qu'on dispose de dix mots !

Et comment expliquer des transformations aussi compliquées que celle de notre verbe " aller", pourtant si utile au quotidien ? "Je vais, tu vas" mais "nous allons et vous allez". Et non David, au futur, ce n'est pas : " j'allerai, tu alleras", mais plutôt "j'irai et tu iras". Vous dire le regard de ces apprentis des verbes en ces moments -là, m'est impossible... On y lisait une peur de s'égarer comme dans un quartier inconnu, le trouble de ne pas bien comprendre, la crainte ensuite de ne pas se souvenir et parfois, des soupirs laissaient paraitre un certain désespoir face à l'adversité. Il fallait alors rassurer, relativiser et redonner une bouffée d'optimisme pour requinquer le moral des troupes. J'avais remarqué que pour ce faire, il suffisait parfois de prendre le problème à l'envers. Et je leur demandais de m'apprendre le verbe "aller" dans leur langue maternelle. Que de rires je pouvais facilement susciter en écorchant le verbe "Ir", aller en espagnol, " yo voy, él va, nosotros vamos "! et après cet entracte où j'étais le centre de l'amusement, mais auquel je me prêtais bien volontiers, nous reprenions plus sereinement la conjugaison " à la française ", avec tous ses pièges contraignants et ses tournures totalement illogiques parfois. Je les guidais et je les épaulais alors dans leurs premiers pas..., comme on tient la main d'un enfant jusqu'à ce qu'il trouve lui-même, seul, son équilibre. Bien sûr, j'avais trié les verbes pour ne garder que ceux qui leur seraient indispensables. " Songer" était ignoré au profit de " penser" et nous adaptions parfois le verbe " regarder " là où "voir ", si complexe à décliner, aurait été plus recommandé. Il fallait savoir se faire comprendre, elle viendrait plus tard les finesses de la langue....

Notre petit groupe a travaillé "d'arrache-pied...." ah oui les expressions ! Là aussi, nous avons bien rigolé !... C'est ce qui nous a soudés et ce qui les a aidés à progresser. Roberto est parti au bout d'une année. C'est le Liban qui est venu s'asseoir à notre table, avec encore d'autres sonorités orientales, pour égayer notre langue ! Yukino, après trois années, parlait un français remarquable. La douceur de son phrasé quand elle lisait une poésie, lui donnait un velouté et une fraîcheur qui n'avait rien à envier à la lecture qu'aurait fait un Français de souche ! Car nous avions aussi nos moments de lecture. Qu'ils étaient friands de morceaux choisis, mes petits représentants de tous les pays ! Et quelle fierté sur le visage de Fatoumata, quand elle venait de déchiffrer quelques lignes d'un poème de Léopold Sédar Senghor, un compatriote, dont les créations avaient si bien servies notre langue. La littérature française, monument qu'ils reconnaissaient autant que l'Arc de Triomphe ou la Tour Eiffel, les impressionnait, les attirait malgré les difficultés à comprendre Victor Hugo ou Baudelaire.

Alors, à la maison, je parcourais de beaux textes en pensant à mes petits élèves, essayant de trouver un passage écrit avec des mots pas trop difficiles et évoquant un sujet, une tradition, un lieu, qui sauraient leur parler. Et quel bonheur, le mardi soir, de leur apporter, un petit morceau de nos belles oeuvres littéraires, petit cadeau, dont je voyais bien qu'il les touchait. Alors, ils disaient doucement " merci" ou parfois, et cela me comblait plus encore, il le disait dans la langue de leur pays....

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Texte publié par Lisa D., 7 mai 2020 à 10h17
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