C’était un soir de lune noire, elle s’élevait dans le ciel, obscur et sans éclat. Seule dans le parc, une femme évoluait au milieu des arbres, embrassant du bout des lèvres les fleurs entrouvertes. Sous la froideur de sa chair, elles s’ouvraient alors et exhalaient un parfum de mort, cependant que leur calice se flétrissait et que leur corolle dépérissait. Aussi, du bout de l’index, elle les caressait et les ressuscitait. Telle était sa nature, ombre et lumière, vivante et mortelle. Sur son chemin, personne n’aurait osé croiser son regard ; il n’y aurait découvert que les ténèbres qui l’habitaient. Lasse, elle s’enfonça dans ce qui fut jadis un labyrinthe végétal. Abandonnée, une flore devenue folle s’y était développée et avait tout englouti. Aucune joie, aucune larme ne semblait voiler son visage assombri. Devant elle se dressaient les squelettes expirés et décapités de vieux thuyas roussis et calcinés, sur lesquels s’appuyaient liserons et autres clématites. Sur l’un d’entre eux, un chèvrefeuille s’était enroulé et de ses fleurs minuscules s’échappait un parfum suave et capiteux ; elle sourit, sans pour autant se départir de ce sentiment d’étrangeté qui émanait de sa personne. Soudain, une paire d’yeux phosphorescents apparut au détour d’un angle. Elle reconnut sans peine une chouette effraie, dont le hululement résonnait dans la forêt. Indifférente à sa présence, le rapace nocturne s’envola à tire-d’aile ; sans doute avait-elle repéré une proie. Sur son visage, son sourire s’effaçait peu à peu, cependant qu’elle arpentait toujours plus profond le dédale. Quand arriverait-elle au centre ? Elle l’ignorait. Et, même si le soleil devait se lever, elle l’en empêcherait. Devant elle, le lassis végétal n’en finissait pas, envahi par les herbes folles et les lianes, il n’était plus que l’ombre de lui-même, mais elle s’en satisfaisait. Les unes luttaient, les autres régressaient et se terraient, puis ressurgissaient plus loin. Dans le ciel, les étoiles s’éteignaient, quand d’autres s’allumaient. La figure tournée vers le firmament, elle les observait d’un air gourmand. Entre le pouce et l’index, elle faisait semblant de les cueillir. Du bout du doigt, elle dessina la lune qui, tout à coup, s’illumina. Ensuite, elle s’éloigna ; elle était arrivée au centre du dédale. Tordu, rouillé, à demi effondré, ses marches recouvertes d’une mousse épaisse et de racines. ; le vieux kiosque donnait peine à voir. Un saule avait jailli de ses entrailles et avait transpercé sa coupole, tandis qu’une glycine s’était substituée à l’un de ses piliers. Combien d’amoureux, d’amoureuses s’étaient rencontrés ? Combien de couples avaient dansé, puis s’étaient défaits ?
Cheminant au milieu d’un sentier tapissé d’orties et de ronces, elle s’avança ainsi jusqu’aux degrés en marbre. Le centre du kiosque s’était depuis longtemps effondré et de l’eau s’était infiltrée dans la béance, où désormais la lune se reflétait. Assis de l’autre côté, un vieil homme la salua. Vêtue d’une veste en laine, avec des motifs en carreaux, et d’un pantalon de velours côtelé bien trop grand pour lui, il paraissait d’un autre âge. Posé sur sa tête, un vieux béret élimé complétait son appareil. Soudain, il se leva, puis se pencha, le bras tendu devant lui. Lorsqu’il se redressa, il tenait entre ses mains une ancienne canne à pêche en bambou ; au bout du filin, un hameçon aux reflets argentés se balançait doucement. Sûr de lui, il lança sa ligne qui tomba au milieu de l’écho. Laissant le vieux pêcheur de lune à son jeu, elle lui rendit son salut, puis s’éloigna de quelques pas. Ce soir, ils ne discuteraient ; ce soir elle demeurerait seule en cette nuit de lune noire.
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