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Depuis près d'un millénaire, perché sur la plus haute flèche de la cathédrale, il observait le monde. Son œil pénétrant ne perdait pas une miette des activités triviales et des agitations futiles de la race humaine. Ces êtres rampants, minuscules et pathétiques, qui avaient la prétention de se croire les maîtres du monde, allaient connaître la puissance de son courroux et subir la terrible vengeance pour laquelle il avait été créé. Car ce soir, enfin, l'alignement des astres était favorable et les énergies telluriques convergentes. Oui, ce soir, enfin, après des siècles de patience, il sortait de son sommeil de pierre. Déjà, il sentait ses muscles puissants prendre vie. Lentement, majestueusement il déploya ses ailes. Ses mandibules qui avaient déversé des décades d'eau de pluie se rejoignirent pour former une lame affutée. Ses griffes acérées s'étirèrent et se libérèrent de son perchoir séculaire.

D'un geste ample, il prit son envol, s'éleva devant la pleine lune montante, puis fondit sur le monde. Son cri terrible déchira la nuit tandis qu'il plongeait droit sur un tramway à l'arrêt, bondé de voyageurs. Il percuta le pare-brise de plein fouet ! Et s'y écrasa lamentablement.

"Mais il est con ou quoi, ce piaf ?"

"Ça, c'est à force d'ingurgiter des restes de malbouffe. Ça les rend complètement tarés."

"Déjà qu'ils ne sont pas bien futés de base… C'est la décadence du règne animal !"

Un jet de liquide lave-vitre et un coup de d'essuie-glace dégagèrent sans ménagement le corps du malheureux assaillant de sa cible – à laquelle il n'avait pas même infligé une égratignure. Sonné et humilié, il reprit son envol de guingois pour aller se réfugier sur l'épaule d'une statue de bronze. Avoir un corps certes mobile mais fait de chair et de plumes ne présentait pas que des avantages, finalement. Et puis ces maudits humains, là, étaient sacrément plus gros qu'il ne l'aurait cru, vu d'en bas.

Un pigeon malpropre se posa à ses côtés et lui lança :

"T'as voulu tenter quoi, là, mec ? Tu m'expliques ?

- Silence, insignifiante volaille! Tonna la bête mystique. Je dois exercer la vengeance de mon créateur sur ce monde et mortifier la race humaine !

- … Mec, faut pas picorer leurs mégots : On sait jamais ce qu'ils mettent dedans. Lui conseilla le volatile, sans se laisser impressionner. C'est quoi, ton blaze ?

- Je me nomme Pierre-Bernard. Pierre-Bernard La Gargouille, Messager de l'Apocalypse !"

L'oiseau le fixa de son œil rond.

" …T'es un pigeon, mec.

- Je suis une gargouille, te dis-je. Insista avec hauteur l'être céleste en gonflant le jabot.

- Ben une gargouille-pigeon, alors." Reprit son comparse en se grattant l'aisselle du bec.

Cette répartie plongea notre vengeur emplumé dans de profondes réflexions. Il tourna la tête pour s'observer. Un plumage gris souris aux pennes noires, de courtes pattes terminées par des doigts roses… Il lui fallait admettre qu'il ressemblait en tous points au rat des airs qui se tenait à sa droite…

"C'est bien possible. Finit-il par conclure à regret. Je n'ai jamais pu me voir avant ce soir, j'ignorais donc sous quelle forme je me présentais…

- Hé ben c'est moi qui te l'dis, mon vieux Pierre-Nanard : T'es une gargouille-pigeon. Et tu f'rais bien d'arrêter de foncer sur les trams, ou tu finiras par être une gargouille-pigeon-crevé."

Le columbiforme averti se mit à roucouler de rire, amusé par sa propre plaisanterie.

"Pourtant, reprit Pierre-Bernard consterné, pourtant je dois accomplir la vengeance du maître qui me sculpta en l'an de grâce 1095 ! Et mener à sa perte la vile engeance qui méprisa son génie !

- Oh mais ça, tu peux le faire sans aller jusqu'à y laisser des plumes ! Viens, mon grand et laisse René te montrer comment nous autres, nobles Columbidae, opprimons ces primates dégénérés !"

*******

Splatch ! En plein sur le crâne dégarni ! Le vieux monsieur aux allures respectables lâcha une bordée de jurons en essuyant de son mieux avec un mouchoir son chef souillé de fientes.

"Cent points pour Pierre-Nanard ! Bien joué !"

Les deux pigeons s'envolèrent à tire d'ailes en rigolant sous les imprécations rageuses de leur cible jusqu'à un balcon désert, afin de fomenter leur prochain attentat.

"Tu vois la grosse vieille décolorée, là-bas, qui braille en bas de l'immeuble en face avec son roquet ? Cent points si tu l'as dans la face, mille si elle avale.

- Tenu ! Mon vieux René, tu vas voir ce que tu vas voir !"

Descente en piqué, largage contrôlé suivi d'une remontée en chandelle.

"Mille points ! T'es un champion, mon Nanard ! Allez, on se pique un vol jusqu'au Burger King, il faut se recharger les boyaux en munitions bien chiasseuses !

- Roger ! Répondit notre justicier en imitant un salut militaire de son aile.

- Nan, moi c'est Réné !" Répliqua son complice.

Et tous deux de glousser de plus belle en reprenant leur folle équipée.

Ainsi Pierre-Bernard, né de la main d'un artiste du XIe siècle brimé par ses contemporains parce qu'il ne savait tirer de la pierre que des pigeons, n'a-t-il de cesse d'accomplir sa terrible vendetta, répandant partout terreur et fientes. Prends garde à toi, inconscient mortel, car si ton chemin venait à croiser le sien, ta chevelure longue, courte ou absente, ton sac griffé Channel ou par ton chat, tes lunettes de soleil ou de vue, ton manteau, ta veste, ton t-shirt, ta chemise ou ton couvre-chef quel qu'il soit, sache que rien, non rien ne sera épargné ! Tant que planera sur la ville l'ombre vengeresse de Pierre Nanard la Gargouille-Pigeon. Et elle planera longtemps, l'ami, bien plus longtemps que tu ne saurais compter car Pierre-Nanard est IMMORTEL !


Texte publié par Leliel, 13 avril 2020 à 22h33
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