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tome 1, Chapitre 8 tome 1, Chapitre 8

Les jours vécus sur la terre des hommes s'égrenaient à une vitesse surprenante. Ils s'enchaînaient les uns après les autres. J'aurais adoré pouvoir partir à l'aventure, rencontrer de nouvelles personnes, explorer la cité d'Ondétoile... Au lieu de ça, j'étais confinée au palais.

Jamais, jamais lors de ma longue existence on n'avait imposé des limites à mes mouvements.

Vagabondage stellaire

Vastitude du cosmos

Contraintes inexistantes

Liberté

J'en devenais folle, vraiment.

Amélia avait beau déployer des efforts d'ingéniosité afin de me distraire même elle ne réussissait pas à me faire oublier les barreaux invisibles qui m'entouraient. En plus depuis mon arrivée au château, soit environ deux semaines auparavant, Neven avait disparu. Personne ne semblait s'inquiéter de son absence, dès que je tentais d'aborder le sujet on m'offrait des réponses évasives ou on m'ignorait totalement, mais moi je m'inquiétais. Le fil qui nous liait semblait s'étirer jusqu'aux confins du monde, son impact comme amorti. Ma conclusion était celle-ci : mon protégé ne se trouvait plus à Ondétoile.

Il en revenait de mes droits de connaître ses déplacements. Aucun des habitants de Valandil ne possédait la capacité de s'introduire entre Neven et moi, pourtant quelqu'un essayait quand-même... Sa Majesté Goldrick. Plus le temps passait et plus mon antipathie envers lui s'approfondissait.

- Soen, regarde ce que je t'apporte !

Je me redressai de ma position allongée et m'appuyai sur mes coudes. Amélia venait de rentrer dans mes appartements et amenait avec elle un énième plateau rempli de friandises. Presque toutes mes journées se déroulaient identiquement : réveil, apprêtage, discussions avec ma dame de compagnie, lectures frivoles et plateau de sucreries. Tout cela sans jamais quitter ma chambre. En d'autres termes, je m'ennuyais à mourir. Mais récemment cette inaction avait pris une ampleur beaucoup plus sérieuse.

Je me sentais dépérir. Je désirais détruire pierre par pierre les murs qui m'entouraient et qui m'asphyxiaient jusqu'à ce que je puisse atteindre enfin le dehors, l'air pur et le ciel immense.

Amélia semblait imperméable à mon état de détresse et continuai son flot de paroles, comme si elle compensait mon silence douloureux.

- Je crois ne t'avoir jamais fait essayer ce biscuit aux noix, ni celui aux frui-...

Quelque-chose en moi se rompit, brisant mon calme apparent et toute ma frustration se déversa dans mes membres. Ma raison s'éteignit, ne laissant qu'un vide immense et effrayant et puis aussi cette frustration si grande que j'en suffoquais presque, et je ne savais absolument pas pourquoi mais tout semblait être la faute de cette stupide assiette regorgeant de stupides pâtisseries délicieuses qui...

J'arrachai le plateau des mains d'Amélia, serrai mes phalanges si fort sur les poignées qu'elles me paraissaient sur le point de se briser. Je ne rêvais que de propulser l'ensemble contre la porte de ma chambre, saccager tout le mobilier qui constituait ce qui était devenue ma cage, de tout démolir comme on me démolissait moi en m'enfermant. Malgré cela, je ravalai la démence à l'ultime seconde, plantai un regard vide dans celui inquiet de mon amie. Une parade de sourire étira mes lèvres, un mensonge si éprouvant que je devais presque puiser dans mon essence d'étoile pour le produire.

Pourtant, Amélia se détendit ostensiblement.

- Je sais que c'est sans doute beaucoup demander, mais est-ce que je pourrais plutôt avoir cette merveilleuse crème à l'orange, s'il-te-plaît ?

Elle éclata de rire, caressa gentiment mon épaule et je me fis violence pour ne pas la repousser. Je ne voulais pas qu'on me touche, je désirais sortir !

- Bien entendu, je vais te chercher ça de ce pas !

Un moment plus tard, elle était sortie et moi toujours coincée dans cette prison.

Malgré mon état, j'avais réussi à tromper ma dame de compagnie. Je me découvrais être une bonne menteuse. Je ressentais un certain malaise, mais ma folie outrepassait la réalité. Je devais sortir ! Et c'était l'unique moyen que j'avais trouvé afin de ne pas soumettre Amélia aux foudres de Goldrick. Car si je ne l'avais rencontré qu'une seule fois et brièvement, l'impact de notre rencontre m'avait marqué. Je savais que mes actions n'allaient pas rester impunies.

Mais à ce moment précis ? Je m'en moquais éperdument. Je devais sortir ! Personne ne répondait à ma requête désespérée ? Et bien, je prenais les choses en mains et tant pis pour les conséquences. Je ne resterais pas une seconde de plus enfermée dans cet endroit.

Sur la pointe des pieds, je foulais le tapis moelleux en essayant de faire le moindre bruit possible. Même si Amélia était partie, il n'en restait pas moins ces deux hommes armés qui circulaient dans le couloir... Des gardes, chargés de m'empêcher de sortir, chargés de ma soi-disant « protection ». Des obstacles, des ennemis. Et je devais réussir à m'en débarrasser...

Je posai le front sur le battant de la porte et gémissais doucement. Je voulais juste être dehors, respirer un peu d'air frais ! Pourquoi tout devenait si compliqué ? Où se trouvait Neven ? Immédiatement après cette pensée, je me fustigeai silencieusement. Depuis quand me relayai-je seulement sur lui ? J'étais une grande fille, une étoile de plusieurs millions d'années... Je me suffisais à moi-même ! Ces quelques semaines que j'avais passées enfermée semblait m'avoir fait devenir transparente, comme si je disparaissais petit à petit ; je ne le voulais surtout pas. Je désirais poursuivre mon aventure sur la terre des hommes, et pour cela, je devais commencer par sortir de ce maudit château.

Résolue, je nattai rapidement mes cheveux pour ne pas qu'ils me gênent dans mes mouvements. Il allait falloir que je sois rusée, et surtout rapide. Les hommes derrière la porte étaient des soldats expérimentés, j'étais parfaitement conscience que je ne possédais aucune chance si je les affrontais. Pourtant... Mon regard tomba sur le plateau chargé de pâtisseries, certes, mais où se trouvait une théière brûlante. J'en saisis l'anse fermement, puis soufflai un grand coup dans l'espoir de me détendre. Je ne disposais que d'un seul essai.

J'ouvris brutalement la porte, laissant le battant frapper contre le mur de pierre dans un bruit étonnamment fort. Les deux soldats sursautèrent, se retournèrent vers moi, surpris. L'adrénaline me submergea, et mes prochains mouvements me parurent étrangers, comme si mes membres fonctionnaient touts seuls.

J'avançai de trois pas en avant, et lançai le contenu de mon arme provisoire dans la figure d'un de mes geôliers. Son hurlement lorsque l'eau bouillante rencontra son visage me fit grimacer, mais j'étouffai mes remords. Je devais sortir !

Un sifflement continu dans mes oreilles me rendit sourde au monde extérieur, aux cris de douleurs de l'homme, je voyais juste ses lèvres bouger inutilement. La tête me tournait, des points noirs envahissaient ma vision, ces maudits murs se rapprochaient de plus en plus... J'écrasai de toutes mes forces la théière contre la tempe du deuxième garde avant qu'il ne puisse reprendre ses esprits, ses yeux se révulsèrent et il tomba face contre terre.

Je contemplai un instant la scène : un homme plié en deux, les mains sur le visage, un autre allongé de tout son long, une profonde entaille sur le front saignant abondamment. J'inspirai une goulée d'air saccadée, coinçai d'une main tremblante une mèche rebelle derrière mon oreille et ... Je détalai à toute vitesse.

Je traversai un couloir, puis deux, puis trois... J'entendis au loin des cris puis une cavalcade de pas. Mon cœur s'emballa. J'étais prise en chasse.

J'accélérai l'allure, désormais désespérée. Cette fuite était cause perdue, je ne savais même pas où je me trouvais. Ce palais était un véritable labyrinthe et mes longues jambes avait beau être un avantage pour distancer mes gardiens, tous mes efforts devenaient inutiles puisque j'étais perdue.

Mon pied nu glissa sur une dalle de marbre, je tombais si violemment sur mes genoux que le choc fit entrechoquer mes dents et je me mordis la langue. Une nouvelle vague de panique s'abattit sur moi, des larmes chaudes coulèrent sur mes joues. Ayant désespéramment besoin de réconfort, et même si toutes mes tentatives précédentes avait été vaines, je tirai fermement sur le fil qui me liait à Neven lui transmettant ma panique, ma terreur, ma claustrophobie, j'y projetai toute la partie de mon essence qui recueillait mes peurs les plus intimes... Et cette onde d'émotions terribles revint me frapper de plein fouet, comme si elle avait rencontré une muraille infranchissable. Un sanglot me secoua. Étais-je coincée ici pour le restant de mes jours ?

Avec un grognement de douleur, je me redressai et observai éperdument les alentours à la recherche d'une cachette ou d'une porte miracle qui me mènerait dehors. J'entendais le martèlement des bottes de plusieurs soldats qui se rapprochaient de plus en plus... Mon regard se posa sur une fenêtre. Je m'avançai et posai ma paume sur la vitre froide. Je ne savais pas dans quelle aile du château je résidais mais dans tous les cas je me trouvais actuellement en hauteur. Une chute pareille me tuerait probablement. Des éclats de voix me firent tressaillir, ils étaient proches.

J'ouvris la fenêtre.

Un vent hivernal me fouetta les joues, ma tresse s'envola. Je me penchai pour mieux évaluer la distance qui me séparait du sol, de la liberté, et un vertige me saisit. C'était quand-même très haut. Ce saut serait du suicide pour un humain, mais pour moi, une étoile... j'écoperai sûrement de nombreuses blessures, sans aucun doute très douloureuses... Mais je serais libre. La question : étais-je prête à payer le lourd prix pour ma liberté ?

J'enjambai la rambarde de la lucarne.

- Soen !

L'appel de mon nom, presque chuchoté, arrêta net ma folie. Je tournais la tête pour apercevoir Cyan me faire des grands signes, à moitié cachée par une lourde tenture.

- Soen, répéta t-elle. Dépêche-toi, viens ! Vite avant qu'ils n'arrivent !

Le temps n'était pas à l'hésitation car mes poursuivants se rapprochaient, de plus, sauter par la fenêtre m'apparaissait désormais comme une très mauvaise idée.

Je m'élançai vers, je l'espérais, celle qui allait me sauver. Elle attrapa ma main et m'attira derrière la large tenture qui, je le croyais, décorait le mur... Sauf qu'il était inexistant. La décoration n'était qu'un leurre pour camoufler l'entrée d'un passage secret.

Le cœur battant la chamade, je laissais Cyan m'attirer dans l'obscurité.


Texte publié par Aileba, 1er juin 2020 à 15h53
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