Étendue sur mon lit, dans la même chambre où je m'étais réveillée seulement une poignée d'heures plus tôt, je mordillai nerveusement l'ongle de mon pouce. L'esprit en ébullition, j'avais demandé à ce qu'on me ramène dans mes appartements afin de prendre un peu de repos, et surtout du temps pour trier mes pensées chaotiques.
Un point crucial me dérangeait : je n'avais toujours pas alerté Neven de ma suspicion qu'une étoile étrangère se dirigeait droit vers nous. Pourtant l'occasion s'était présentée, j'aurais pu prendre une dizaine de minutes sur notre chemin vers le roi pour lui en parler.
Mais je ne l'avais pas fait. Pourquoi ? Je n'en n'étais pas sûre. Mon instinct me soufflait de taire cette information pour le moment. Déjà, Neven semblait très préoccupé et je ne souhaitais pas ajouter à ses angoisses. Aussi... C'était une de mes sœurs. Je ne pouvais croire qu'elle me veuille du mal, qu'elle s'approchait de moi juste pour me nuire. Ce n'était tout simplement pas dans notre nature, la notion d'unité nous correspondait intrinsèquement. Impossible qu'elle se positionne en ma défaveur, du moins je l'espérais de tout cœur. L'idée d'une future confrontation avec une personne de ma famille, de mon espèce, me paraissait insurmontable.
On frappa doucement à la porte.
- Dame Soen ? C'est Amélia, puis-je entrer ?
Je me redressai sur les coudes.
- Oui.
Ma dame de compagnie entra dans la pièce, tenant périlleusement un plateau rempli de victuailles d'une main et referma la porte de l'autre. Le plat vacilla, son pied se prit dans un repli du tapis et... Je m'élançai vers elle, enroulai mon bras autour de sa taille pour lui faire retrouver son équilibre et m'emparai du plateau. Soulagée, je soupirai. Au moins une catastrophe évitée aujourd'hui.
- Jolis réflexes ! Me complimenta-t-elle.
- Pour sauver de la nourriture, je me trouve des capacités insoupçonnées.
Elle rit en secouant la tête. Je déposai mon fardeau sur la commode qui bordait ma couche, m'assis en tailleur sur cette dernière et tapotai le matelas pour l'inviter à me rejoindre. Elle hésita un instant mais elle finit pas s'installer gracieusement à mes côtés.
- Je vous ai apporté des gourmandises...dit-elle en m'offrant un gâteau rond et doré. Essayez-donc celui-là, vous m'en direz des nouvelles !
Avec précaution, je pris une bouchée et... soupirai de bonheur. Le biscuit croustillait agréablement sous mes dents et une fois cette première couche passée, j'atteignis le cœur : une crème onctueuse et légère parsemée de baies acidulées. Un véritable plaisir pour mes papilles ainsi que pour mon moral sombre.
- Par toutes les planètes de l'univers, Amélia ! Cette pâtisserie est un chef d'œuvre !
- N'est-ce pas ? Goûtez celle-ci.
Cette fois, je croquai dans une meringue sucrée parfaitement balancée avec l'amertume du chocolat noir qui la composait.
Ensemble, nous dégustâmes avec grand plaisir l'entièreté du plateau de sucreries. Apprécier la nourriture serait vraiment une des choses qui me manquerait le plus lorsque je rejoindrai ma place dans ma constellation.
- J'ai entendu quelques échos de votre rencontre avec le roi... énonça soudainement ma dame de compagnie.
Je me figeai un instant, j'avalai pour ne pas parler la bouche pleine.
- Ah... Je...
Je mordillai l'ongle de mon pouce. Elle posa une main apaisante sur mon genou.
- Sa Majesté n'a pas toujours été ainsi, vous savez. Dans sa jeunesse, il était extraordinaire. Juste, féroce guerrier, empli de compassion pour son peuple...
Son regard se perdit, se fit lointain, comme si elle s'égarait dans ses souvenirs heureux.
- Qu'est-il arrivé pour qu'il change ?
- Une femme. La mère de Neven.
Je haussai les sourcils, surprise. Si Goldrick avait vraiment été un homme hors du commun, il m'était ardu de croire qu'une simple femme l'avait impacté autant, au point que les fondations même de sa personnalité se transforment.
- Sa Majesté s'est marié lorsqu'il avait dix-huit ans, un mariage de convenance avec la fille d'une famille très influente de la capitale. Cette alliance a établi solidement l'autorité de Goldrick.
Elle fit une pause, but une gorgée de son thé. Elle soupira profondément.
- Milyana Hoset. Une pauvre femme au destin sombre. Ils sont restés mariés cinq ans, ne se sont jamais aimés. Elle était de faible constitution, tant physique que mentale. Elle n'avait pas la carrure d'une reine, alors, dépassée par ses devoirs et obligations de son titre, elle mit fin à ces jours.
Une larme solitaire roula sur ma joue. Je ne la connaissais pas, ne me souvenais même pas l'avoir observé lors de mon existence en tant qu'étoile, mais je la pleurais. Je pleurais une femme fragile et délicate qui ne souhaitait que vivre librement et sans contraintes. Et piégée dans une cage dorée, elle avait fini par succomber, trop épuisée pour poursuivre sa lutte pour la vie.
- Mais ce n'est pas elle qui a fait de notre souverain cette épave. Après Milyana, il ne s'est jamais remarié, pourtant, il est tombé fou amoureux d'une étrangère.
- Comment s'appelait-elle ?
- Personne ne le sait, même pas Neven.
Cette idée me scandalisa, parce que vraiment, ne pas avoir connaissance du nom de sa mère... Quelle terrible souffrance ! Je pouvais parfaitement appréhender cette douleur : ma mémoire fragmentée m'empêchait d'accéder aux noms des étoiles-jumelles qui créaient ma constellation.
- Pourquoi ?
Amélia se passa une main sur le visage.
- Car Goldrick est tombé fou amoureux. Il est devenu jaloux, extrêmement possessif... A tel point qu'il n'a jamais présenté cette femme à la cour, n'a jamais dévoilé son prénom ni son visage. Elle vivait dans une aile du château interdite d'accès...
Je craignais d'entendre la suite de son récit, le cœur plein à craquer d'empathie pour Neven. J'aurais préféré, très égoïstement, ne rien savoir. Cela serait tellement plus facile...
- Puis elle est tombée enceinte. Le roi était tellement heureux de la nouvelle ! Il s'était enfin décidé à se marier avec elle pour lui conférer la royauté... La cérémonie de couronnement se préparait, l'accouchement approchait... Elle est morte en couches.
Je ne parvenais plus à respirer, un énorme nœud dans ma gorge m'empêchait d'inspirer. J'essuyai avec un coin du draps mes larmes de chagrin.
- Je ne peux même pas vous décrire la profondeur de l'accablement de Sa Majesté. Il s'est complètement effondré, le décès de cette femme inconnue l'a détruit et a eu des conséquence terribles.
Je redoutais la question que je me posais, mais il fallait que je connaisse la réponse.
- Pourquoi traite t-il Neven de cette manière ?
Amélia ficha son regard dans le mien.
- Parce que pour Goldrick, Neven est responsable de la mort de la femme qu'il aimait follement.
Je fermais mes paupières et forçai mes poumons à se remplir d'air. Mon cœur me faisait tellement mal qu'il paraissait sur le point de se briser en éclats, éclats aussi nombreux que les astres formant l'univers.
- Si le jeune prince à des réactions inattendues face à son père, reprit-elle, c'est qu'il souhaite désespéramment recevoir son approbation. J'ai peur qu'un jour cela le pousse à prendre des décisions radicales et terribles qui le hanteront toute sa vie.
Je redoutais cela également. Observer Neven s'écraser devant les morts durs, injustes et cruels de son père m'avait marqué profondément. J'avais détesté cela. Je comprenais que Goldrick souffre encore de la perte de sa bien-aimée, mais il n'avait aucun droit de rejeter la faute sur mon protégé.
- Pensez-vous pouvoir changer la vision de Neven ?
- Je ne sais pas. Mais je sais que je vais déployer tous mes efforts dans ce sens, pour lui prouver qu'il a de la valeur. Tellement de valeur que sa propre mère a supplié une étoile de descendre pour s'occuper de lui comme elle ne le pourrait jamais.
Cette fois, ce fut Amélia qui sécha une larme et m'offrit un sourire tremblant.
- Bien. Peut-être que toi, tu seras capable de transformer ce royaume pour le meilleur.
Le soudain tutoiement ne me surprit pas, au contraire, cela me réjouit au plus haut point. Cette femme n'avait pas à me montrer une déférence particulière, si ce n'est le respect que chaque être vivant était censé manifester à son congénère. Je n'étais pas humaine mais j'en avais l'apparence. Être étoile ne signifiait pas ma supériorité, juste ma particularité.
Et, après ma rencontre avec certains humains, je commençais à croire que ma différence n'était pas une si mauvaise chose après tout.
Quelques heures plus tard, alors que le soleil s'effaçait pour céder sa place au silence de la nuit, à la pureté de la lune et à la somptuosité de mes sœurs, Neven surgit dans ma chambre sans même s'annoncer.
L'après-midi avait passé vite, remplie de rires, de dégustation de gâteaux et de discussions légères. Amélia s'avérait être une femme pétrie d'humour bon enfant et d'amour sincère envers les autres. Les petites anecdotes sur ses aventures dans son service au château étaient hilarantes. Elle avait trouvé le parfait moyen de m'aider à relâcher la pression de la matinée, mais avec l'irruption impromptu de mon protégé les effets bienfaiteurs s'effacèrent.
- Soen ! J'ai réussi !
Étonnée, je clignai des paupières.
- Réussi quoi ?
- Voyons ! S'agaça-t-il. J'ai réussi à convaincre Père de ton utilité. Tu peux rester ici !
- Oh.
Mon manque d'enthousiasme sembla l'irriter, pourtant il aurait dû s'en douter. Je baissai les yeux sur ma tasse et lui accordais une attention démesurée pour échapper à son regard. Côtoyer Goldrick ou même Gérarht ne m'emplissait pas de joie, et je redoutais sa déception face à ma réaction.
Ignorant totalement mon amie, Neven s'avança et saisit mon visage entre ses paumes, commandant mon attention totale. Je me figeai, je n'appréciais pas son emprise qui m'empêchait de bouger.
- C'est une bonne nouvelle, Soen. N'es-tu pas heureuse d'avoir la permission de rester à mes côtés ?
Je considérais sa question. Une partie de moi se rebella face à la formulation de sa phrase. J'étais une étoile. Je n'avais besoin de la permission de personne, mon libre arbitre m'appartenait.
Remarquant ma longue pause, mon prince modifia ses propos :
- Moi, je suis euphorique ! Te rends-tu compte, plus jamais nous ne serons séparés ! N'es-tu pas contente ?
Je me détendis peu à peu.
- Si, bien sûr ! Je suis venue à Valandil uniquement pour toi, Neven.
Il m'attrapa par la taille et me fit tournoyer dans la pièce en riant.
- Enfin ! Enfin tout va s'arranger ! S'exclama-t-il, visiblement enchanté par la nouvelle.
Incapable de rester stoïque face à sa joie, notre lien me noyant sous un flot de vibrations chaudes et extatiques, je joignis mon rire au sien. Peut-être que tout se déroulera parfaitement, finalement.
Pourtant, à peine cette pensée m'effleura l'esprit qu'un frisson glacial me parcourut l'échine.
Puis, un souffle dans mon esprit :
Prends garde à toi, petite sœur.
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