Brouillés étaient les contours du monde, se confondant avec mes songes.
Dans les brumes de mon sommeil chaotique, souvenirs du vol et rêves se mélangeaient, inséparables.
Des voix s'emmêlaient et s'entremêlaient, claires et indistinctes.
Veille sur mon enfant. Tu étais censée veiller sur moi ! Fuis ! Tu es là et maintenant tout va rentrer dans l'ordre. Trop tard, je viens te chercher. Pardonne-moi. Reviens, tu nous manques. Je t'aime. Qu'ils brûlent tous !
Un sursaut, un ciel immense, des bras chauds, du vent sur mon visage. Mes paupières se refermèrent.
Des images se posaient et se superposaient, échos du passé et éclats du futur.
Des yeux étoilés d'or. Des écailles sombres. Une explosion de lumière. Une main large dans la mienne. Des cheveux rouges. Un ciel parsemé d'astres. Du sang partout et un feu qui dévore.
Un tressaillement, toujours des bras chauds, des murs de pierre, des messes basses, un matelas moelleux, une chandelle qu'on souffle, un baiser sur mon front.
Les ténèbres me happèrent dans leurs étreintes nébuleuses.
Je flottais dans un néant d’obscurité.
Ce moment intermédiaire entre le sommeil et le réveil était ce qui se rapprochait le plus de mon ancienne existence en tant qu'énergie, et je m'en délectais avec gratitude.
Détendue, je m’étirai avec félicité, tournant dans mon lit afin de trouver une position plus confortable pour replonger dans l’océan d'ombres et de mystères qui m'attendait, mais une sensation inhabituelle me fit tiquer.
Une indéfinissable impression de plénitude.
Une digue céda dans mon esprit, me remémorant tous les événements passés, et je me redressai brusquement. Désorientée et pleine d'adrénaline, je tentai de prendre mes repères. Je me trouvais dans une chambre illuminée par le soleil et ses rayons magnifiaient la multitude de couleurs qui m’entourait. Émerveillée, je contemplais les superbes tentures qui recouvraient les murs, canevas de de mauve, d'or et d'acajou. La décoration restait simple mais luxueuse, je me levai pour effleurer les pierres beiges qui constituaient les murs, les rideaux qui bordaient une grande fenêtre et le bois lisse des meubles finement sculptés.
Les humains étaient capables de merveilles.
Un mouvement attira mon attention, je me m’immobilisai. Dans un grand rectangle réfléchissant se tenait une femme familière mais inconnue. Je m'avançai d'un pas et elle m'imita, je mordillai ma lèvre nerveusement et elle fit de même. Cette femme était moi. Le cœur battant la chamade, je découvris mon apparence pour la première fois.
Ma peau était pâle et brillait subtilement, révélant ma nature d'étoile. Je possédais des cheveux ondulés d'un blanc immaculé et j'étais grande, très mince avec un corps n'ayant que de timides rondeurs. Mon visage était anguleux, mon nez pointait légèrement vers le haut, cassant un peu la sévérité de mes traits. Mes yeux étaient noirs.
Une grande déception m'envahit et immédiatement je me reprochais ma stupidité. Mais cela était plus fort que moi : j'étais complexée. Mon corps ne portait aucune couleur, je le trouvais rebutant dans sa monotonicité. L'unique touche de couleur était le discret rose de mes lèvres.
Je soupirai et repoussais fermement le malaise que provoquait mon apparence. J'avais des choses tellement plus importantes à me soucier.
Pourtant, je ne pus m’empêcher de me détailler une dernière fois. Quelque chose dans mes yeux bougea, je sursautai. Cela n’était assurément pas normal. Intriguée, je me rapprochai du miroir. L'émotion m'enserra la gorge.
Mes prunelles étaient noires, oui, mais pas seulement. Des milliers de points lumineux y scintillaient et se mouvaient inlassablement. Je pouvais y voir des galaxies évoluer, des constellations se former puis disparaître.
Mes yeux contenaient l'infinité de l'espace.
- Ma Dame ?
Je tressaillis et me retournai vivement. Un rayon de soleil, pensai-je immédiatement en détaillant la femme en face de moi ; elle dégageait la même chaleur réconfortante. Bien que ce soit une inconnue, que rien ne me prouvait qu'elle ne me voulait aucun mal, je m'approchai d'elle et saisis délicatement une de ses mèches de neige, semblable aux miennes et pourtant moins éclatante. Je commençais à croire que ma brillance était une caractéristique d'étoile. Puis, fascinée, je passai mes doigts sur les multiples plis qui ornaient sa peau.
- Ma Dame ? Répéta t-elle, brisant ma rêverie.
Ses joues s'étaient parées d'un rouge merveilleux, ce que je traduisis comme étant de la gêne. Un doute m'envahit : peut-être avais-je commis un acte mal placé ? Je retirai mes mains si brusquement que je la fis sursauter, ce qui augmenta ma culpabilité.
- Je suis désolée, je ne voulais pas vous embêter… Je trouvais juste que… Enfin…
Les mots m’échappaient totalement, un véritable chaos dans mon esprit auquel j'étais incapable de donner du sens. Cela provoqua une frustration si immense que je plantai mes ongles dans mes paumes dans le vain espoir que cette légère douleur puisse soulager mon malaise.
Une poigne ferme sur mes bras me fit relâcher la pression et relever la tête. L'humaine me regardait avec une fermeté parée de gentillesse.
- Tout va bien, ma Dame. Il n'y aucun problème, j'ai juste été surprise. Rassurez-vous.
Lentement, je m'apaisais sous son emprise et avec une patience infinie elle attendit jusqu'à ce que je me sente assez détendue pour lui offrir un sourire crispé. Seulement alors, elle amena mes doigts à sa face et nous parcourûmes ensemble les reliefs de son épiderme.
Ce fut un moment empreint de douceur, un moment de découverte. Ses marques me fascinaient, me rappelaient les veines d'un arbre, celles qui racontaient l’entièreté de son histoire.
- Vous êtes magnifique, soufflai-je.
Sa réponse se traduisit par un sourire d'une telle chaleur qu'elle pénétra jusque dans mes os. Je reculai d'un pas, brisant notre connexion charnelle mais marquant le début d'une autre, plus profonde... Les bases d'une future amitié.
- Je suis Soen, lui appris-je presque timidement.
- Et je suis Amélia, votre dame de compagnie.
J'entortillai une mèche autour de mon doigt afin me donner une contenance. Je ne comprenais absolument pas ce que cela impliquait. Mais son titre possédait le mot « compagnie », alors je me permis d'espérer qu'elle puisse rester à mes côtés, que j'aie la possibilité de bénéficier de sa présence solaire régulièrement.
- Mon rôle est de vous accompagner à tout instant et de répondre à tous vos besoins. A partir de ce jour, je vous suis absolument loyale, vous êtes le centre de mon attention et je n'aspire qu'à contribuer à votre bonheur. Mon unique souhait est que mon humble personne vous conviendra...
Je ne savais pas ce que j'avais accompli pour mériter une pareille dévotion mais elle me toucha profondément. Face à cette femme si accueillante et débordante d'amour, je ne désirais que me fondre dans son étreinte réconfortante.
- Merci, lui répondis-je. Simplement merci Amélia, du plus profond de mon cœur et du plus pur de mon essence.
Car il est des dons si précieux et des gratitudes si immenses que le langage humain ne suffit pas à les décrire, ajoutai-je silencieusement. Un subtil changement dans l’atmosphère m'apprit que les bases de notre amitié étaient désormais ancrées solidement, notre complicité scellée définitivement. Et une fois encore, mes yeux s'humidifièrent car je comprenais intimement que je venais d'acquérir une sœur sur la terre des hommes.
Le rugissement d'un drakhion rompit notre instant de partage. Je connaissais ce cri, reconnaissais son propriétaire. Shimushaï, mon gardien des étoiles. Mon vieil ami qui m'appelait, m'ordonnait sûrement de me dépêcher pour aller enfin lui tenir compagnie... et surtout lui gratter la base des cornes.
Mon éclat de rire surprit Amélia qui n'en comprenait sans doute pas la raison mais elle me suivit dans mes sons de joie, et je découvris qu'ils étaient encore plus merveilleux partagés.
- Puis-je sortir pour retrouver Neven et Shimushaï ? Demandai-je.
- Bien entendu, ma Dame, mais il faut d'abord vous apprêter.
Je penchai la tête sur le côté, mes sourcils se froncèrent de confusion. J'observais ma peau lumineuse, remarquant pour la première fois que chaque humain rencontré jusqu'alors portait des couches et des couches de tissus dissimulant leur forme première. J'avais cru au début que l'objectif de ces vêtements était d'affronter le froid, mais ici, dans cette pièce colorée et luxueuse, régnait une douce chaleur... Et pourtant ma dame de compagnie arborait une élégante robe d'un rose tendre. Peut-être... peut-être avais-je commis une fois encore un grave faux pas. Cela pouvait d'ailleurs expliquer la gêne Elijah lors de notre rencontre...
Je soupirais discrètement, agacée par mon ignorance ainsi que par les coutumes compliquées des habitants de Valandil.
- En quoi consiste cet apprêtage ?
Amélia saisit ma main et me tira à sa suite.
- Eh bien, il faut vous baigner, vous coiffer, vous maquiller puis vous habiller.
Oh. Je ne savais absolument pas que tout cela était demandé avant de sortir quelque-part. Ça me semblait bien compliqué... Je poussai un soupir discret, encore. Nous franchîmes une porte au fond de la chambre que je n'avais pas remarqué, porte qui donnait sur une modeste pièce où se trouvait un grand bassin d'eau fumante.
Fermement elle me poussa vers la vasque. Avec précaution, je plongeai un pied dans l'eau et sifflait immédiatement entre mes dents devant la chaleur presque brûlante. Ma peau rougit et me démangea, mais je m'habituais vite à la température et avançai finalement jusqu'à ce que seule ma tête dépasse. Un soupir d'aise m'échappa et je me laissai flotter avec félicité.
Finalement, ce n'était pas si mal, je devais avouer que découvrir les simples plaisirs de la vie ici-bas m'enchantait, je voulais pouvoir apprendre encore et toujours plus de nouvelles choses afin de les emmagasiner dans ma mémoire. Ainsi, lorsqu'au bout de quelques éphémères années passées en compagnie de Neven, lorsque mon corps dépérira et que mon essence d'étoile sera libérée de sa prison de chair, je retournerai au firmament l'esprit foisonnant de souvenirs enrichissants. J'étais intimement convaincue que cette expérience allait m'enrichir pleinement, me changerait à jamais. J’espérais pour le meilleur.
- Dame Soen ?
J'ouvris un œil paresseux et gratifiai la vielle femme d'un sourire.
- Amélia ! M'exclamai-je avec grand enthousiasme. Cette eau est extrêmement agréable ! Tu devrais venir en profiter avec moi !
Elle cligna des paupières puis un gloussement lui échappa.
- C'est bien gentil, mais nous n'avons pas le temps.
Elle me tendit un objet rond.
-Tenez, voici du savon. Il vous suffit de l'humidifier et de vous frotter avec. Je vais vous laver les cheveux.
Je suivis studieusement ses instructions, appréciant la discrète odeur florale, et soupirai une fois encore sous le massage crânien qu'elle m'administrait. Cet « apprêtage » allait peut-être devenir un de mes rituels préférés.
Quand vint l'heure de sortir, je le fis à regrets, même si la serviette qui m'attendait était chaude et délicieusement moelleuse. Le reste de ma préparation, je la passais à rêvasser, appréciant les soins qu'on m'apportaient mais je m'ennuyais à mourir.
Il me tardait de retrouver Neven. Ce fil qui nous liait me tiraillait de plus en plus, soufflant où es-tu dépêche-toi je t'attends et toutes sortes d'autres murmures impatients qui me rendaient fébrile. Notre éloignement était presque douloureux.
Cet état d'inaction me permit de méditer sur les événements passés, survenus tellement vite qu'il m'était compliqué de les digérer. Notamment...
Je me tendis brusquement. Je me morigénai tout bas. Comment avais-je pu oublier quelque-chose d'une si grande importance ? Notamment cette voix féminine dans ma tête, juste avant que je perde connaissance. Cette voix vaguement familière qui m'ordonnait de fuir, mais quoi ? Un danger proche ou alors Neven qui se trouvait en chemin pour me rencontrer ? Il m'avait semblé que cette présence était amicale, pourtant, si elle cherchait à me séparer de mon propre protégé désirait-elle réellement mon bien-être ?
Et puis, les humains possédaient-ils la capacité de communiquer à distance à la manière des étoiles ? Un doute m'envahit. Se pouvait-il qu'elle soit une de mes congénères ? Malheureusement, j'étais incapable de répondre à cette question car il me manquait de larges pans de mémoire. Il fallait que je me renseigne, que je demande à Neven une carte du ciel pour chercher quels astres manquaient au firmament et que...
Une nouvelle lueur surfaça dans mon esprit. Dans mes rêves, lors de mon sommeil durant le voyage... Cette voix s'était encore adressée à moi, avec un message différent, mais tout était si flou, si confus...
Trop tard, je viens te chercher.
Oui ! J'avais cru à un songe, mais non, mon instinct protestait avec véhémence. Ce message faisait partie de la réalité, et... Les bienfaits relaxants de mon bain se diluèrent dans le flot d'adrénaline et d’inquiétude qui se répandit dans mes membres.
Et il y avait de grandes chances qu'une étoile hostile se dirige droit sur nous.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2782 histoires publiées 1267 membres inscrits Notre membre le plus récent est JeanAlbert |