La bouche pleine de ragoût, je soupirais d'extase.
J'en pris la résolution : lorsque des émotions négatives m'envahiraient dans le futur, je me réconforterai toujours par le moyen de la nourriture. J'avalais encore une gorgée en me délectant du léger croquant des légumes, de la viande fondante et de l'explosion d'épices qui gratifiait mes papilles. Pour la première fois depuis des jours, les crampes de mon estomac s'apaisèrent pour disparaître tout à fait tandis qu'une douce somnolence m'enveloppa.
- Je te présente mes excuses.
Soudainement réveillée, je glapis et mon bol m'échappa. Apitoyée sur le sort de mon repas, je ravalai un gémissement pour me tourner vers Neven qui revenait de sa promenade solitaire.
Notre lien ondula de bonheur.
Un rictus amusé aux lèvres, il nous servit à tous les deux du délicieux ragoût que j'acceptai avec ravissement.
- Je suis désolé pour tout à l'heure, répéta t-il, son regard fixé sur son bol. Je suis juste très préoccupé en ce moment et cette...connexion entre nous est plutôt écrasante. Je n'avais pas à être désagréable et t'accuser comme cela.
Comme je gardais le silence, je n'avais aucune idée de ce que je devais lui répondre, il releva la tête pour me regarder. Je lui offris un sourire et une petite cuillère et il accepta les deux, les prenant pour ce qu'ils étaient : une offrande de paix.
- Alors… commençai-je tout bas. Pourquoi « Votre Altesse » ?
Cela me turlupinait depuis une bonne heure. Je me doutais qu'il s'agissait d'un titre honorifique mais je ne comprenais pas ce qu'il signifiait.
Ses joues se teintèrent de rose et j'eus envie de l'enlacer.
- Je suis le prince héritier.
Il déclara cela naturellement, sans une once d'arrogance mais plutôt avec une touche de gêne. La bouche pleine, je le fixai sans réaction.
Il rit, le son insouciant et communicatif.
- Tu ne sais pas ce que cela veut dire, n'est-ce pas ?
J’acquiesçai, posant à regret mon bol vide pour consacrer à Neven toute mon attention.
- Ces terres, il engloba les alentours par un large geste, forment le royaume de Valandil. Mon père, le roi, dirige le peuple qui y habite. Et un jour, lorsque que mon père mourra, je lui succéderai.
Je compris le principe même s'il m'était ardu d'assimiler toutes les subtilités derrière. Les politiques humaines m'importaient peu de toute manière, m'y intéressant uniquement parce que cela le concernait.
- En d'autres mots, tu es important ?
- Oui, on peut dire ça, confirma t-il.
Nous continuâmes notre repas dans un confortable silence, j'observai avec fascination l'interaction de ce groupe d'amis qui se comportaient comme une famille, et mon cœur vibra d'en faire partie.
Un chuintement me sortit de ma transe et dirigea mon attention sur mon drakhion d'or. Rien ne m'autorisait vraiment à me sentir tellement possessive envers lui mais je n'y pouvais rien. Les émotions ici-bas étaient si puissantes que mon essence profonde en frémissait.
Je me levai pour aller vers lui, reconnaissante de cette distraction car mes pensées tournaient rapidement moroses. Je m'approchai de lui, sans aucune trace de peur. Je caressai ses écailles resplendissantes et il émit un profond ronronnement qui me fit pouffer. Mon cœur s'allégea, mes craintes et mes pleurs consumés par sa chaleur.
- Il aime que l'on s'occupe de ses cornes.
Je souris à Neven, heureuse qu'il m'ait suivi et m'en apprenne plus sur son magnifique compagnon. Il prit ma main dans la sienne et l'emmena à la base d'une des cornes du drakhion, me montrant comment le gratter. En réponse à mon geste, le ronronnement de la bête s’approfondit alors que ses paupières se fermaient. Le prince et moi partageâmes un sourire de connivence.
Un souffle brûlant à la base de mon cou me fit presque sursauter, mais en constatant la façon dont le drakhion gris me poussait du museau avec insistance, j'éclatai de rire. Je n'arrivais pas à croire qu'un tel majestueux animal puisse me quémander des caresses. Pour ne pas faire de jaloux, je laissai courir mes doigts sur lui, m'émerveillant de sa texture lisse et souple. Le doré feula de mécontentement en découvrant que mon attention était partagée et Neven joignit son rire au mien.
- Le jeune gris se nomme Zinuda. En V'al, le plus ancien dialecte du royaume, cela veut dire littéralement « effronté ». Et l'immense femelle bleue qui nous dédaigne en ce moment même est Alataria, qui signifie « danseuse de pluie », m'informa mon protégé.
Je déposai un tendre baiser sur le front de mon drakhion et je me tournais vers Neven qui nous observait.
- Et lui ?
Son regard s’adoucit. Il amorça un mouvement vers moi mais se contint à la dernière seconde.
- Il s'appelle Shimushaï. « Protecteur des étoiles ».
Des larmes perlèrent sur mes cils et cette fois Neven m'enlaça fortement, soupirant quand notre lien susurra des paroles accueillantes. Je décidais de ne pas lui raconter mon passé commun avec son compagnon car ce souvenir précieux m'appartenait, et le langage humain était trop rustre pour le décrire.
Shimushaï ouvrit ses paupières, dans nos regards soudés nageaient des secrets immémoriaux que nous partagions.
Le crépuscule faisait fuir le jour et le ciel s'embrasait.
De notre camp provisoire, il ne restait rien ; seul témoin de notre passage un modeste tas de cendres, vestige d'un feu bienfaiteur. La vie sauvage qu’hébergeait la forêt se réveillait doucement, offrant sa mélodie indomptable au monde. La neige fondait lentement, cédant sa place au renouveau du printemps.
Mon chagrin s'apaisait, laissant à l'espoir de vastes espaces dans mon âme tourmentée.
Les drakhions s'agitaient avec anticipation car l'heure était venue pour eux de voler. Pour moi aussi, il était temps que je prenne mon envol.
Elijah montait Zinuda tandis que Cyan et Lazuli se trouvaient sur le dos de la régale Alataria.
Neven chevauchait Shimushaï.
Il se pencha vers moi et me tendit la main.
Nous nous dévisageâmes pendant plusieurs minutes, essayant de déchiffrer l'autre mais pas encore assez intime pour y arriver. Un barrière infranchissable nous séparait, m'empêchait de m'ouvrir à lui comme je l'aurais souhaité. Je tentai de me rassurer en me disant que nous avions juste besoin de temps pourtant une sensation indéfinissable me fit craindre l'avenir.
- Qu'attends-tu de moi ? lui demandai-je.
- Je ne veux plus jamais me sentir seul.
Sa phrase, son désir, me traversa telle une comète, laissant sur son sillage une traînée de feu ardent. Notre lien chanta haut et fort. Le rythme de mon cœur ralentit, ne produisant que de lents coups qui martelaient son nom.
Ne-ven.
Ne-ven.
Ne-ven.
Je pris la main qu'il m'offrait, la saisit fermement. Il me fit asseoir derrière lui, mes bras entourant son torse.
Puis Shimushaï battit ses ailes une fois, deux fois, trois fois et... nous nous envolâmes.
Là, haut dans le ciel où la nuit naissait, je posais ma bouche sur la conque fragile de son oreille et murmurait :
- Au plus sombre de la nuit, ma lumière éclairera tes pas. Au cœur de la tourmente, mes doigts ancreront les tiens. Et lors de ton dernier soupir, j'immortaliserai dans l'infinité de l'espace ton souvenir. Tu marqueras les âges, petit prince, et à jamais les cieux arboreront ta marque.
Témoins de mon serment, les étoiles naissantes flamboyèrent.
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