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Douzième nouvelle

Dans un ascenseur...

On aurait dû y penser tout de suite, un ascenseur ! C'est Lilitor qui nous évite cet oubli, merci. Et voici les mots de sa liste : pamplemousse, pardon, guitare, livre, eucalyptus, vergeture, anneau, batterie, anémone, stylo.

****

J'ai toujours vécu dans la foule. Celle des Parisiens qui arpentent le boulevard Haussman, celle qui envahit les Grands Magasins, la foule qui va de gauche à droite, en milliers de petits pas, mais surtout celle qui va de haut en bas, du sous-sol au septième étage... car je suis liftier !

Plus de quarante ans de métier, oui Monsieur ! Quarante ans de maison, ici, aux Galeries. Jamais de retard, et quasi jamais d'absence sauf l'hiver 1975, celui de la grande grippe. Je m'appelle Max, liftier de mon état et heureux de l'être !

Je connais les Galeries comme ma poche, je suis imbattable sur tous les rayons, les maillots de bain ? Quatrième étage. Les guitares, les batteries ? Instruments de musique, c'est au magasin trois. " La petite souvenir of Paris, please ? " Sixième étage, Miss ! Une paire de chaussettes ? Au magasin homme, Brummel, Monsieur ! Prenez donc la passerelle au niveau du deuxième étage.

Incollable, je vous dis ! Mais bientôt je vais devoir ranger mon uniforme. Plier mon pantalon marine, raccrocher ma veste rouge à boutons dorés et mon petit chapeau assorti en forme de boîte à camembert ! Et oui, je suis classé au rang des antiquités maintenant et ils vont mettre des ascenseurs modernes, sans âme, avec tableau de commande et portes automatiques ... Fini le charme de mon ascenseur désuet qui fait partie du bonheur de ces dames !

- "... le rayon des sacs à main.."

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- Premier étage, pardon, je vous en prie.

Et je ferme la première porte en bois avec sa vitre et son bec de cane, puis la grille en accordéon, je sélectionne le premier bouton et d'une petite secousse qui m'est si familière, nous prenons notre envol pour monter d'un étage, en voyant le monde au passage dans cette cage toute vitrée. Arrêt en douceur, grille repliée, porte ouverte et j'annonce fièrement à l'intention des autres personnes qui descendent à ce niveau :

- "Premier étage : maroquinerie, accessoires, parapluies, manteau, imper, mode femme."

Je les sais par coeur mes sept couplets, pensez depuis le temps ! J'ai aussi formé bien des collègues, mais voilà, la roue tourne, il n'a plus d'avenir notre métier.

- " Le Restaurant, c'est tout là-haut ?

- Mais oui, Mademoiselle, sous la coupole. Vous avez le choix entre le restaurant "Angélina" ou bien "le Bar à viande ", chez Liza, on mange libanais ou alors le Pétrossian, saumon -caviar...

Je fais un arrêt au cinquième où une femme et son bébé attendent.

- " Oh non ! Je veux juste manger vite : un pamplemousse, une salade et un café...

- Entrez, Madame, il y a encore de la place !"

Porte fermée, grille dépliée.

- "Alors vous avez le "Prêt-à-manger" en service rapide.

Et je dépose l'une au septième, avec un petit coup d'oeil pour les beaux vitraux de la coupole, pour cette douce lumière colorée, comme un salut au bon goût et au raffinement puis je questionne l'autre :

- Et Madame, où désire-t-elle aller ?

- La layette, s'il vous plait?

- Troisième étage et comment il s'appelle ce beau bébé ?

Et je continue mon service. Bien sûr, j'entends toutes sortes de conversation durant les descentes ou les montées. Et parfois, des propos des plus délicats...

- " ...ça y est , il m'a demandée en mariage ! On va choisir les anneaux ! disait une jeune blonde à son amie.

- Il faut que je trouve une crème pour les vergetures, je n'en suis qu'au cinquième mois, tu verrais ça ! disait une jeune brune à sa copine, sans doute.

C'est toute la vie et ses étapes qui passaient dans mon ascenseur. Outre les confidences, il y avait aussi parfois les odeurs qui étaient singulières : celle de l'eucalyptus, en plein hiver, celle des parfums écoeurants , patchoulis, anémone ou comme l'odeur détestable du glaïeul... mais aussi celle du tabac froid, celle-là je ne l'aime vraiment pas ! ...et j'en passe, il s'en est vu mon ascenseur !

- "...pour les livres et les stylos, mon brave !

- Sixième étage Monsieur, rayon librairie/ papeterie !" Il faut dire qu'on a aussi tous les styles !

Et je redescends à vide vers le rez-de-chaussée, soufflant un peu, bien que toujours debout toute la journée, voyant défiler le beau monde dans ma cage vitrée . J'ai passé ma vie, ici, dans ce petit espace, à monter et à descendre. Mais je suis seul patron à bord. Les Galeries Lafayettes, c'est un peu comme chez moi ! J'ai grimpé tous les étages, tout en restant simple liftier, mais j'y ai bien des avantages et je le regretterai, ce métier.

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