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tome 1, Chapitre 3 « La Chute : Sortie de piste » tome 1, Chapitre 3

Lukas récupéra son Xtrace dans l’un des box de l’immeuble et fit monter Piet en selle derrière lui. Enri possédait son propre véhicule, un modèle purement utilitaire. Les deux motoglisseurs prirent la direction du circuit, qui se situait juste sous la route qui ceinturait le parc central de la ville. Le soir commençait à tomber et les derniers rayons du soleil enflammaient le ciel d’un éventail de couleurs chatoyantes.

Le garçon sentait ses soucis s’envoler à l’idée de retrouver le frisson de la vitesse. Il s’arrêta devant l’entrée du complexe pour laisser Enri descendre et rejoindre Piet dans la zone réservée aux spectateurs, avant d’emprunter la rampe qui menait aux pistes. Le module de reconnaissance valida son passage ainsi que celui de son engin. Le circuit se divisait en deux parties : le cercle extérieur, dévolu aux coureurs adultes, et le cercle intérieur, qui accueillait les juniors. Lukas salua quelques connaissances, en route pour leurs stands respectifs. Il admira la variété des modèles : les Ayrith gardaient la cote, mais les Fligend commençaient à les menacer sérieusement. On voyait encore peu de Xtrace comme le sien, ce qui ne lui déplaisait pas.

En tant que membre de l’équipe officielle junior de Stellae, Lukas disposait de son propre stand, un habitacle à ses couleurs qui s’enfonçait dans la paroi du circuit, juste en dessous des tribunes. Il y gara son engin pour vérification mécanique avant de prendre le départ. Des tubes et des fils de toutes sortes tombèrent du plafond pour se brancher automatiquement sur les ports de diagnostic de son véhicule. Pendant ce temps, il revêtit une combinaison verte aux articulations renforcées et un casque aérodynamique.

— Lukas ! Je ne me souvenais pas que tu devais venir ce soir ? »

Lindey Marks, l’entraîneuse de l’équipe, venait d’apparaître à l’entrée. Appuyée au montant du stand, les bras croisés, la mince jeune femme posait sur Lukas le regard incisif d’une paire d’yeux sombres, légèrement en amande.

— Bonsoir Lindey, répondit Lukas avec un sourire forcé. Je me suis décidé sur le tard ! J’espère que ce n'est pas un problème…

— Rilka et Suri sont là, une course à trois pourrait les intéresser. Par contre, tu as l’air de sortir d’une journée difficile. Prends le temps de te détendre un peu avant d’enfourcher son engin, d’accord ?

Le garçon haussa les épaules avec une feinte désinvolture :

— Je me suis un peu accroché avec un professeur, mais dès que je serai en piste, je n’y penserai même plus !

Lindey lui jeta un regard incisif, puis haussa les épaules.

— Bien, je te fais confiance. Après tout, tu n’es plus un bleu. Alors, tu veux t’entraîner individuellement ou avec les autres ?

— Je vais commencer par quelques tours à blanc avant d'affronter les autres, si Rilka et Suri sont d’accord.

— Bien. Je laisse les murs pour les trois premiers tours. Vous vous rejoindrez au quatrième.

Le garçon opina avant de regagner son véhicule : les diagnostics venaient de se terminer. Il activa la fermeture des pièces frontale de son casque et enfourcha la machine. À peine avait-il effleuré les commandes que l’appareil s’éleva sur ses coussins répulsifs. Aérodynamique et épuré, il offrait une image de vitesse et de légèreté qui s’affirmait plus que jamais lors des courses.

La piste intérieure se divisait en dix voies qui pouvaient être séparées par des murs magnétiques amovibles. Lukas dirigea son motoglisseur vers la numéro 3, qui lui avait été affectée. Il commença par un premier tour à une allure tranquille, avant de tester les réactions de l’engin. Il appréciait tout particulièrement la façon dont il répondait à ses moindres sollicitations, comme s’il constituait un prolongement de sa volonté.

Une nouvelle fois, il pensa à la compatibilité que devaient expérimenter les pilotes infusés au sang d’argent. Pour eux, il ne devait pas s’agir d’une simple impression. Même si le procédé le répugnait profondément, Lukas ne pouvait s’empêcher d’éprouver une profonde curiosité à ce sujet.

La voix de Lindey résonna dans les écouteurs de son casque :

— Lukas, concentre-toi, ou tu tourneras seul toute la soirée !

— Compris.

Un peu honteux, il rectifia sa trajectoire et s’efforça de maintenir son attention sur la piste. La course avec ses deux concurrentes lui offrirait bien plus d’intérêt. Au moins, il ne songerait plus à cet épisode gênant pendant le cours. Il appréciait Suri ; travailleuse acharnée, la jeune fille s’entraînait tous les jours ou presque, ce qui l’aidait à pallier un manque de… il n’osait dire de talent, même si dans le fond, cela s’en rapprochait.

C’était différent avec Rilka. Elle possédait un tempérament très compétitif et tenait à se poser en rivale de Lukas, surtout depuis son titre de champion. Cette attitude qu’il jugeait forcée et peu conviviale troublait le garçon. Même si elle l’obligeait à toujours se surpasser, elle l’épuisait parfois, surtout quand une journée difficile lui donnait l’envie d’une session plus détendue… d’autant qu’il craignait de la voir prendre le dessus s’il baissait sa garde !

Les deux coureuses glissaient sur leur voie respective, de part et d’autre de la sienne. Suri, tout de jaune vêtu, chevauchait un Fligend CT 456, un modèle un peu ancien, mais qu’elle avait modifié avec l’aide de son mécanicien pour le rendre plus maniable. Sans grande surprise, Rilka, mince et anguleuse dans sa combinaison rouge sombre, avait porté son choix sur un Ayrith Vipel 2100, encore sous statut de prototype deux mois plus tôt. Lukas se moquait parfois d'elle en lui rappelant que le modèle ne faisait pas le pilote, et que mieux valait se contenter d’un motoglisseur avec lequel on se sentait compatible plutôt que se jeter sur la dernière machine en vogue. Malgré tout, il devait admettre que cette fuite en avant lui réussissait.

La présence de ses deux compétitrices l’obligea à se concentrer exclusivement sur la conduite. Il testa de nouveau les accélérations de son Xtrace. Lindey n’aimait pas qu’il l’emploie comme véhicule ordinaire, mais cet usage quotidien lui permettait de le connaître à fond.

— Les enfants, je veux vous voir sur la ligne zéro avant de baisser les murs. Ça ira ?

Les trois jeunes gens acquiescèrent en cœur. Lukas freina pour stopper son motoglisseur juste sur la ligne lumineuse qui identifiait le point de départ de la course. Un bref chatoiement accompagna la disparition des parois qui séparaient les pistes. Le garçon échangea un coup d’œil avec Suri qui lui adressa un petit signe amical. Rilka se contenta d’un vague regard.

— Cinq… Quatre… trois… deux… un, go !

Les trois véhicules bondirent en avant dans le ronronnement discret de leur moteur électrique. Le Xtrace possédait la meilleure accélération initiale, mais Lukas savait qu’il ne devait pas se reposer sur cet avantage. Il préféra retenir légèrement sa machine et laisser les deux jeunes filles prendre un peu d’avance avant de monter peu à peu en puissance. Confiante comme à son habitude, Rilka se plaça en tête, tandis que Suri se glissait derrière elle, pour conforter sa position tout en bloquant la progression de Lukas.

Le garçon serra les dents. Hors de question de se faire distancer ! Il devait forcer le passage, d’une façon ou d’une autre. Il décida d’attendre la zone des « S », l’endroit où la piste formait des méandres étroits pour corser les choses. Les coureuses seraient obligées de négocier les courbes et de lui laisser une ouverture qui lui permettrait de prendre la tête. Pour le moment, il ne pouvait que ronger son frein.

Contre toute espérance, Rilka lui facilita la tâche. Emportée par l’ivresse de la course, elle accéléra pour gagner plusieurs longueurs d’avance. Sa voie se trouvait à présent libérée ! Suri tenta bien de rattraper la coureuse en rouge, mais Lukas la doubla avec aisance. Le Xtrace répondit avec fluidité, à son grand bonheur. Un puissant sentiment de jubilation monta en lui. Il oublia ses doutes, ses déceptions, l’attitude l’Eylin, les mots durs de monsieur Robert… Tout s’effaçait, brûlé par l’adrénaline qui se répandait dans ses veines. La victoire était à portée de main !

Les trois motoglisseurs parvinrent au niveau des « S ». Il engagea son engin dans la première courbe…

Sans le moindre signe annonciateur, le moteur se coupa. Emporté par l’inertie, le Xtrace poursuivit sa route, en décélérant sévèrement. La portance du répulseur diminuait peu à peu. Atterré, Lukas actionna les commandes, en vain.

— Lukas, que se passe-t-il ? hurla la voix de Lindey dans ses écouteurs.

— Je ne sais pas, plus rien ne répond !

— Range-toi !

— Je fais ce que je…

À présent, les répulseurs avaient cessé de fonctionner et les patins raclaient le sol lisse. Il sentit un choc à l’arrière de son véhicule ; le motoglisseur esquissa un tour sur lui-même et sortit de la piste, pour rebondir sur la barrière magnétique et s’immobiliser enfin. Le garçon secoua la tête, un peu étourdi.

— Lukas, ça va ?

Suri, qui s’était arrêté un peu plus loin, courut vers lui :

— Je suis désolée, je ne voulais pas te percuter ! Tu n’as rien ?

Il s’obligea à respirer lentement et profondément. À la pensée de ce qui venait de survenir, il éprouvait encore un effroi qui faisait battre son coeur de façon incontrôlée. Il n’avait pas été blessé, et Suri non plus, mais il ne parvenait pas à ressentir de soulagement. Les images terribles de ce qui aurait pu arriver défilaient devant ses yeux. Lindey fit irruption par l’issue de service sur la droite du circuit et se précipita vers les deux jeunes gens :

— Vous allez bien ?

La jeune fille en jaune ôta son casque et secoua sa chevelure frisée :

— Plus de peur que de mal. Et toi, Lukas ?

Ses prunelles de jais le fixaient avec inquiétude. La main de l’entraîneuse se posa sur l'épaule de Lukas. Il recula vivement, comme au contact d’une braise rougeoyante. Confus, il baissa la tête :

— Je… je suis navré, Lindey.

— Ce n’est pas grave. Qu'est-ce qu'il t'est arrivé ?

— Je ne sais pas. Tout s’est bloqué d’un coup… Le moteur s’est éteint et les commandes ne répondaient plus…

— La batterie ?

— Elle a été rechargée la nuit dernière. Et si elle était en panne, le diagnostic l’aurait repéré…

Lindey se redressa et passa les doigts dans ses cheveux en soupirant.

— Ça ne sert à rien de faire des hypothèses dans le vide. L’entraînement est fini pour ce soir. Rilka, range ton engin.

Lukas ne s’aperçut qu'à ce moment que l’autre concurrente s’était arrêtée pour les rejoindre. Son visage, naturellement pâle, prenait une teinte blafarde sous les lumières violentes du circuit. Ses yeux écarquillés lui prêtaient une expression plus défaite encore. Lukas s’étonna de la voir aussi troublée par l’accident. Après tout, elle était la seule à n’avoir subi aucun dommage.

À propos de dommages…

Lukas se tourna vers le Xtrace, échoué le long de la barrière. La partie arrière droite portait la marque de l’impact : la carrosserie avait été légèrement enfoncée et une longue rayure parcourait son flanc, mais les dégâts lui parurent mineurs. Il s’avançait pour le redresser quand Lindey l’arrêta :

— Ne t'approche pas. Il y a peut-être une fuite d’argentium…

Le garçon s’immobilisa : il n’y avait pas songé. Le seul argentium toléré dans Stellae coulait en faible quantité dans les circuits de divers engins. En théorie, les tuyaux soigneusement isolés permettaient d’éviter toute contamination, mais personne ne souhaitait prendre le risque. Toute personne touchée par le fluide voyait son patrimoine génétique compromis et ne pouvait plus prétendre à habiter dans une enclave protégée.

— Je vais demander une évacuation sécurisée et un diagnostic poussé, poursuivit l’entraîneuse. Et tu as gagné un bilan, toi aussi. Rends-toi directement centre médical. Je doute qu’il y ait le moindre souci, mais il vaut mieux écarter cette éventualité au plus vite.

Lukas sentit un frisson lui parcourir le dos. Et si, sans le savoir, il s’était trouvé en contact avec le sang d’argent ? Il n’osait même pas y penser. Le garçon songea à esquiver le bilan médical, mais Lindey l’apprendrait sans le moindre doute.

À contrecœur, il se détourna de son précieux véhicule, en espérant que la panne serait vite identifiée et, surtout, pas trop sérieuse.

Près d’une heure plus tard, après une désinfection complète, un scanner intégral et une analyse génétique sommaire, Lukas reçut enfin le droit de regagner son appartement, avec la recommandation d'effectuer une nouvelle série d’examens au bout d’une semaine. Suri et Rilka avaient déjà quitté le circuit, mais il constata avec autant de plaisir que d’étonnement que Piet et Enri l’avaient attendu.

— Madame Marks nous a expliqué de ce qui s’était passé… murmura le garçon blond. Nous avons vu l’accident depuis les gradins. Tu n’avais pas l’air blessé, mais comme tu as mis du temps à revenir...

— Tu vas comment ? intervint Enri.

Soudain envahi par l’émotion, Lukas sentit ses yeux se troubler. Il les essuya d’un geste rageur :

— Je suis fatigué, grommela-t-il. Ce n’était pas mon jour…

— Tu veux que je te raccompagne ? Piet est d’accord pour prendre une navette.

Le garçon dévisagea ses amis, tour à tour ; il lut sur leur visage de l’inquiétude mêlée de sollicitude. À quoi bon lutter ? L’épuisement alourdissait son corps comme ses pensées. Après une nuit de sommeil, les choses apparaîtraient sous un jour moins sombre.


Texte publié par Beatrix, 6 décembre 2020 à 23h47
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