J’ai passé la nuit avec la coccinelle de bât, pendant que Karjou et Perlaj allaient se reposer un peu. Si nous voulons que cette expédition ne s’arrête pas là, nous devons nous serrer les coudes et nous entraider. La pauvre bête a un chagrin incroyable, mais ce matin, en nous y mettant à trois, nous avons réussi à la faire manger un peu. D’après Karjou, elle va avoir besoin rapidement d’un nouveau compagnon à qui s’attacher, et Erwyn a entamé des négociations avec les lutins des roches pour qu’ils nous cèdent l’un de leur frelon. J’ignore si cela va aboutir ou non, mais il est clair que ce serait là une solution convenable…

J’ai accepté d’accompagner Jykh cet après-midi, pendant que les autres vaquaient à leurs propres occupations. J’espérais vivement que nous reprendrions vite la route, mais je crois que nous sommes bien partis pour passer quelques jours ici. Arvaïl veut étudier les frelons et Erwyn veut profiter de quelques nuits de sommeil dans un vrai lit. Pilpilim ne s’est pas prononcé, mais il est toujours plongé dans le même mutisme, aussi je crains fort qu’il ne m’apportera pas son soutien. J’ai donc décidé d’accepter l’invitation de Jykh, qui me proposait de découvrir les alentours.

Je ne m’attendais pas à plus qu’un amas poussiéreux de roches et de cailloux, puisque le paysage ne nous offrait que ça depuis des jours, à la lumière du soleil. Mais j’ai sous-estimé la vitesse et l’endurance des frelons, et Jykh nous a emmené jusqu’à d’immenses canyons, au fond desquels couraient de violentes rivières. Nous avons voler au ras de l’eau, et j’ai pu voir la violence du fracas du courant contre les immenses rochers qui étaient empilés là. Un amateur de sport extrême y aurait sans doute vu un défi intéressant, moi j’espérais juste ne jamais me retrouver avec un cours d’eau pareil à traverser pour pouvoir poursuivre ma route.

Il nous a ensuite amené plus loin encore sur les hauteurs, et nous avons fini par approcher d’une avancée montagneuse à la fin de la journée, alors que le soleil se couchait. Là, il s’est posé et a accroché son frelon solidement à un rocher, puis nous avons marché un moment. La nature était splendide. Nous étions sortis pour de bon de l’immense désert rocheux, et des arbres poussaient de nouveau ça et là. Mais au-delà de ça, mon instinct me disait que Jykh voulait me montrer quelque chose de bien précis, et il ne se trompait pas.

Nous avons fini par arriver au bord d’un nouveau canyon, mais cette fois-ci, une immense arche de pierre permettait de traverser le gouffre pour passer de l’autre côté. Elle avait l’air d’avoir été à l’origine naturellement creusée par le temps et les éléments, mais des mains agiles l’avaient entre-temps retravaillée et sculptée. De haut piliers s’élevaient des deux côtés, se rejoignant au sommet pour former une voûte elle aussi superbement ouvragée. De l’autre côté, creusée dans le flanc de la montagne, se trouvait la façade d’un immense bâtiment.

Je suis restée en admiration devant cet ouvrage jusqu’à ce que la nuit tombe complètement, puis Jykh m’a expliqué que nous ne pouvions pas aller plus loin, que le lieu était maudit et que son peuple interdisait à quiconque d’y mettre les pieds. Nous sommes donc rentrés au village sous le ciel étoilé sans que je proteste. J’ai appris depuis longtemps à respecter les traditions et légendes des uns et des autres. Mais cette fois-ci, mon cœur me hurlait de faire demi-tour. J’ai le sentiment que cet endroit cache bien plus de secrets que bien d’autres endroits que j’ai eu la chance de visiter jusque là. Peut-être qu’une fois que nous aurons trouvé les Récifs du Ciel, je reviendrai visiter les lutins des roches pour tenter de les convaincre de me laisser retourner là-bas…