Voilà plusieurs semaines que je parcours les terres inconnues. Celles que je cherchais depuis toutes ces années, celles dont parlaient les Anciens des Royaumes Gobelins. La plupart des créatures magiques nie leur existence et pourtant je suis là, au-delà des limites des cartes existantes. C’est le problème des peuples magiques. Ils ne s’imaginent pas à quel point le monde est plus grand qu’eux. Si grand, tellement grand.

Depuis des années je suis persuadée que nous n’en connaissons qu’une infime partie et je sais aujourd’hui que j’avais raison. Je ne dirai pas que je suis la première lutine à les explorer, ces terres étranges, car je rencontre parfois de rares habitants, mais je pense pouvoir dire que je suis la première de Tolbalad à parcourir ces chemins presque inexistants.

Nous marchons en direction des Récifs du Ciel. Selon une vieille histoire troll, un jour, un navire céleste a heurté une lune, qui s’est alors brisée en mille morceaux et a entraîné dans sa chute des milliers d’étoiles. Le navire, la lune, les étoiles, ils sont tous tombés dans un lac profond et calme aussi grand qu’un océan. C’est vers ce lac que nous nous dirigeons.

Quand je dis "nous", je parle de la petite expédition qui s’est montée dans le dernier comptoir commercial où je me suis arrêtée. Je voyage avec Erdwyn, un gobelin bibliothécaire qui en avait eu assez d’avoir le nez dans la poussière de ses livres (ce qui est plutôt exceptionnel pour un gobelin), et Arvaïl, un elfe complètement fondu d’insectes qui erre à la recherche d’espèces encore inconnues. Nous sommes accompagnés par deux guides lutins et leurs coccinelles de bâts, Karjou et Perlaj. Enfin, un être des eaux est également de la partie : Pilpilim.

Pilpilim nous a rejoint en dernier, alors que nous remontions un cours d’eau presque à sec. Il ne ressemble pas aux sirènes, tritons ou même aux lutins aquatiques que nous connaissons dans nos contrées. Il a les oreilles encore plus longues et pointues que les nôtres, deux grands yeux noirs et un museau de chat. Sa peau change de couleur avec le temps et ses humeurs. En ce moment, alors que nous venons de dîner à la lueur du feu de camps, elle est d’un beau bleu pâle et brille presque dans le noir. Erdwyn l’appelle parfois "la Luciole". C’est vrai qu’il luit complètement certaines nuits…

Depuis quelques jours, le paysage n’évolue plus. Roches, sable, caillasse… Rien ne laisse présager que nous approchons d’un lac immense, mais nos deux guides sont formels : nous allons dans la bonne direction. Pilpilim a l’air confiant lui aussi et c’est bien pour ça que je n’ai pas remis en cause la route que nous suivons. Je m’accroche à cette vieille croyance de ma grand-mère qui disait qu’un être des eaux savait toujours retrouver le chemin de la mer, des rivières et des torrents.

Demain, nous repartirons à l’aube si Arvaïl est revenu à temps de ses expéditions nocturnes. Ces dernières nuits, il s’aventure de plus en plus loin, poursuivant le bzzi buzz bizz qu’il est persuadé d’avoir entendu un soir. Il est toujours revenu bredouille jusque là, mais j’admire sa capacité à ne pas baisser les bras. C’est sans doute l’une des choses qui fera de cette expédition un succès.