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tome 1, Chapitre 10 « Les créatures de la nuit » tome 1, Chapitre 10

Konstantin observa Svetlana s’éloigner, satisfait. Sa visite le réjouissait et le rassurait ; il avait craint qu’elle ne lui donne plus de nouvelles. Son plan ne permettait pas le refus de la jeune femme, mais il tenait à ce qu’elle collabore avec lui de son propre chef. Après tout, sous sa silhouette menue, se dissimulait une personnalité farouche. Lorsque le temps viendrait, elle mettrait le Monde à ses pieds.

De retour dans ses appartements, l’ennui le submergea de nouveau. Il avait lu et relu les livres de sa bibliothèque pourtant bien remplie, il n’avait aucune envie de dormir et la perspective de sortir ne l’enchantait pas. Il fréquentait parfois quelques bars réservés à des clients comme lui, mais il préférait chasser lui-même ses proies. L’ambiance débauchée ne lui convenait pas ; même à l’époque de son humanité, il préférait les plaisirs simples.

Il rêvait surtout d’appeler Svetlana, de discuter avec elle, de comprendre qui se cachait derrière la tueuse à gages désabusée. Il renonça ; pour que la mission fonctionne, il devait lui accorder le temps nécessaire. À la place, il enfila une veste, puis sortit à l’extérieur. Il n’aimait pas particulièrement Beograd, mais la ville blanche avait au moins le mérite de laisser le champ libre aux vampiri une fois le crépuscule tombé. Là, il n’avait plus besoin de se fondre dans la masse, puisqu'il se mouvait avec aisance dans les rues désertes et endormies.

La fraîcheur lui importait peu ; son corps diaphane ne sentait plus rien depuis des années. Quand la soif de sang le submergeait, il éprouvait parfois du désir, mais il se demandait s’il arriverait un jour à aimer quelqu’un de nouveau. Lorsque l’on était condamné à l’éternité, tout devenait relatif.

Il avança – ou fonça plutôt – jusqu’à la périphérie de Beograd, dans un quartier désaffecté. La municipalité n’effectuait plus de rondes depuis des lustres, aussi, plusieurs de ses compagnons squattaient là. Il pénétra à l’intérieur d’une vieille usine, puis entendit des bruits de mastication. Quelques mètres plus loin, plusieurs vampiri étaient penchés sur un cadavre.

— Konstantin… souffla l’un d’eux.

— Thadeusz.

Deux perles argentées scintillaient dans la pénombre. Les bruits s’estompèrent, le cadavre fut abandonné telle une poupée de chiffons.

— Voilà notre prise du soir, susurra son ami. Un joggeur qui s’est aventuré trop loin… Pas aussi délicieux que l’enfant de l’autre jour, mais nous t’en avons gardé un morceau quand même.

Konstantin le refusa poliment, puis leva la tête en direction du plafond. Là, une dizaine de paires d’yeux le toisaient depuis la hauteur. Il les salua d’un signe de tête, tout en se félicitant du respect et de l’intérêt qu’il suscitait. Jadis, rares étaient les personnes à s’intéresser à lui. Benjamin d’une fratrie de dix enfants, il avait vécu dans l’ombre de ses frères et sœurs. Il avait certes reçu une éducation soignée, digne de son rang noble, mais lorsqu’il avait disparu, il n’était pas certain que sa famille l’eût pleuré.

Il haussa les épaules, puis chassa ces souvenirs. Sa véritable famille se tenait devant lui ; ses compagnons de l’ombre, les damnés de l’humanité, la lie des Cachés, ceux que même Laurent honnissait du plus profond de son âme.

— Elle est revenue, annonça-t-il.

Sa voix s’était faite plus rêveuse, enjôleuse. Il avait beaucoup apprécié sa rencontre avec Katharina, vive, intelligente, rusée ; mais celle avec Svetlana dépassait toutes ses espérances. Qu’il avait hâte de la former !

— De son plein gré ? demanda Thadeusz.

— De son plein gré.

Son compagnon poussa un grognement approbateur. Les rayons de la lune dévoilèrent sa silhouette amaigrie, son visage émacié, presque cireux. Il ne possédait pas la beauté que l’on imputait aux Cachés. Konstantin le trouvait même repoussant, avec ses cheveux platines qui collaient à son visage anguleux. Pourtant, son ami, polonais d’origine, possédait une force dévastatrice, qui suscitait le respect de nombreux vampiri.

Les autres, qui suivaient leur conversation dans l’ombre, vaquèrent de nouveau à leurs occupations. Leurs murmures emplirent le bâtiment, même si Konstantin ne les écouta pas. Parfois, il s’attardait ici et chassait avec tout le monde, mais ces moments devenaient de plus en plus rares. Laurent les détestait tant qu’il envoyait régulièrement ses sbires les traquer dans leur Monde, à des millions de kilomètres de son antre. Tous avaient échoués jusqu’à présent. En se réfugiant ici, dans les Balkans, Konstantin, Thadeusz et ceux qui avaient choisis de les rejoindre avaient appris à se battre.

— Comment la persuaderas-tu de travailler pour nous ? demanda son ami. En l’infiltrant dans le coven de ce connard, tu l’exposeras. Il lui promettra monts et merveilles afin de la rallier à sa cause. Les dinars ne suffiront pas.

— Je ne compte pas sur l’argent, avoua Konstantin, mais sur sa sœur.

— Encore faudrait-il la trouver.

— Nous n’avons pas besoin d’elle physiquement.

Même s’il préférait la trouver dans les plus brefs délais, jouer sur le lien affectif entre Svetlana et Katharina suffisait. Dès l’instant où il avait posé ses yeux sur l’aînée, il avait percé à jour sa sombre personnalité. Svetlana ne se souciait plus des questions morales ; tuer était une seconde nature chez elle. Il savait que le grand marš l’avait transformée, au contraire de Katharina. Voilà pourquoi il souhaitait collaborer avec elle : non seulement la jeune femme s’avérait la digne héritière d’Élia, mais elle n’avait pas froid aux yeux. Cependant, Thadeusz avait raison : Laurent la manipulerait sans états d’âmes. Si le chef des vampiri réussissait à la rallier, ils affronteraient une ennemie plus dangereuse que celui-ci.

Konstantin n’avait pas le droit à l’erreur. Acquérir Svetlana à sa cause était primordiale et il abuserait de l’amour qu’elle portait à Katharina pour parvenir à ses fins.

— Quand signera-t-elle le contrat ? demanda Thadeusz, visiblement impatient.

— D’ici quelques semaines. Il lui faudra du temps avant que Svetlana comprenne la vérité et lève les blocages psychologiques sur ses pouvoirs.

— Accélère les investigations ! s’emporta soudain son ami. Bordel, nous sommes cernés de toutes parts ! Si nous ne débutons pas la mission sous peu, le prochain sbire de Laurent nous exterminera.

— Je fais de mon mieux, Thadeusz.

En attendant, il ne pouvait rien faire de plus. Lui révéler tout serait contre-productif ; il risquerait de la braquer et de brider encore plus ses pouvoirs. Contrairement aux autres, il connaissait assez les règles de la sorcellerie pour agir de façon convenable. Avant sa transformation, il avait bravé les lois de son époque en se convertissant au paganisme. Il l’avait pratiqué plusieurs années avec sa fiancée, jusqu’à ce qu’un scandale éclate. Même s’il ne possédait aucun pouvoir, il maîtrisait assez son sujet pour savoir comment s’engager avec Svetlana. Thadeusz et les autres pouvaient trépigner, il ne changerait pas de stratégie.

Une petite silhouette se fraya soudain un chemin sur le sol bétonné. Il s’agissait d’un enfant, en apparence du moins. Konstantin le connaissait bien ; il s’agissait en réalité d’un vampir de plusieurs centaines d’années. L’enfant, au visage chérubin, les salua d’un signe de tête, avant de susurrer :

— Lucius s’est définitivement établi à Beograd.

Les bavardages s’estompèrent aussitôt. Thadeusz siffla une injure, imité par Konstantin.

— Où ? demanda son ami.

— Périphérie ouest.

Konstantin tressaillit ; ce ramassis d’ordures était sur le point de trouver leur cachette. Tout le monde savait que Lucius vendrait parents et enfants pour obtenir un peu de sang frais. En plus d’être un lâche, il demeurait un ennemi sournois et imprévisible. Il possédait des centaines de soldats prêts à se suicider pour lui s’il le leur ordonnait. S’il avait décidé d’aider Laurent à le traquer, il ne donnait pas cher de leur peau.

Thadeusz tremblait de rage. Il chassa le messager d’un geste dédaigneux, puis pivota vers lui, les yeux sur le point de sortir de leurs orbites.

— Svetlana doit signer le contrat le plus vite possible, décréta-t-il, la mâchoire serrée. Je n’ai pas l’intention de continuer indéfiniment à me planquer. Alors bouge ton cul, l’anglais, ou c’est moi qui irais la chercher.

Konstantin hocha la tête à contrecœur. Il ignorait comment il parviendrait à « débloquer » Svetlana sans recourir à la force. La jeune femme était une tête brûlée. Elle rêvait d’aventure, d’adrénaline, de fuir son quotidien, mais jamais elle ne survivrait dans ce coven sans la formation adéquate. Elle devait apprivoiser ses dons, contrôler sa soif de sang et de pouvoir. Lui-même avait mis des décennies avant de se maîtriser ; qu’en serait-il d’elle, s’il la jetait en pâture à ces monstres quelques jours après sa « transformation » ?

Hélas, Thadeusz ne tolérerait aucun retard. Il bouillonnait de rage et d’impatience, et Konstantin peinait déjà à freiner ses ardeurs.

— Si elle est aussi puissante que son ancêtre, elle acceptera vite la situation, tenta Thadeusz. Je te laisse une semaine, l’anglais. Pendant que tu t’occupes d’elle, je repousserai Lucius. Passé ce délai…

Il n’acheva pas sa phrase, mais Konstantin n’eut pas besoin d’entendre la suite pour le prendre au sérieux. Thadeusz, sous sa silhouette de brindille, était un taré assoiffé de sang et de torture. Il gérait leur petit clan d’une main de fer et ne manquait pas d’éliminer les malheureux qui se dressaient sur son chemin.

—Crois-moi lorsque je te dis que je tiens à toi, murmura-t-il.. T’es coincé du cul, mais t’es un gars bien. Jamais je ne te ferais de mal, tu as ma parole, mais là, la situation urge.

Sur ces mots, il lança une nouvelle partie de chasse et disparut à l’extérieur, suivi par l’ensemble du groupe. Dépité, Konstantin observa le cadavre déchiqueté. Thadeusz était sincère. En dépit de ses tendances sadiques, il demeurait un vampir dévoué à ceux qu’il jurait de protéger.

Malheureusement, le temps n’était plus aux amitiés, mais à la guerre.


Texte publié par Elia, 13 avril 2020 à 17h35
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