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tome 1, Chapitre 6 tome 1, Chapitre 6

Des heures plus tard, la jeune fille se réveille en sursaut, pensant avoir fait un cauchemar. L’esprit embrumé, tu t’assois et regardes lentement autour de toi. Tu cherches un objet reconnaissable qui nierait la réalité. Tu clignes des yeux plusieurs fois en espérant te retrouver comme par magie dans ta chambre ou la sienne mais rien n’y fait. Une tentative pitoyable pour te rassurer.

— Une cave. Je suis dans une cave. C’est quoi cette chaîne ?

C’est tellement mystérieux l’Amour. Je connais ta réticence à la nouveauté d’où cet endroit. J’ai mis quelques années pour le peaufiner. N’abîme pas trop tes cordes vocales princesse, ce sous-sol est complètement insonorisé. Je sais ce que tu te dis : « c’est sans doute une mauvaise blague, ils vont venir m’ouvrir d’ici un moment... » Désolé ma puce mais non. Personne ne viendra jusqu’ici. Jamais. Tu t’en apercevras bien assez tôt. Tu tentes difficilement de te relever et explores le lieu. Tu cherches sans succès ton sac, objet dont tu ne te sépares jamais. Il parait qu’on peut résumer la vie d’une personne suivant le contenu de son sac. J’ai pu m’en apercevoir. Abigaelle, jeune trisomique tellement mignonne mais désespérément seule, n’avait que son portefeuille et le traitement qu’elle devait prendre. On voit quelques fois son affiche de disparition. Mélina, elle, débordait d’énergie et de popularité. Et Dylan ? Ah, la belle Dylan... Je m’égare. Au fond s’y trouvent les plus importantes, celles qui n’en sortent jamais ou très rarement. Des objets que tu qualifies de vitaux, à tort. Ton appareil photo, son cahier d’écrits et tes stylos favoris. Qui prend la peine d’avoir des stylos favoris, sérieusement ? Viennent ensuite les objets de la vie courante, ceux qui te définissent aux yeux du monde : ton portefeuille désespérément vide, ta carte d’identité et tes clefs. J’ai pris soin de jeter la lettre de l’abruti ne t’en fais pas. Tu observes le plafond pour dénigrer la caméra et son faisceau rouge, signalant sa mise en marche. Joli majeur d’ailleurs.

Tu continues ton inspection mais tu ne vois rien. Cet endroit est sombre et peu humide. Assez grand pour contenir une petite table sur laquelle j’ai déposé une rame de papier et tes stylos favoris, ainsi qu’une chaise bancale cependant, tu m’excuseras mais c’est ce qui se passe quand tu fixes du bois dans un sol de béton. Tu as sans doute remarqué que tu étais sur un lit des plus confortables. Le sommeil est une chose importante et c’est pourquoi je t’ai pris ce matelas bultex, que tu visais la dernière fois. Il n’y a aucune fenêtre, tu n’en auras pas besoin. Le peu de lumière filtre par cette énorme porte en bois qui, tu l’apprendras bien assez tôt en restant sage, cache un couloir muni d’une pièce contenant petite douche à laquelle tu n’as bien évidemment pas accès, suivit d’une vraie porte digne des plus grandes banques. Les murs de la pièce semblent être faits de briques. Souviens-toi, j’hésitais entre deux modèles : la plaquette de parement pierre naturelle multicolore élégance et celle en pierre naturelle beige/grise élégance. Tu trouvais la première plus amusante, originale. J’espère qu’elle te plait autant que ce jour-là, à Leroy Merlin. Qu’il te rappellera notre crise de rire interminable pour une raison des plus minables ! Juliet et ses manies...

Au fond, le vieil escalier rongé par le temps que j’ai récupéré l’air de rien au Café. Ils comptaient le brûler tu sais. T’aidant du mur de pierre, tu montes lentement les marches et, arrivée en haut, tu cherches en vain la poignée. Désolé mon Amour, cette maudite porte, comme tu le hurles, est fermée de l’extérieur. Tu n’es pas suffisamment sage. Regarde-toi. Tu manques de force et pourtant, tu te mets à gémir sans raison. Bon peut-être pas sans raison : de ton point de vue, tu es enfermée on ne sait trop où, une prisonnière probablement perdue au milieu de nulle part et loin de toute civilisation. Ce n’est pas tout à fait juste ma chérie. Et baisse d’un ton, tu me donnes mal à la tête. Je répondrais à tes questions au moment que je jugerais opportun. Arrête de gueuler comme une truie putain de bordel de merde ! Regarde ce que tu me fais faire ! Je viens de taper sur la table ce qui a eu, pour conséquence, de renverser et briser ma tasse favorite. Tu vas payer pour ça et ce ne sont pas ces horribles cris d’incompréhension colérique qui t’aideront, sache-le. Calme-toi, tu frises l’hystérie. Ce n’est que moi, ton âme sœur. Tu te recroquevilles sur toi-même, au plus loin sur le lit même si cela te blesse un peu plus le pied enchaîné. Tu es terrorisée et j’hésite à venir t’aider à contrôler les tremblements qui te prennent. La gorge nouée, tu penses certainement que tu vas suffoquer. Respire mon Amour. Voilà comme ça. Prends une grande goulée d’air et inspire profondément. Puis expire le plus calmement que tu puisses et recommence. Des larmes se mettent à couler le long de tes petites joues et des sanglots s’échappent. Mon joli petit hamster bouffi. Tu tentes de les contrôler, tu ne veux pas abandonner la partie mais tu ne comprends pas l’inutilité de ta réflexion.

C’est tellement mystérieux l’amour. Les semaines passent sans que tu n’obtiennes aucune réponse de ma part. Tu es forte. Bien plus que toutes ces autres pimbêches cassées en quelques jours. Non, toi, tu persévères. « L’espoir meurt en dernier. » Tu y crois tellement fort ! Et tu restes dans cette pièce, seule avec toi-même, en attente. Tes journées s’enchaînent avec pour seuls bruits, les échanges de plateau, les rendus pour la plupart, remplis. Et les clefs qui tournent la serrure du petit cagibi que tu avais loupé les premiers jours. Tu es souvent dans les vapes. J’ai appris qu’une personne droguée était plus facilement manipulable mais tu es certainement l’exception qui confirme cette pseudo règle idiote. Pour tes besoins naturels, le seau au fond de la pièce suffit. Mais estime-toi heureuse ma beauté. Je viens te sauver. Le calvaire que tu vis se termine aujourd’hui. Cela ne m’amuse plus.

Quand la porte s’ouvre enfin sur ton ravisseur, à savoir moi, tu me distingue à peine du fait de l’éblouissante lumière que je dirige intentionnellement dans ta direction. Un petit rappel à l’ordre. Instinctivement, tu te recroquevilles un peu plus au fond de la pièce. Aucun de nous ne parle ni ne bouge et, à bout de patience, comme un petit garçon intrépide qui va ouvrir ses cadeaux de Noël, je tire sévèrement sur la chaîne qui t’entrave et tu te cognes malencontreusement la tête. Tu as perdu de ta vivacité ma jolie. Je m’obstine à te dévisager sans piper mot, toi la craintive sans plus aucun repère. Tu m’appartiens. Après toutes ces années je me sais près du but et malgré ma bonne volonté, tu n’ignores pas cette lueur malsaine qui se dégage de ma personne. Satisfait comme un bienheureux, je te dis en souriant :

— Trois mois ici et tu restes rayonnante. Je comprends mieux pourquoi toutes les autres te jalousent, bien qu’elles soient passées à autre chose maintenant.

Tu me fixes perplexe. Tu cherches à mettre un prénom à ma voix qui, tu le sais, ne t’est pas inconnue. Je continue sans tenir compte de ton trouble.

— Mais entre nous, il faut vraiment que tu me dises quel est ton secret, parfois que...

Ma phrase reste en suspens mais tu as saisi l’allusion. Une menace à demi-mot, à peine voilée. Un sous-entendu quant aux répercussions si tu décidais de t’évader. Après quatre-vingt-dix jours et des poussières dans le noir, tu t’habitues peu à peu à cet éclat que j’ai finalement éloigné de ton regard. Suffisamment pour ne plus que tu sois éblouie mais pas assez pour que tu distingues déjà mes traits. Prends le temps d’appréhender ma voix. De la reconnaître. D’un geste du pied, j’avance vers toi et tandis que je te dévore du regard, tu te masses la cheville enfin libérée.

— Tu vas me faire le plaisir de nettoyer ta merde. Tu fais tout disparaître, et rapidement.

Ta chambre s’apparente à celle d’une femme des cavernes, sombre et puante. Mon ordre est sans appel, aussi calme qu’agressif. Tu te mures dans un silence comique, toi qui, hier encore, hurlais tes questions idiotes. Je me demande où est passée ta jolie langue percée, et si tu l’as retrouvera un jour. En attendant, tu t’exécutes péniblement, poussant du bout de cette petite éponge tes nombreuses déjections dans un tuyau que tu n’aurais jamais pu découvrir seule. Tu pousses un peu plus chaque fois mon intérêt pour toi, ma protégée. Je ricane en te voyant te démener à ta tâche tout en songeant que les deux seaux auraient dû suffire si tu n’avais pas voulu faire ta princesse. Faisons une pause, tu es suffisamment humiliée pour le moment et tu finiras par comprendre que je n’hésiterais jamais à te remettre à ta place dès qu’il le faudra. Nous allons malgré tout tellement nous amuser, ne t’en fais pas.

— Allez, vient. Une douche s’impose ma jolie.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Tu bloques au son de ma voix que tu viens de reconnaître. Tu n’es pas marrante à garder tes réactions pour toi. Je sais ce que tu fais et je t’arrête tout de suite. Rien de tout ce que tu as en tête ne fonctionnera avec moi. Tu prends le temps de digérer cette révélation. Tu es prisonnière depuis trois mois d’une personne avec qui tu aurais pu être intime. Tu exècres, moi et mes petits mots d’amour, je le sens. Tu m’en balancerais bien, des « ma jolie » et compagnie pourtant, je reste ton ami, ton seul ami en fait. Tes pensées n’ont de cesse de se diriger vers tes proches. Ta sœur qui te hante et qui, tel un esprit, t’apparaît régulièrement et te demande de rester forte. Lùca, qui était prêt à abandonner Charlie le jour de son mariage. Laisse-moi te dire que non, ils sont toujours fous amoureux et la Connasse n’aura jamais été plus rayonnante que ces derniers mois. Tu songes à Matty qui ne t’aura pas attendu. Il découvre en ce moment même l’Amérique avec son groupe et Juliet. Je t’ai gardé toutes les interviews, coupures de presses et autres stupidités qui en parlent, rassure-toi. Tu penses lui dire à quel point tu l’aimes quand tu le reverras et tu ne sais pas comment vous en êtes arrivés là. Tu m’abandonnes, t’enfermes dans ton monde. Garde juste en tête que tu ne seras qu’un pantin jusqu’à être à moi.

Tu passes devant moi et je contemple ton petit cul que tu prends grand soin de balancer de droite à gauche, m’excitant un peu plus. Tu saisis enfin que tu n’aurais pu t’enfuir et que la lumière provenait de cet éclairage. Tu traverses le long couloir et, alors que tu penses monter un nouvel escalier en escargot, je te retiens par le bras. Ne fais pas la sainte, mon ange. Ton mouvement brusque pour te dégager ne te punit que plus encore.

— Ici.

J’ouvre la porte et tu découvres une petite salle de bain. Prends ton temps. Mille et une questions tournent dans nos têtes mais aucun ne songe à les énoncer. Toi, de crainte des réponses que je vais être amené à t’offrir. Moi, pour ne pas avoir à t’esquinter tout de suite. J’aime tout comme toi, laisser venir les choses. Rien ne sert de les précipiter, elles arriveront bien assez tôt. Tu vas adorer, je m’en suis assuré mais dans le cas contraire, et bien, tu t’y feras. Face au miroir, tu ne te reconnais pas. Ta magnifique chevelure rousse aux immenses racines est emmêlée et tes yeux océan, vifs à l’origine, sont désormais ternes et cernés. Tu détestes le fait que je sois là, à te regarder pendant que tu te dénudes et rentres dans la douche. Pour cette première, un premier lavage censé te décrasser suffira. Mais comme à ton habitude, tu n’en fais qu’à ta tête et tu prolonges ces instants. Tu apprécies grandement la sensation de l’eau chaude qui s'éparpillent sur ta peau ainsi que l’odeur des savons. L’odeur désinfectante laisse place à une doux effluve de fraise. Avec regret, tu en sors finalement et revêts ces fringues que je suis allé te chercher. Un sourire s’affiche sur les lippes à mesure que tu les reconnais. Ce ne sont pas n’importe quels vêtements non. Ce sont ceux qui se trouvaient quelques semaines plus tôt dans ton armoire. L’une des dernières journées shopping avec Matty. Ils portent encore les étiquettes que je t’enlève à l’aide d’une paire de ciseaux que tu admires. J’aime les frissons que te traverse alors que je te caresse délicatement l’arrière de ton cou.

— Par ici, j’ai quelque chose pour toi.

Si nous étions dans un film, le narrateur externe réciterait ces phrases d’une voix morose, façon pièce de théâtre surjouée.

« Le geôlier entraîne sa captive au fond du couloir. Ils montent l’escalier puis tombent sur un autre corridor. La jeune femme s’imagine à raison dans une sorte de labyrinthe. L’homme s’écarte finalement d’elle, après l’avoir mâté à nouveau d’une façon des plus perverses et lui demande d’ouvrir la porte qui se trouve face à eux. Hésitante, la jeune Bennet obéit. Surprise ! Elle se laisse tomber au sol, aggravant un peu plus ses diverses blessures. Devant elle, la copie conforme de son ancienne chambre. Identique jusqu’à la photo d’elle et de ses amis posée sur une petite table de chevet en bois, taguée d’écritures. Son carnet ainsi que son appareil photo sont posés sur le lit. Elle reste assise, sans voix. Seules ses larmes, desquelles on sent son désespoir, rompent ce silence glacial. De longues minutes s’écoulent, chacun jauge l’autre.

— Regarde-moi ! Souviens-toi de qui tu es et tu seras libre. Dis-moi ma douce. Libère-toi de ces chaînes invisibles. Raconte-moi ta vie d’avant. La poésie qui anime ton âme. Crie-moi ta rage d’être ici, avec moi, enfermée. Raconte-moi la haine que tu éprouves à mon égard face à ton amour d’une vie passée, d’une vie rêvée. De tout ce dont je t’ai privée. Ton animosité. Ta colère. La tristesse face à ceux qui t’ont laissée tomber. Car ils t’ont tous oubliée tu sais. Je les ai débarrassés d’un poids. Fais face à la réalité. Parle-moi. Tu verras qu’ainsi, ensuite, tu te sentiras mieux. Et avance avec moi. Oublie-les comme ils l’ont fait. Ah ! Tu les aurais vus satisfaits de ne plus avoir à se préoccuper de toi. Tes lettres étaient tellement convaincantes que personne n’a cherché plus loin. »

C’est tellement mystérieux l’Amour. Tu évites mon regard, bouillonnes d’un sentiment nouveau, que tu n’arrives cependant pas à identifier. Je la regarde minutieusement, sauvagement, puis reprends :

— Réponds-moi ou je te torturerai au point de te rendre méconnaissable.

De nouveau, le silence. Je guette la moindre de tes réactions, mais tu ne laisses rien transparaître. Nous savons tous les deux que je ne te ferais jamais de mal, physiquement parlant. Entre nous, un parcours semé de coups bas psychologiques se profile lentement, combat dont nul ne sortira gagnant. Du moins, pas vraiment. « Ils m’ont tous oubliée. Je n’existe plus, plus vraiment. Rien ne prouve que tu dises vrai. Je te faisais confiance. Tu ne peux pas me faire plus de mal qu’actuellement. Essaie toujours, pour voir. » La jeune fille, qui préfère garder ses pensées pour elle, le dédaigne. Tous deux savent ce qui se trame dans sa jolie tête. Les fameuses lettres dont tu n’as pas souvenir. Celle que tu avais voulu écrire avant de te rétracter. L’amas de mots pourrissant dans la poubelle de ton salon. La fameuse lettre. Puis celle que tu as fait tomber dans la neige, par mégarde. Je continue :

— Tu m’apprécieras à nouveau, tu sais.

Ces mots sont dits presque tendrement, ajoutant un poids en plus sur ton palpitant. Puis, sans un regard, tu te lèves et entres dans ce lieu imposé, cet endroit maudit te servant de nouvelle pièce à vivre. La jeune fille que tu es se refuse à tout rappel d’avant. Tu ne veux en aucun cas t’en souvenir, cela fait trop mal. Mais malgré toi, un à un, les souvenirs resurgissent. Contre toute attente, tu te vois faire un retour en arrière. Ces quelques mois te paraissent une vie entière.


Texte publié par Sara_B, 22 février 2020 à 11h37
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