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tome 1, Chapitre 3 tome 1, Chapitre 3

(Scène passée, suite)

Il est des moments dans la vie qui ont une subtile odeur de changement. Une odeur si fine qu’on la sent sans la comprendre vraiment. Il est de ces jours où, sans que ces personnes aient besoin d’explications, elles se savent vivre quelque chose d’important. Ces instants où leurs quotidiens prennent un tournant différent. Ceux qui font resurgir les souvenirs pour, si elles en sont prêtes, les guider sur le chemin qu’elles n’auraient jamais dû quitter. Sur la bonne voie. Et leur donner un avenir qui, sans tous ces fourvoiements, leur appartient véritablement. Bien évidemment, tout cela reste invisible mais apparent.

Tu appréhendes plus que quiconque cette journée. Au-dehors, comme pour t’achever, un ciel sans nuages, doublé d’un magnifique soleil qui, pour un début de matinée, tape fort. Après avoir longuement hésité, tu te décides enfin à sortir du lit, et manque de tomber. Baissant le regard, tu remarques ton plateau-repas de la veille. Ton réconfort composé de sucreries habituelles, de divers fruits tels qu’une pomme entamée, de chips. Et pour finir, un bol de céréales non terminé que tu viens donc de renverser. Effectivement, si l’on regarde à ta manière, il t’aurait mieux fallu rester couchée. À peine réveillée, mais déjà blasée, la jeune fille adorable que tu es se dirige vers la cuisine, tout en essayant de ne pas faire plus de dégâts. Une éponge en main, tu t’en retourne pour nettoyer son sol avant de véritablement te faire mal.

Après avoir une nouvelle fois pesé le bien-fondé de ta visite, tu devais maintenant te préparer. Ici également, une enquête minutieuse se prépare. Quels vêtements qui ne signifient pas une imbécillité telle que « Je viens traîner avec vous, comme si de rien était et qu’on s’était vu la veille. » Certes, aucun n’a un tel sens. Ce n’est sommes toute que quelques bouts de tissus recouvrant ta nudité. Mais la jeune femme que tu deviens voulait une tenue parfaite. Tu me fais rire. Après plusieurs essayages, tu conviens que cette robe d’un jaune très léger fera l’affaire. Celle-ci met tes formes en valeur sans pour autant les focaliser. Ta robe s’arrêtant aux genoux, tes longues et fines jambes se terminent par une paire haute de converses noires. Des converses avec une robe, oui. Mais pas n’importe lesquelles. Leurs bouts, qui malgré les années sont restés blancs, sont tagués de vos jeunesses. Quelques mots dont le plus important : Forever.

Tu te retrouves une nouvelle fois au chalet. Élégant et sans doute centenaire, il comportait trois niveaux aux proportions harmonieuses. Le rez-de-chaussée, très clair, était immense. Les murs avaient été abattus pratiquement partout afin de créer un espace gigantesque. On entendait la rivière, cachée par la forêt derrière toi. L’une des façades avait été entièrement remplacée par une baie vitrée et, au-delà des cèdres, la pelouse s’étendait jusqu’à la rivière. L’une des dépendances transformées en garage accueillait les nombreuses voitures. Comme par le passé mais sans savoir à quoi s’attendre, tu entres sans avertir de ta présence. Et c’est avec une inquiétude bien placée que tu te diriges vers le salon, lieux où les rires de tes anciens camarades se font entendre. Respire. Expire. C’est bien. Recommence. Respire. Expire. Entre. Les parois, les hauts plafonds à poutres apparentes, les planchers et les tapis moelleux recouvraient toute la palette des marrons. Charlie est la première à t’apercevoir et te fixe, songeuse. Ton apparition a provoqué un immense blanc quand Charlie se décide à t’accueillir les bras ouverts, un faux sourire illuminant son visage ; une pointe de jalousie à peine masquée dans les yeux. La boule au ventre se serre un peu plus alors que tu t’y étais préparée. Le futur marié sort de la pièce sous un prétexte, te laissant seule face aux autres. La maîtresse de maison te propose alors de le rejoindre, d’une voix tout aussi hypocrite que sa posture. On le retrouvera comme au bon vieux temps, sous le pont. Il t’attend. Ma belle blonde, toi qui d’habitude aurait reculé, fait un pas en avant, confiante. Le jeune homme hésite, perdu. Il se retourne et te contemple. Le stress de la nouvelle venue s’est envolé quand tu te plonges dans son regard. Il finit par te prendre dans ses bras et de nouveau, tu respires son odeur. Une délicieuse senteur sucrée. Il te murmure quelques mots, simples, mais lourds de sens.

— Tu m’as manqué.

Le signal que tu attendais pour t’éloigner, à contrecœur, de lui. Parcourant lentement son corps, ce corps que tu as souvent regretté, tu aurais aimé pouvoir lui répondre quelque chose. N’importe quoi. Tu lui offre à la place ton sourire, sincère et communicatif. Bien plus que n’importe quelles paroles qui auraient pu te trahir. Ce sourire qui n’appartient qu’au couple que vous formiez. C’est pourquoi il ne lui en a pas fallu plus pour les comprendre, ses mots. Ces non-dits qui se sont automatiquement transformés en d’autres :

— Oui je sais que tu regrettes, mon amour. J’en suis consciente, tout comme eux.

Lùca prend sur lui et t’ignore avant de s’éloigner pour de bon. Un sourire aux lèvres, ma blonde, tu n’es pas dupe. Du groupe, seule son ancienne amie se doutait de ta venue. Tu prends une grande inspiration que tu bloques, puis relâche, en reconnaissant les pas derrière elle.

— Simon.

Sa voix se casse, tu murmures son prénom. Tu te retournes et le temps se fige. Simon n’a pas changé. Vous vous observez et de nouveau, vous vous perdez en un regard. Ses yeux bleus restent aussi puissants qu’auparavant. Le voile de tristesse qui l’enveloppait la dernière fois a disparu. Il se rappelle votre passé commun et ce que vous avez manqué ; ces moments volontairement gâchés par ta faute, parce-que tu ne sais faire que cela. Il s’en souvient et vous vous faites face, après tout ce temps. Le silence s’éternise et ni l’un ni l’autre ne souhaite le briser par peur de ce que vous pourriez découvrir. Tu te rapproches de lui et ta main se cale dans le dos du jeune homme tandis que ta tête se niche près de son cou. Il ne te repousse pas, mais ne t’enlace pas non plus. Cet idiot que tu appelles ton ami reste aussi neutre qu’il peut se le permettre alors qu’on sait qu’il brûle de l’intérieur. Du groupe, il se retient le mieux. Posé même en débordant de colère. Enfin, il se décide. Cassant un silence doux, reposant. Il lui balance au visage :

— Tu te souviens du banc ? Il devait être aussi instable que nos relations.

Son rire rauque sort malgré lui. Il s’éloigne et tu peux lire son mépris, sa douleur ravivée par de simples mots et ta présence. Il enchaine :

— L’ironie nous joue de bien vilains tours, tu ne trouves pas ? Tu lui as demandé de me transmettre ta putain de lettre pour ne pas avoir à m’affronter. T’as osé. Très classe, j’ai apprécié l’effort, sache-le.

Tu murmures un « je m’excuse pour tout ça » à peine audible qu’il a entendu, mais qu’il ignore. Je songe sérieusement à le recadrer, ce petit con. Je n’ai jamais supporter la façon dont il te considérait.

— J’avais besoin de vous mais j’ai réalisé qu’Hugo avait raison.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Tu contemples un paysage que tu n’aurais pas espéré revoir un jour. Le temps passe et il médite sur tes propos. « Ça n’en finira jamais sauf si quelqu’un part. Là au moins, le problème serait réglé ». Soudain, le visage de Simon s’éclaircit. Les souvenirs de votre dernière dispute, celle qui l’a hanté un temps, avant d’être finalement refoulée au point de n’en garder aucune trace, refont surface.

— Tu viens juste de le comprendre, je lis dans tes yeux. Je me suis éclipsée pour qu’ils aient la chance qu’on aurait dû avoir. Pour toi aussi, même si ce n’était pas très délicat.

Tu grimaces, gênée pour un acte que tu considères pourtant, encore aujourd’hui, comme utile à ta survie. C’est tellement mignon que j’aimerais te serrer dans mes bras. Le jeune adulte finit peu à peu par se mettre à ta place sans pour autant te pardonner, convaincu que vous auriez pu vivre cette époque à deux. Il a un égo mal placé, je n’ai jamais vu ça. Les paroles font plus mal que les coups. Les non-dits également. C’est pourquoi le joli bout de femme que tu es mon amour, a plus que moins préparé les siennes. Elles te serviront de plaidoyer. Les mots, si l’on est en mesure de les manier, nous obéissent. Ils sont constants et ne changent pas comme ça. Pas tous seuls. Ils écoutent ceux qui les comprennent. Tu es confiante. Tu nous entraîne vers ce petit banc en marbre qu’on aperçoit un peu plus loin. Celui-là même qu’on avait installé en face du lac.

— Le passé reste compliqué. Il y a toujours quelque chose que l’on aimerait bien fuir sans pour autant y arriver. Et l’on essaye pourtant, de toutes ses forces. De toute son âme. Jusqu’à épuisement complet. Tu le sais aussi bien que moi, si ce n’est plus. Une fois qu’on se décide à l’affronter, même s’il est évident que rien ne peut s’arranger, suivant le cas, on en ressort plus fort.

Tu nous captive. Le jeune homme se souvient à la virgule près des propos qu’il a exprimés à l’époque. Il termine, sans comprendre :

— Sans passé, nous n’existons pas, il nous forme. Marqué de nos échecs comme de nos réussites, qu’on l’aime ou non, il fait partie de nous. Ouais, et ?

— Est-ce que je culpabilise ? Oui. Est-ce que je regrette ? Absolument pas. Une blessure, pour pouvoir être soignée, doit avant tout cicatriser. Je me le devais bien, et tu le sais.

Vos regards ne se sont pas quittés. Un silence pesant s’installe tandis qu’on rejoint les autres. L’après-midi se termine mieux qu’il n’avait commencé. Des non-dits sont encore là, mais personne n’est prêt à y faire face. L’instant n’est pas aux griefs, mais au bonheur de celui qui fut un jour ton « tout » et que tu es venue féliciter. Vous ne saviez pas que cette visite annoncerait ta chute.

C’est tellement mystérieux l’Amour. Je vous suis de loin et m’extasie déjà quant aux événements à venir. Pour le moment, mon plan fonctionne à merveille. Tout peut encore changer, bien sûr. J’omets délibérément qu’en ce jour, je ne suis plus seul à manier les cartes. Tu peux encore rectifier les pièces que j’ai pris soin de manipuler à ma guise, les plaçant là où je les voulais. Ou Matthew, s’il décidait subitement de te rejoindre. Mais tout n’est pas perdu mon amour. J’aime les défis et celui-ci semble être de mon niveau. Tel un jeu d’échecs duquel personne d’autre que moi n’en connaîtrait les règles ; je vous sais pris au piège. Je vous observe, tu es acculée face à lui dans ce désert verdoyant. Tu penses certainement n’avoir jamais été aussi seule sans appréhender le fait de n’avoir jamais été réellement seule. Pas encore tout du moins. Ton compagnon quant à lui s’est comme qui dirait résigné. On le sent tout de même déterminé à se ridiculiser sans le savoir. Oui, cette mise en scène s’effectue à merveille. Le brun ténébreux que je suis y a veillé.

Doué d’une logique bien plus élevée que la moyenne comme toute personne déclarée Haut Potentiel, je place mes pions — pardon, les gens ! juste là où je les veux. En y repensant, cet instant craintif disparaît laissant place à un magnifique sourire. On moins éblouissant qu’il était en réalité, sadique. Perdu dans ma contemplation, j’en aurais presque oublié mon accompagnante :

— Aujourd’hui c’est ton gentil chien-chien. Aussi inoffensif qu’ignorant.

Mais crois-moi, tôt ou tard, le petit caniche te bouffera les doigts.

Je la dévisage lentement, choisissant mes mots et c’est tout naturellement que je lui explique, de cette manière que prendrait un parent pour réprimander son enfant :

— Quand un outil s’use et ne fonctionne plus correctement, on le délaisse par un autre.

J’aurais voulu lui dire que, quand un chien n’avait plus aucune utilité, on se devait de l’achever mais cela aurait été trop direct. Mon « amie » était certes emplie d’une envie de vengeance, elle n’en était pas moins intelligente. Tous deux connaissaient les limites à ne pas dépasser et ce n’était pas le moment de déclarer forfait. Pas encore, alors que j’étais si près du but.


Texte publié par Sara_B, 19 février 2020 à 17h02
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