C’est flou. C’est trouble. Tu entends des voix. Masculines. Féminines. Tu ne comprends pas ce qu’ils disent. Tu ne sais pas où tu es. C’est chaud. Trop chaud. Il faut que tu retires ce poids sur ta poitrine, que tu boives un peu d’eau. Juste pour ta gorge. Juste pour tes lèvres. Tu veux ouvrir les paupières, regarder ce qui t’entoure. Ceux qui t’entourent. Mais tu n’y parviens pas. Quelque chose ne va pas. Tu commences à prendre peur. Tu étouffes. Tu paniques. Que se passe-t-il ? Pourquoi tu ne peux plus bouger ? Qu’on te libère ! Qu’on t’achève ! L’un ou l’autre tant que cela se termine vite et sans douleur. Tu as peur d’avoir mal. Tu ne veux plus avoir mal. Physiquement. Psychologiquement. Si seulement on t’avait laissée dans cette forêt perdue au milieu de rien. Peut-être n’aurais-tu pas tenu l’hiver, mais tu étais en paix. Seule. Pas vraiment, en fait. Tu étais avec tes démons. Ceux qui t’accompagnent depuis que Kaare t’a vertement remise à ta place ; là-bas, dans le bunker où tu as vécu quelques années.
Il y a du mouvement autour de toi et cela te frustre de ne pas savoir qui te tourne autour. De ne pas voir, tout simplement. Tu es plongée dans le noir, dans une immobilité que tu ne supportes pas. Tu as toujours été en mouvement, quelle que soit l’urgence. Pas de repos pour les vivants. Pas pour toi. Pourtant, c’est vraisemblablement ce qu’on te somme de faire dans, ce que tu devines sans mal, un lit. Un matelas trop confortable, à la fragrance trop propre. L’odeur. C’est ce qui peut te permettre de te repérer. Du moins, ne serait-ce qu’un peu. Il n’y a qu’un seul lieu où tu peux retrouver cet effluve de javel et de désinfectant capable d’emplir tes narines de cette manière. C’est un endroit où on abhorre la saleté sous toutes ses formes. L’hôpital. Tu ne vois que cela. Tu as été placée ici dans le clair but de te sauver la vie. Toi qui allais la perdre. Toi qui voulais mourir. Tu sens une vague puissante déferler en toi. Tu la reconnais et tentes de la retenir. En vain. Ta gorge se serre d’elle-même et tu peux sentir glisser sur ta peau des larmes chaudes. Elles coulent abondamment. Et tu as envie de hurler.
Tu ne peux pas.
Une main se pose doucement sur ton front. Tu as envie de la rejeter. Qu’elle s’en aille ! Tu ne veux pas d’elle. Tu refuses ce doux geste. Tu veux simplement en finir. Et vite. Tu perçois un liquide glacial couler dans tes veines et enfin, tu te sens partir. T’endormir.
Ouvrir les yeux. C’est le premier geste que tu effectues lorsque tu te réveilles enfin. Pas de lumière trop blanche et agressive. Lentement, tu tournes la tête pour essayer de regarder à travers la fenêtre. Pas de volet. Pas de rideaux. Tu peux aisément constater qu’il fait nuit et que la lune n’est qu’à son premier quart. Elle n’est pas haute dans le ciel, mais cela n’a pas d’importance. Tu préfères te concentrer sur ton propre corps. Ton cou et tes mains bougent sans soucis. Tu te doutes que, si tu te redresses trop vite, tu vas sûrement avoir le tournis. Tu sens que tu peux bouger tes jambes, mais tu les sais encore un peu faibles. À ta droite, tu distingues une pile d’habits sur une chaise métallique. Ils sont féminins. Ils sont prévus pour toi. Alors, prenant tout ton temps, tu t’assieds et tends le bras pour les attraper. C’est à ce moment-là que la porte de la chambre s’ouvre et se referme, laissant entrer une imposante silhouette dans la pièce. Tu te figes, la main ayant à peine eu le temps d’attraper le tas de vêtement. Qu’est-ce que tu dois faire ? Qui est-il ? Est-ce qu’il te veut du mal ? Est-il là pour terminer le travail ? Bordel, mais pourquoi est-ce qu’il ne bouge pas ? Tu esquisses un mouvement, celui de ramener ta prise contre ta poitrine, tes yeux exorbités ne le lâchant pas une seule seconde. Enfin, tu le vois bouger, s’avancer. Tu te crispes et restes immobile tandis qu’il s’installe sur la chaise. Tu devines que l’individu est de sexe masculin, mais l’obscurité environnante ne te permet pas de distinguer de qui il s’agit.
Cela t’agace.
Cela te frustre.
Tu veux savoir.
— C’est vous qui m’avez apporté ces vêtements ? t’enquiers-tu.
Pas de réponse.
— Vous auriez pu, au moins, me poser un verre d’eau, maugrées-tu en positionnant tes jambes en tailleur.
Son mouvement te surprend. Tu ne t’attendais pas à ce qu’il se lève et se dirige vers la pièce attenante. Tu entends de l’eau couler quelques instants et les pas se rapprochent. Tu es tendue, bouffée par la curiosité plus que par la crainte. Cet homme ne semble pas te vouloir du mal ce qui t’intrigue. Que te veut-il si ce n’est pas terminer le travail ? Il revient et, toujours savamment placé dans l’ombre, une main gantée te présente un gobelet. Tu l’acceptes sans hésitation, sans aucune méfiance et le bois d’une traite avec un profond soulagement. Seigneur, que tu avais la gorge sèche. « Encore » t’entends-tu asséner à cette ombre qui reste stoïque. Tu grinces des dents. Il t’énerve. Ne t’a-t-il pas aidée sans mot dire depuis le début ?
— S’il vous plaît, grommelles-tu sans le regarder.
Sans le penser.
Pourtant, cela semble suffire à l’inconnu qui te prend l’objet des mains et se dirige une nouvelle fois vers la salle d’eau. Tu as envie de jeter un coup d’œil, constater à quel étage tu te trouves. S’il est encore possible pour toi de t’enfuir. Il revient et tu acceptes, consentant à le remercier du bout de tes lèvres. Tu prends plus de temps à te désaltérer, savourant cette fraîcheur qui te soulage tant. Le gobelet est posé sur la commode près de toi et tu constates que l’inconnu s’est de nouveau installé sur le siège. Que dois-tu faire ? Tu ne le sais pas. Tu aimerais te lever, te vêtir et partir de cette pièce trop blanche, trop propre, trop silencieuse.
— Qui êtes-vous ?
Pas de réponse.
Ce type semble décidé à ne trahir son identité sous aucun prétexte et cela te frustre. Il ne veut pas te rendre la tâche plus facile et tu as bien envie de ne pas lui donner satisfaction. Il souhaite jouer les voyeurs en restant là ? Fort bien, mais qu’il ne se vexe pas si tu couches dans ton lit, lui tournes ostensiblement le dos, les habits plaqués contre ta poitrine. C’est gênant et la couverture remontée jusqu’à ton front t’étouffe. Cependant, tu refuses de la rabattre plus bas. Tu détestes être ainsi épiée. Le sommeil finit pourtant par t’emporter.
La première chose qui te réveille est le bruit assourdissant d’un aspirateur que l’on passe dans ta chambre. Tu te redresses brusquement, la tête échevelée et les yeux exorbités par la rage et la frustration. Tu ne parles pas, te contentes de fusiller du regard cette agent d’entretien qui sursaute à ton brusque mouvement. Tu peux comprendre qu’elle doit avoir des horaires stricts pour effectuer son travail, mais il y a tout de même d’autres manières de réveiller un patient. Ce tintamarre n’en fait certainement pas partie ! La femme reprend son office avant de s’en aller à grands pas, gênée, agacée par ton expression fixe. Colérique. Un peu plus et tu lui lançais le verre en pleine figure. Enfin assurée d’être seule et que le siège est vide, tu te permets de pousser un profond soupir rapidement suivi d’un ou deux jurons. Tu passes une main sur ton visage pas tout à fait réveillé. Voilà que tu te trouves à nouveau dans un centre hospitalier. Ce n’est que la seconde fois. La fois de trop à ton goût. Il faut que tu t’en ailles. Tu ne veux pas être retrouvée. Par Hydra. Par les Avengers. Par lui. Avec des gestes empressés, tu te débarrasses de l’espèce de peignoir fin pour le remplacer par les vêtements que l’on t’a donnés sans aucune explication. Pas de chaussures. Allons donc… Ce n’est pas bien grave, tu ne peux pas te permettre de rester plus longtemps en ces lieux et tu trouveras bien un moyen d’en dérober une paire lors de ta fuite. Pour l’instant, il faut déjà que tu parviennes à te lever et à sortir de cette chambre. Doucement, tu retires l’aiguille plantée dans le creux de ton coude droit et de ces tuyaux t’envoyant de l’air dans ton nez. Ce ne sont pas les derniers ; il en reste encore un. Celui allant jusqu’à ton estomac. Tu déglutis et tu le sens dans le mouvement de ta gorge. Tes mains tremblent légèrement. Il va falloir que tu le retires, tu le sais. Tu souffles un bon coup et portes tes doigts à ce tube en plastique sortant de narine. Tu tires doucement et tu ouvres la bouche et écarquilles les yeux d’horreur en le sentant glisser contre la paroi. Ce n’est pas douloureux. Juste… extrêmement désagréable. Il faut que tu t’en débarrasses. La dernière ligne droite est insupportable, mais tu refuses de te précipiter et c’est avec un profond soulagement que tu le balances au sol. Tu en fais de même pour le conduit reliant ta vessie à une poche et te hâtes d’enfiler sous-vêtement et pantalon.
— Madame, mais vous êtes folle ?! Rallongez-vous tout de suite, je vais aller chercher le médecin !
L’infirmière disparaît aussi vite qu’elle est apparue et tu ne peux que pousser un nouveau juron en plus de serrer les dents. Tu n’as plus de temps à perdre et te lèves, te tenant au mur jusqu’à la sortie. La tête te tourne, mais tu ne peux pas te permettre de ralentir. Tu inspectes les couloirs qui fourmillent du corps médical et des visiteurs et suis le panneau indiquant la sortie de secours. Il y a des éclats de voix et tu espères avoir tourné à temps et disparaître derrière la porte avant que l’on te distingue. Tu t’agrippes à la rambarde tandis que tu descends les escaliers avec prudence. Tu passes ainsi deux étages jusqu’à ce que tu entendes des bruits de courses derrière toi. Tu commences à paniquer et pousses la porte à ta gauche. Il… n’y a que des enfants malades et il ne fait aucun doute que tu fais tache dans le décor. Aussi rapidement que tu le peux, tu te diriges vers l’ascenseur et pries pour que tu ne fasses pas une bêtise. C’est vide et tu entres à l’intérieur, appuyant frénétiquement sur le bouton menant au rez-de-chaussée. Tu dois partir d’ici !
— C’est elle !
Et merde !
Tu tentes le deuxième étage et tu sens ton cœur battre à tout rompre quand tu vois les portes se refermer juste à temps alors qu’un infirmier courait pour t’attraper. Tu sors, retrouvant lentement ton équilibre et tu ouvres une porte portant l’indication des vestiaires. Pitié, faites que j’aie, ne serait-ce, qu’un peu de chance. La pièce est vide et tu trouves, dans un casier non cadenassé des habits d’infirmiers, une charlotte et des chaussures d’intérieur neuves. Tout ceci est un peu larges, mais ils feront leur office le temps pour toi de quitter cet endroit. Une fois le déguisement ajusté, tu souffles un bon coup et te concentres pour ne pas paraître à l’affût et te comporter comme une professionnelle de la santé. Rien de plus simple. Tu es une infirmière de métier. Ce genre de chose, tu connais. À la différence que vous portiez des robes et des talons. À croire que les hommes tenaient à ce que vous n’oubliiez pas votre « part » de féminité. Tu te déplaces le plus naturellement possible, combattant aussi vaillamment que possible ce tournis qui ne t’a pas encore quitté. Tu tournes dans un couloir au moment même où tu vois un médecin marcher rapidement et héler des « trouvez-la ! » et des « elle ne doit pas s’enfuir ! » au personnel. Les marches que tu foules sont publiques et il est naturel pour toi de laisser assez d’espace aux patients. Tu salues d’un coup de tête tes « collègues » et affiches un grand sourire soulagé alors que tu annonces « la pause » à la secrétaire de l’accueil. Elle émet un léger rire, comme compatissante à ton impatience et retourne à son écran d’ordinateur. À l’abri des regards, tu te débarrasses de cet affreux bonnet et profites un court instant de l’air extérieur. Tu es donc en France. Mais pour l’instant, ce n’est qu’un détail. Il faut que tu trouves rapidement la sortie. En attendant, tu exploites un lieu discret, semblant dépourvu de caméra de surveillance et l’absence d’individu, pour retirer cette veste et ce pantalon immaculé. Tu gardes ces chaussures bien qu’elles te donnent un air totalement ridicule. Tu te figes et te plaques contre le mur, te parquant dans l’ombre tandis que tu entends une voix que tu ne connais que trop bien.
— Elle aurait été plus en sécurité chez moi !
Shuri.
— Bucky l’a emmenée dans le plus proche hôpital, défend la voix reconnaissable de Steve.
— Et après ? Ça n’explique pas pourquoi il a refusé que je l’emmène avec nous.
— Il… a des choses à régler avec Ashleigh…
— Una.
Tu te forces à ne pas bouger, à ne pas respirer par la bouche. Tu as la sensation que le moindre bruit, le moindre mouvement peut te trahir et tu te sens légèrement triste pour ton amie. Tu aimerais tant la remercier pour tout ce qu’elle a fait pour toi, mais tu ne peux te le permettre. Tu dois disparaître.
— On a déjà eu cette discussion, Shuri. Ce n’est qu’un nom d’emprunt qu’Hydra lui a donné. Elle doit assumer les conséquences. Y compris son véritable nom.
— Arrête de me bassiner avec tes arguments à la mords-moi le nœud. Tu ne sais pas ce qu’elle a fait durant ces cinq années. ‘Me sors pas qu’elle n’assume rien alors qu’elle a aidé à libérer Loup Blanc pour de bon. Alors, si ce prénom peut l’aider à avancer, je vois pas pourquoi on devrait le lui interdire, contre la princesse sur un ton mordant.
Bon sang que tu es rongée par la reconnaissance envers ce petit bout de femme !
— Shuri…, soupire le héros américain, sûrement agacé par sa répartie.
— C’est plutôt toi qui n’assumes pas grand-chose, en fait.
Le « pardon » glacial prononcé te fait comprendre que l’homme prend très mal l’accusation. Tu regardes autour de toi, cherches une échappatoire pour t’éloigner d’eux.
— Son frère ne vous a rien fait promettre à tous les deux. C’est toi et Loup Blanc qui avez pris la décision de lui cacher la vérité. Tu sais que c’est vrai, pointe-t-elle avec précipitation, comme voulant empêcher Rogers de parler. Tu préfères dire que c’est de sa faute pour avoir rejoint Hydra et torturé ton ami, plutôt que de t’avouer que ce sont vos actions et votre mensonge qui l’ont poussée dans cette voie. C’est vous deux qui l’avez trahie, conclut-elle, la voix forte et assurée.
— Monsieur Rogers ! tu reconnais la voix du médecin. Elle s’est enfuie. Nous ne parvenons pas à la trouver.
Les bruits de pas s’éloignant te font comprendre qu’ils sont partis au pas de course et que c’est le parfait moment pour toi de prendre la poudre d’escampette pendant qu’il est encore temps. Tu suis les passants, trouves enfin la sortie ainsi qu’une bouche de métro située non loin de l’hôpital et te colles contre un inconnu pour passer les barrière en toute illégalité. Peu importe la direction que tu dois prendre. Tu n’as pas d’argent et tu ne maîtrises que très peu cette langue. Kaare la connaissait très bien. Il savait quelle ligne prendre pour se rendre à la planque. Tu te souviens presque du trajet à effectuer, mais est sujet à de nombreux doutes. Tu es debout, dans ce wagon bondée, et tu repenses encore à tout ce que tu as entendu. Steve… il t’a une nouvelle fois menti à ce qu’il semblerait. Ta main se serre sur la barre. Et Shuri le savait. À quel moment l’a-t-elle appris ? Était-ce avant ou après ton arrivée au Wakanda ? Au final, même à elle, tu ne peux pas faire confiance.
Tu te précipites à l’extérieur dès lors que les portes s’ouvrent et il te faut jouer des coudes et des épaules pour arriver à l’air libre le plus rapidement possible. Il y a beaucoup de personnes pressées. Des femmes et des hommes d’affaires. Tu es dans le quartier chic. Les résidences valent une fortune et tu espères qu’absolument rien n’a changé durant toutes ces années. La vie reprend lentement son cours et tu ne sais pas si tu dois être soulagées de constater que le pot de fleurs est toujours à sa place. Est-ce que seulement, elle y sera ? Cette petite clé. Tu finis par la trouver non sans mal et déniches le trousseau dans un buisson qui aurait bien besoin d’être entretenu. Tu n’as jamais su pourquoi ils étaient séparés. À dire vrai, tu t’en fiches. Tu ne fais attention à rien, appuies sur le bouton de l’étage et déverrouilles les trois serrures avant de refermer la porte derrière toi. Tout était comme Kaare et toi l’aviez laissé. D’un geste dégoûté, tu te débarrasses de ces… chaussures et te diriges le dressing. Au passage, tu y attrapes un sac à dos dans lequel tu fourres de quoi te changer. C’est à ce moment-là que ton estomac décide de se rappeler à ton bon souvenir. Fort bien. Tu penses que tu peux t’octroyer une petite pause pour te nourrir avant de partir. Tout ce que tu y trouves, ce sont des boîtes de conserve. C’est parfait.
Pendant que la nourriture chauffe, tu couvres les différentes pièces d’un regard nostalgique. Vous êtes restés dans cet appartement luxueux une semaine et cela a été un court moment qui vous a fait du bien à tous les deux. Un lit confortable, une large baignoire, des repas plus qu’acceptables. Cela a été l’un des rares moments où Kaare et toi avez pu passer un peu de bon temps sans culpabiliser. Le borgne avait déjà pris la décision de trahir l’Ordre et tu ne savais toujours pas quelle décision prendre. Mais cela n’avait pas d’importance. Tu te revois installée à cette table à manger, lui paresseusement affalé dans le fauteuil en train de mémoriser ce nouveau langage que tu avais inventé. Vous vous moquiez de vos erreurs, des phrases qui n’avaient aucun sens. Le vin coulait, vous réchauffait les veines et votre humeur. C’était un moment très agréable et tu regrettes légèrement qu’il n’y en eût pas plus. Ses rires étaient tellement rares.
La présence de ton ami te manque.
Clic. Clic.
Tu te retournes brusquement tandis que tu entends ces bruits de plaque qu’on éteint. Ils t’inquiètent, ils te font peur, mais pas plus que l’homme qui se trouvait derrière toi. Depuis quand est-il là ? Comment a-t-il fait pour se glisser ainsi, telle une ombre, sans que tu le remarques ? Il n’y a pas de point mort de là où tu te trouves. Tu as envie de lui poser la question, mais tes mots restent bloqués au fond de ta gorge. Sa mine est sévère, sa mâchoire est serrée et tu comprends qu’il est en colère à cause de ta fuite de l’hôpital. Tu ne te défendras pas. Tu ne lui dois plus rien. Tu recules. Il s’avance. Au final, vous vous retrouvez tous les deux dans le salon et tu te fustiges d’avoir pris la décision de rester encore un peu dans cet appartement. Tu aurais dû prendre tout ce dont tu avais besoin et t’en aller sans perdre un instant. Tu t’es montrée trop imprudente et tu en paies actuellement le prix. Tu sais que tu ne vas pas pouvoir lui échapper.
— Pourquoi tu m’as sauvé la vie ?
Aucune réponse.
— C’était toi, la nuit dernière ? Avec le verre d’eau.
C’est toujours le silence qui te répond.
— Je m’en fiche que tu sois en colère. Quoi que vous décidiez je ferais tout pour m’enfuir loin de vous.
Sa bouche reste toujours close. À la place, il se déplace et te tourne le dos sans crainte. L’homme sait que tu ne peux pas aller bien loin et que tu ne lui échapperas pas. Tu en serres les dents. Il prend ton sac et s’accroupit, ses yeux clairs rivés sur le plancher qu’il détruit d’un simple coup de poing avec son bras métallique. Il en ressort une boîte en plastique et l’ouvre. Il y découvre des papiers d’identité ainsi que des liasses de billets qu’il prend et fourre dans ses poches. Lorsqu’il se tourne vers toi, tu es déjà sortie de l’appartement et tu cours dans le couloir. Tu feras tout pour le fuir. Tu entends ses pas te rattraper sans aucune difficulté et sa poigne sur ton bras te fait grimacer de douleur. James est hors de lui, mais tu ne flancheras pas. Il t’oblige à le suivre dans les rues, bien que tu tentes de toutes tes forces de te soustraire à la sienne. Tu vois bien qu’il perd patience, mais tu t’en fiches.
— Ne m’oblige pas à t’assommer, Ash, grogne-t-il entre ses dents serrées.
— Alors, fais-le parce que je n’arrêterais jamais de me débattre et de m’enfuir !
— Mais pourquoi ? hurle-t-il, te prenant par surprise par cet éclat.
Son regard s’ancre dans le tien et cela te fait mal. Parce que tu le revois. Cet homme que tu as tant aimé avant de le haïr. Tu t’en détournes, fuis ses yeux trop en colère, trop tristes. Il jure et resserre sa prise, te faisant gémir de douleur. Tu lui ordonnes de te lâcher, que tu n’hésiteras pas à crier. Inutile, il ne cédera pas.
— Dis-moi, au moins, où on va !
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