La porte claque avec force. Il faut au moins ceci pour qu’Arenstoff puisse exprimer sa colère et pour que tu le comprennes. Durant tout le trajet, tu n’as osé prononcer aucune parole ou même sortir de quoi t’occuper, préférant scruter le paysage blanc et les rétroviseurs. Tu ne comptes pas combien de fois tes ongles se sont plantés dans tes poings serrés. Trop de fois. Trop longtemps. Tu sors à ton tour du véhicule, ne tentant pas de croiser son regard encore furibond. Tu le comprends, tu le mérites. Et s’il prend la décision de t’abandonner à ton sort, tu ne seras pas en droit de le supplier de rester. Pas après toutes les erreurs que tu as commises. D’un pas rendu lourd par la neige, vous vous dirigez tous deux vers la porte, conscients que vous ne pouvez rester à l’extérieur avec la tempête qui approche dangereusement. Contre le mur de gauche, tu reconnais l’espèce de boîte en acier. Tu peines à la déverrouiller. Lorsque tu y parviens, tu y trouves le système d’ouverture. Tu t’en souviens comme si c’était hier pour l’avoir vu faire encore et encore jusqu’à parvenir à le recopier, de mémoire, sur ton carnet. La porte grince derrière vous et claque sous le vent violent. Le silence règne et tu ne te hasardes pas à le briser. Tout est poussiéreux. Dénué de vie. Mais, tu reconnais chaque couloir, chaque salle. Tu guides donc ton compère jusqu’à l’ancien bureau du feu général fétichiste des pieds. Ce n’est pas aussi protégé que dans cette époque. Alors, ce n’est pas vraiment difficile d’ouvrir la porte et de pénétrer à l’intérieur de la pièce.
Cela t’évoque des souvenirs. Tu n’es pas capable de dire s’ils sont vieux ou datent seulement de quelques semaines ou mois. Tu ne sais pas. Combien de fois tu as reçu l’ordre de verrouiller la porte derrière toi, de t’approcher du bureau et de t’asseoir dessus pour te déchausser afin qu’il puisse faire son affaire. Tu le laissais agir, dissimulant tant bien que mal ton dégoût lorsqu’il te tenait « délicatement » la cheville. Tu perdais du temps, loin de ton travail. Tout ça pour garder les faveurs de ce sénile pervers. Tu n’avais pas de cœur, à l’époque. Est-ce qu’il serait revenu suite à ton réveil ? Probablement. Tu ne le sais pas encore.
— C’est exactement comme dans mon souvenir, ne peux-tu t’empêcher de souffler.
Tu avances de quelques pas, revoyant les militaires aller et venir, le téléphone sonner, des papiers à signer, des rapports à rendre, les aiguilles du cadran encore accroché au mur bouger paresseusement. Ce sont des fantômes que toi seule peut voir et identifier. Ce sont des sons, des bruits, des phrases que toi seule peut entendre. Tu aurais dû faire partie de ces spectres. C’est ce que tu penses alors que tu regardes le sol jonché de papiers jaunis par le temps et dont tu reconnais parfaitement l’écriture. Tu te penches, t’accroupis, prends le temps de les ramasser un à un, les relisant parfois. Ils sont tous en russe. Ils sont tous datés. Celui que tu tiens dans ta main droite a été rédigé peu de temps après ta cryogénisation. Tu ne comprends pas le sens, jusqu’à ce que tu saisisses enfin. Tu te redresses brusquement et te retournes vers Kaare qui se trouve bien trop proche de toi, l’air bien plus mécontent qu’à votre arrivée. Tu crains le pire et demandes doucement ce qui ne va pas.
Ne pas paniquer devant un animal en colère.
C’est ce qu’on t’a dit de faire quand un chien soldat a voulu t’attaquer.
Tu détestes les chiens.
— Pourquoi lui ?
— Eh bien… parce que tous nos rapports devaient lui être donnés en personne, donc j’ai supposé que…
Le borgne claque son doigt comme on donnerait un ordre à un canidé. Tu sers les dents et affiches une mine fâchée. Tu n’es pas un sous-fifre. Tu croises alors les bras et lèves le menton, attendant qu’il daigne s’expliquer parce que tu ne peux pas deviner qui est exactement « Lui ». De ses mains, l’homme signe qu’il veut savoir pourquoi avoir choisi cet homme pour devenir le bras droit armé de votre cause. Il parle de Ja… du Soldat de l’Hiver. Tu hausses les épaules et réponds que, durant la guerre, il avait été fait prisonnier et Zola en avait profité pour effectuer quelques expériences sur lui avant qu’il se fasse libérer par Captain America. Suite à des tests sur d’autres patients, il s’était avéré que le sujet était le seul capable d’accepter le sérum. Ce qui avait fait de lui le parfait candidat sur le moment.
— Vous ne m’avez pas compris.
Cette fois, tu ne saisis pas et cela t’agace.
Il soupire et s’avance vers le mur, là où se trouve un tableau poussiéreux uniquement peint en rouge. Le « Pur Rouge » d’Alexandre Rodtchenko. C’est une copie à n’en pas douter. Pour autant, tu ne te préoccupes pas de la toile, mais uniquement de l’homme qui s’avance ensuite vers le bureau pour y prendre appui et s’y adosser, les bras croisés. Il te regarde durement et tu ne bouges pas. Ses mains se mettent à danser dans l’air.
C’est une ode à son passé.
Il te raconte qu’il y a vingt ans de cela, il était marié. Il travaillait déjà pour leur cause et sa femme, une bureaucrate dans une agence d’avocats, n’en savait rien. Ensemble, ils avaient eu une fille. Il n’y avait aucun nuage. Arenstoff prétextait travailler dans une quelconque entreprise pour expliquer ses nombreuses absences et « voyages d’affaires ». Jamais il n’avait été soupçonné de quoi que ce soit et ils nageaient, tous les trois, dans le bonheur. Jusqu’à ce jour de fin d’année. L’homme devait s’occuper d’un petit groupe d’ennemi qui n’avait de cesse de leur causer des problèmes. Par chance, leur satellite avait pu les prendre en photo juste avant qu’ils disparaissent dans la nature. Ce fut là, à cet instant, qu’il avait reconnu sa femme et avait découvert sa véritable identité. Kaare devait rentrer chez lui, passer le nouvel an avec sa famille. L’ordre était simple et lui avait donné envie de vomir. Obtenir, si possible, des informations. Et la tuer. Faire semblant d’être heureux de rentrer, d’embrasser cette femme qu’il aimait plus que tout, feindre d’ignorer la réalité avait été le plus dur. Sourire. Il n’avait de cesse de demander pardon à sa fille qui, bientôt, n’aurait plus de mère et attendait que la petite s’endorme pour, enfin, effectuer son office funèbre.
— Je sais tout, se souvient-il avoir prononcé alors qu’il avait encore toute sa langue.
Il était au courant de tout. Ou presque. Et ne souhaitait que remplir tous les trous, obtenir des réponses manquantes. Ce fut à ce moment précis qu’elle avait décidé de montrer son vrai visage. Une femme mauvaise qui n’ignorait absolument rien de lui, qui ne restait seulement parce qu’elle en avait reçu l’ordre. Combien elle avait été dégoûtée d’avoir dû coucher avec lui, d’avoir eu une fille avec lui. Elle qui le voulait uniquement raide et complètement refroidi. Sa bouche crachait sa haine. Ses yeux exprimaient sa peur et sa tristesse. Elle mentait, mais l’arme au poing de son époux l’obligeait à agir ainsi. À combattre pour sa cause jusqu’à la fin. Le Danois avait exigé des explications, des informations. Tout ce qu’elle pouvait lui fournir était un affrontement. Son dernier combat. L’homme avait essayé de retenir ses coups. Pas elle. Et cela avait été suffisant pour lui crever un oeil à l’aide de ciseaux.
— Le tir est parti tout seul, mais ça a suffit pour l’arrêter.
Il se souvient encore du sang tachant sa robe de couleur jade – il la lui avait offerte pour son vingtième anniversaire. Il se remémore l’expression de son épouse, alors que, lui-même, ne pouvait dorénavant regarder plus que d’un œil. Il la revoit tomber à genoux tandis qu’il lâche son arme pour la soutenir, pour lui demander pardon, de demander pourquoi elle avait fait cela. Mais tout ce qu’elle répétait était « achève-moi ». Elle le disait comme un mantra. Jusqu’à ce qu’il n’en puisse plus, agrippe son pistolet Torakev-TT33, se lève brusquement et lui tire dessus tout en lui hurlant de se taire. Jusqu’à ce qu’il n’ait plus de munitions. Elle ne bougeait plus, ne respirait plus. Quasiment méconnaissable avec tout ce rouge. Encore aujourd’hui, il ne sait pas combien de temps il était resté là, immobile, au-dessus de son corps. Incapable de réagir. Incapable de pleurer. Ce fut un bruit émis depuis son téléphone portable qui le sortit de sa léthargie. Et le glaça d’effroi. « Tuer l’enfant ».
Il devait tuer sa fille.
Sa reine, sa déesse, son inspiration. On l’avait mis à l’épreuve, explique-t-il. On avait testé sa fidélité. On avait attendu une seule bonne raison de l’exécuter lui aussi. Lentement, dans un état second, il avait monté les marches, ne ressentant plus la douleur émettant de son œil désormais mort. Seulement le cri de son cœur. Ses oreilles n’entendaient qu’un vague bourdonnement tandis qu’il ouvrait doucement la porte de la chambre. Il s’en souvient encore. C’était lui qui avait fait la décoration à l’époque où les bagarres de peinture étaient encore possibles. Elle était là, si paisible, rêvant. Le moment où il a récupéré un oreiller est encore flou dans l’esprit du veuf. Bien plus encore que du temps qui lui a fallu pour maintenir le polochon sur la tête de l’endormie. Il revoit encore ses propres larmes tomber sur le corps gigotant, suppliant pour un peu d’air. Et lorsque sa fille ne bougea enfin plus qu’il se permit enfin de hurler sa peine, sa douleur. Son enfant sans vie dans ses bras, la berçant une dernière fois, des heures durant, incapable de l’abandonner. Il lui fallait sa comptine si elle voulait pouvoir s’endormir. Pourquoi ses yeux ne se fermaient-ils pas ? Il était pourtant très tard.
C’étaient deux paires de bras le forçant à se relever, ainsi qu’une troisième l’obligeant à lâcher son bébé qui l’avaient sorti de sa léthargie. Il se souvient ne pas avoir cherché à se débattre. Il s’était laissé guider jusqu’à la sortie de sa demeure, ayant à peine assez de force dans ses jambes. On l’avait presque porté. Par la suite, très longues avaient été les journées où il n’avait fait que pleurer, crier et maudire ceux qui avaient poussé sa femme à le trahir, à le briser ainsi. Combien de temps était-il resté dans cet état ? Une semaine ? Deux ? Il a oublié. C’est Cadélia de Mussy, la Française qui était arrivée avec la réponse et une photo du père et de son enfant. Pas de la femme. Se venger. Détruire leur cause jusqu’à la dernière goutte de sang. S’il n’avait plus de raison de vivre, alors il pouvait la lui donner. À sa cause.
Tu ne l’as pas interrompu une seule fois, buvant ses gestes, ses mimiques, ses grimaces, ses mots silencieux qu’il tente parfois, par réflexe, de prononcer. Cet homme a souffert. Bien plus que tu ne l’imaginais, et cela te persuade que c’est une raison amplement suffisante pour retrouver le Soldat de l’Hiver, le remettre sous ton contrôle et ton autorité pour qu’il revienne servir Hydra. Cependant, tu te figes et retournes toute ton attention vers Kaare qui semble plus agacé que jamais. Tu ne fais pas mine de t’excuser. Tu n’es quand même pas censée savoir qu’il n’avait pas terminé.
N’est-ce pas ?
— J’ai lu tout votre dossier, signe-t-il. Vous étiez une de ses proches, c’est très impressionnant.
Il parle de Crâne Rouge. De Schmidt.
— Mais ce qui n’est pas marqué, c’est la raison pour laquelle vous nous avez rejoints. Et pourquoi vous l’avez choisi, lui. Parce que ça a été votre unique condition pour trahir votre pays, pas vrai ?
Tu serres les poings et les dents.
Tu n’aimes pas la tournure que prend cette discussion.
— Alors, ce que je veux savoir. C’est pourquoi vous avez rejoint notre camp. Et pourquoi vous l’avez choisi, lui ? Je vous forcerai à répondre, s’il le faut.
— Vous savez comment c’était à l’époque ? Même en temps de paix ? exploses-tu.
Tu craques.
— Je ne voulais pas être infirmière. Je voulais être tellement… plus ! J’aimais la science, la recherche, mais parce que je suis une femme, on m’a claqué la porte au nez tout en m’encourageant à me trouver un bon mari à qui faire de la cuisine et des morveux. Et ma famille ne m’a pas soutenue. Ils leur ont donné raison. Est-ce que vous avez ça, dans ce millénaire ? Est-ce qu’on leur interdit des travails « d’hommes » ?
Tu t’approches d’un pas.
— Et tu vas rire. Mais c’est encore pire lorsque la guerre éclate et qu’on décide de s’enrôler parce que, nous aussi, on veut se rendre utile. Mais voilà. Parce qu’on a une paire de talons dans un environnement totalement inadapté, une jupe et un haut qui fait comprendre aux hommes qu’on a des seins… tous nous harcèlent. Parce que nous sommes obligées de faire une permanente alors que nous n’en avons pas le temps, de nous maquiller… tous viennent nous « draguer » et estiment logique et normal de nous forcer à écarter les cuisses quand on ne veut pas ouvrir la bouche !
Un autre pas.
Tu cries presque ta rage.
— Alors, oui, j’ai rejoint Hydra quand il me l’a proposé. Parce que lui, au moins, n’a pas ignoré mes compétences. Il s’en foutait que je sois une femme qui – par dessus le marché – a perdu sa virginité à cause de ses coprolithe de soldats ! Oui, je n’ai pas hésité à trahir mon pays parce qu’il n’a fait que me traîner plus bas que terre et que je méritais mieux que ça !
Tu agrippes son manteau, l’air furibonde.
— Quant à James, je le connaissais bien avant que je rejoigne les rangs d’Hydra. C’était un sale type qui faisait croire monts et merveilles à ses conquêtes sans que ça l’empêche de flirter n’importe quelle poitrine, tant qu’elle était à son goût. Et moi, pauv’ poule, j’y ai cru. Je suis tombée dans le putain d’ panneau !
Tu t’arraches à lui, résistant difficilement à l’envie de le blesser.
— Mon frère était dans l’armée américaine ; dans le même bataillon que James. Ce fils de chien m’avait promis de veiller sur lui, de le protéger. Il m’avait juré et il n’a pas tenu sa promesse. Alors quand Crâne Rouge a demandé à connaître ma condition pour trahir mon pays, ça a été comme une évidence. J’ai voulu qu’il paye au centuple. J’ai voulu qu’il souffre.
Mais c’est toi qui te trouves au bord des larmes.
Au bord du vide.
Tu ne fais pas attention aux talons qui claquent le sol. Tu veux juste changer de sujet, le clore et ne plus jamais en parler. Peu importe la raison qui vous a poussés tous les deux à rejoindre Hydra, il n’y a plus rien que vous attend dans votre pays natal. Vous servirez votre cause jusqu’à votre mort. Alors, tu te débats légèrement alors que l’homme t’oblige à te retourner, à lui faire face. Tu souffles, agacée, n’ayant même plus la volonté de lever les yeux. Jusqu’à ce que ta joue chauffe douloureusement. Tu la tiens, la protèges et ton expression estomaquée se fiche dans celui plus acéré de ton partenaire. Tu ne comprends pas sa réaction. Il avait exigé une réponse. Alors, tu l’as donnée. Tu t’es mise à nue. Ses mains s’agitent dans les airs comme une seconde claque.
— Vous avez sacrifié la vie d’un homme pour un simple caprice.
Tu as envie de lui arracher la peau du visage avec tes ongles à ce veau coquard.
Enfoiré de première.
— Vous avez sacrifié sa vie juste pour une peine de cœur et parce qu’il a fait l’erreur de croire pouvoir protéger votre frère durant la guerre. Vous n’êtes qu’une gamine capricieuse.
Sombre fils de pute.
— Et ne donnez pas l’excuse qu’il était positif aux tests de votre confrère, j’ai eu accès à tous les dossiers.
— Si vous avez pu tout lire, siffles-tu, pourquoi m’avoir posé cette question ?
— Pour l’entendre de votre bouche. Pour savoir ce que vous alliez vraiment dire.
Vous vous regardez en chiens de faïence, chacun déçu et énervé par le comportement de l’autre. Finalement, Kaare s’éloigne de toi et ramasse quelques papiers éparpillés sur le sol, se remettant au travail. Toi, tu n’as aucun désir d’effectuer ce travail. Tu ne souhaites qu’une seule chose : t’éloigner le plus possible. Peut-être retrouver ce qui fut ta chambre, celle d’Isaaki, sa cellule et peut-être aussi la pièce où tu effectuais toutes tes expériences. Mais, cela serait contre-productif et inutile à votre mission et il te faut serrer les dents et les poings à t’en faire mal pour recouvrer difficilement ton calme. Tu essuies quelques larmes rageuses. Il ne sait pas. Il ne comprends pas. Il s’en fiche. Toute la haine que tu as accumulée durant toutes ces années ; à supporter sévices et viols, insultes et mains baladeuses. Ne tenant que parce qu’il y avait un homme dans ta vie qui t’épaulait vaguement. Ne tenant uniquement parce qu’il y avait cette promesse de revoir ton frère en vie. Celui-là même qui rêvait de devenir un héros à tes yeux, de revenir et te faire son fameux salut militaire qui te faisait tant rire. Depuis combien de temps n’as-tu pas esquissé un vrai sourire ? Depuis combien de temps n’as-tu pas ri à gueule bec ? Tu ne sais pas.
Tu ne sais plus.
À contre cœur, tu te mets à ton tour au travail, reconnaissant sans aucune difficulté l’écriture de Yuliy Zola. Ton assistant de l’époque avec qui tu as eu quelques relations charnelles pour le garder sous ta coupe. Tu reconnais le code utilisé et tu en saisis mieux la raison tandis que tu prends le temps de toute lire, concentrée, ne t’écartant d’aucune virgule. D’une voix ne souffrant d’aucune désobéissance, tu ordonnes à ton équipier de ramasser tous les documents traînant dans la pièce et de te les remettre. Tu ne t’occupes pas de savoir s’il t’obéit ou non, récupérant également tout ce que tu peux de ton côté. Une fois chose faite, tu poses tout en vrac sur la table et commence à lire. Les premiers mots. Les premières lignes. Tu tries. Tu ne remercies pas Kaare lorsque ce dernier pose ses feuilles sur le meuble, trop concentrée sur ta tâche.
À gauche, les importants.
À droite, les futurs combustibles.
Tu ne comprends pas trop pourquoi tous ces rapports ont été laissés ici, en vrac sur le sol. Que s’est-il donc passé après ta cryogénisation ? Tu as tellement envie de le savoir. Tu sens un regard par-dessus ton épaule, mais tu ne t’en préoccupes pas. En temps normal, cela t’aurait fortement agacée, mais ce que tu tiens, ce que tu frôles du bout des doigts, tu en deviens presque fébrile et tu ne serais certainement pas contre un verre d’alcool fort si on te le proposait. Il ne te faut pas moins d’une demi-heure pour terminer ton office. Malheureusement, ton travail n’est pas trié et il va durer longtemps. C’est pour cette raison que tu proposes au muet de faire un tour, de regarder dans les autres pièces s’il pourrait trouver ne serait-ce qu’un petit indice. Quelque chose qui vous mettrait un peu plus sur la voie. À moins qu’il ne désire faire un peu de tourisme. Peu t’importe. Tu ne l’entends pas sortir de la pièce, ne quittant ton poste seulement pour t’approprier le siège du feu Général, grimaçant lorsque ton geste soulève toute la poussière accumulée.
Que s’est-il passé ? Sont-ils partis à la hâte ? Ont-ils été attaqués ? Tu as la sensation qu’ils ont dû quitter les lieux avec précipitation, comme s’ils avaient dû fuir. C’est étrange. C’est inquiétant. Y a-t-il un rapport sur ton sujet qui est entré entre les mains de l’ennemi ? Tu l’ignores et cela commence à te faire peur. C’est alors que tu saisis enfin ce que tu avais tant de mal à définir. Ces mots qui ne veulent rien dire pour le commun des mortels – ceux dont tu ne fais pas partie, manifestement –, mais qui ont tout leur sens à tes yeux. Tu te redresses brusquement, faisant chuter la chaise dans un bruit mat. Il faut que tu le trouves, que tu notes toutes tes découvertes, que vous partiez d’ici, que vous…
La porte s’ouvre et tu manques de te la prendre en plein visage. Mais cela n’a aucune importance, tout comme la mine surprise d’Arenstoff. Tu ne lui laisses aucunement le temps de signer ou de faire quoi que ce soit d’autre. C’est avec une voix forte portée par l’excitation que tu lui fais part de ta trouvaille. Des noms de villes qui ne veulent rien dire dans des rapports commençant toujours par la météo du jour. Des anagrammes. Et le temps a toute son importance, car il permet de situer le lieu exact de chaque planque utilisé par le Soldat de l’Hiver. Vous pouvez le retrouver, tu en es maintenant plus que persuadée. Kaare, quant à lui, n’esquisse aucun geste pour montrer son approbation, son engouement. À la place, il signe et tu en restes pantoise.
— Nous allons le libérer d’Hydra.
Et lorsque tu baisses le regard, ta respiration se bloque.
Il tient un carnet rouge sang dans ses mains.
Avec une étoile noire en son centre.
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