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tome 1, Chapitre 32 « Héroïsme suicidaire (Part 1) » tome 1, Chapitre 32

Peut-être que venir ici n’avait pas été une si bonne idée, finalement. En vérité, Cockatiel savait déjà que ce n’en était pas une, loin de là – il avait bien essayé de le faire comprendre à Picarel, sans succès. Il n’était pas un ange combattant et ne disposait d’aucune arme, puisqu’il avait donné sa dague à Picarel à son départ. Il n’avait pas de talent particulier pour le camouflage ou la course, ni ne brillait par sa témérité exceptionnelle, loin s’en fallait. En fait, il n’avait rien. Alors pourquoi être venu en Enfer malgré ces ‘légers’ détails ? Pourquoi ne pas avoir cédé à la sirène de la prudence qui lui hurlait que c’était la pire chose au monde à faire ? Pourquoi avoir réagi ainsi aux révélations de Minitel ? D’autant plus que le plan consistait seulement à prévenir Picarel de l’arrivée de Michael le Terrible, susceptible de le réduire en bouillie une fois qu’il l’aurait dans sa ligne de mire ! Si les démons ne s’en étaient pas déjà chargés eux-mêmes, ce qui, pour Cockatiel, paraissait être l’hypothèse la plus probable. Ni Picarel ni lui n’étaient assez débrouillards ou intelligents pour survivre dans l’antre démoniaque du Mal Incarné. Malgré tout, il n’avait pas pu se résoudre à demeurer inactif au Paradis, sans savoir si son ami était encore en vie. Le sentiment d’impuissance était terrible. Des jours que cela le rongeait. Même ses sculptures n’arrivaient plus à le distraire. Si Picarel était vivant, il devait être informé que son risque de décès, déjà très élevé, avait quadruplé. Seigneur, qu’il aurait préféré oublier la localisation de cet accès ! Ou tout simplement ne jamais en entendre parler, ni Picarel ; ainsi, cette histoire n’aurait jamais eu lieu d’être.

Car son acte solitaire l’entrainerait juste vers sa propre mort, inutile et stupide. C’était là sa seule certitude.

Et ce n’était pas le panorama qui s’offrait à lui qui l’enjoindrait à penser différemment. Certes, il n’aurait jamais cru faire face à un monde aussi coloré et ‘vivant’. Il s’était toujours représenté l’Enfer comme une étendue infinie de roche noire couverte de cendres, ponctuée çà et là de fumée, avec des cris de souffrance en bruit de fond. Il ne s’était pas du tout attendu à ce champ d’herbe cramoisie et de plantes carnivores, à ce troupeau de crevettes géantes qui paissaient tranquillement – étaient-ce l’équivalent des vaches ou des moutons sur Terre chez les démons ? – et à ces sortes de boules de poils d’un vert tendre qui louvoyaient entre les pattes des crustacés terrestres. Ni à ce ciel ondoyant, à présent jaune poussin – il était violet foncé quand il était arrivé. Cockatiel hésitait. Peut-être s’était-il trompé d’endroit ?

Ou était-ce un piège des démons pour tromper sa vigilance et le torturer à petit feu, écraser son esprit comme l’on presse un citron mûr ?

Incertain, Cockatiel se décida à ranger son auréole, trop voyante, et fit disparaitre ses ailes dans son dos. Il avait beau réfléchir, ses options étaient minces. Pas âme qui vive en cet endroit, si ce n’étaient ces bestioles, ce qui n’était sans doute pas plus mal. Il apercevait une ville au loin et supposa que Picarel avait dû s’y rendre. Il doutait qu’il y eût des limaces dans le coin. Il devrait donc commencer par là ; sans compter que rester planté ainsi, comme un piquet, dans une zone aussi dégagée augmentait le risque qu’un démon le repérât et qu’il se questionnât à son sujet – ou de finir dans l’estomac d’une de ces créatures si elles s’avéraient être carnivores ou, du moins, que la viande fît partie de leur régime alimentaire.

Malgré cela, ses jambes refusaient de bouger. Tout son corps tremblait sous le coup de son imagination galopante et des perspectives qu’elle lui présentait. Toutes mauvaises, évidemment.

– Tu peux le faire… Tu peux le faire…, s’encouragea-t-il à voix basse, les dents serrées.

Malgré ces tentatives, ses jambes ne bougèrent pas. Il s’efforça de se rassurer en constatant que, au moins, elles ne cédaient pas sous le poids de la panique, ce qui ne fonctionna que peu. Il ne se faisait pas d’illusions ; il n’était pas plus courageux pour autant. Aurait-il seulement l’occasion de revoir ses nuages célestes qu’il aimait tant et d’entamer une nouvelle sculpture ? C’était sans doute le plus déprimant dans cette affaire, en plus de l’idée qu’il pût mourir dans d’atroces souffrances, en rôti ou à la broche, après avoir été écorché, démembré et éviscéré vivant. Il était à peine fataliste.

Soudain, une ombre immense et tentaculaire le recouvrit. Il leva la tête et admira brièvement la partie inférieure charnue d’un immense poulpe plumeux orange vif. En le survolant, l’animal lâcha un filet de bave qui retomba sur son épaule. Glacé d’effroi, il n’en tint pas compte. Tout un banc de ses congénères le suivait et l’imita lorsqu’il plongea sur le troupeau de crevettes. Le premier en attrapa une et commença à la démembrer. Cela provoqua des agitations et, de ce fait, la terre trembla. Les jambes de Cockatiel décidèrent alors qu’il était grand temps de ne plus jouer les statues et de trouver un abri le plus vite possible.

La ville, donc, tout aussi mauvais refuge fût-elle.

Cockatiel entama alors ce qu’il estima être le plus grand sprint de sa vie. Cependant, dans son élan, peu attentif à son environnement, il ne tarda pas à buter contre une fleur carnivore. Il chuta au sol et gémit, mais n’eut pas longtemps l’occasion de s’en plaindre ou de se questionner sur le sujet. Quelque chose venait de s’enrouler autour de sa cheville. Cette chose commença à le tirer au sol, et il comprit. La fleur ! Elle l’avait capturé et à présent, elle le tractait pour l’avaler ! Il faillit hurler, avant de voir une ombre planer au-dessus de lui. Une patte immense se posa à quelques centimètres de lui et sectionna la tige flexible qui l’emprisonnait. Bénissant sa chance, il s’empressa de se redresser et de s’éloigner de sa sauveuse, une crevette inconsciente de sa présence. Il constata alors que le troupeau s’était mis en mouvement.

– Je vais mourir, pleurnicha-t-il en reprenant sa course.

Echaudé par l’incident, il redoubla de vigilance. Ainsi, son sprint inégalable fut entrecoupé de nombreux slaloms en vue d’éviter les divers obstacles.

Il en était à la moitié du parcours lorsqu’un point de côté le prit et le força à s’arrêter, à bout de souffle. Il tomba à genoux. Son cœur cognait lourdement dans ses oreilles. Allait-il faire une crise cardiaque ? Il n’était pas très sportif, après tout, et son corps le lui rendait bien. Peut-être allait-il mourir avant d’avoir croisé le moindre démon !

Ce fut à ce moment-là qu’il entendit des cris. Des voix articulées, qui s’invectivaient l’une l’autre. Oh non !


Texte publié par Ploum, 5 février 2022 à 18h26
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