– Ne t’inquiète pas, mon chaton. Je te rendrai visite plus tard, promit Byleth.
Picarel se tourna vers lui, interpellé par ces paroles. Certes, ce démon était un sujet de curiosité à lui seul mais il n’était pas tellement tenté de lui rendre visite par la suite ! Pour quelle raison, d’ailleurs ?
– C’est promis ?
– Mais bien sûr, tu me connais !
– Mon chou, parce que je te connais, je sais que les trois quarts du temps, tu t’amuses avec As’ jusqu’à finir épuisé et tu rentres chez toi sans même penser à moi !
– Je te promets de me préserver un peu et de revenir te voir ensuite, rectifia-t-il alors, amusé.
– D’accord, ronronna Gasarons, satisfait. Et pas de livre !
– Pas de livre.
Au grand soulagement de Picarel qui se voyait condamné à stationner devant l’entrée, le démon-magical girl se décala pour les laisser passer. Après un dernier signe suggestif qui lui échappa, Byleth pénétra dans l’enceinte du domaine et les trois autres le suivirent.
Après la visite du quartier de Byleth et de sa demeure – voire même de la ville démoniaque, du moins de ce qu’il en avait vu – Picarel n’avait eu aucune attente, seulement de la curiosité à l’égard de la propriété du démon de la luxure. Comme ce dernier terme ne lui évoquait rien du tout, de toute façon, il n’avait rien pour exacerber son imagination… Malgré cela, il considéra les alentours avec perplexité. Comme Sytry l’avait sous-entendu, l’extérieur ne rendait pas justice à l’intérieur, qui semblait sans fin. Malgré l’heure tardive, les rues étaient encore très fréquentées. Picarel ne s’attarda pas sur les passants, leurs tenues légères ou leurs attitudes sensuelles, et il ne s’interrogea pas non plus lorsque l’un d’eux finissait par tirer un autre vers un endroit variablement dissimulé, duquel ils entendaient ensuite des gémissements étouffés et des glapissements plus ou moins sonores – il admira seulement leur témérité à affronter l’air frais avec si peu de vêtements. De nombreuses bâtisses colorées, soulignées par les lumières artificielles, se juxtaposaient sans suivre de logique particulière, mais ce n’était pas là non plus ce qui l’interpellait. C’était davantage l’abondance de statues en tous genres qui précédaient les ouvertures, les bâtiments et moulaient les colonnes et les façades, mélanges sagaces d’animaux, de démons et d’humains, qui brillaient par leur nudité et par les positions fantasques qu’ils adoptaient les uns avec les autres. Curieux, Picarel finit par se pencher vers l’un d’eux pour tenter d’en comprendre le sens caché et de le relier à d’éventuels jeux qu’il connaissait – il ne voyait toujours pas de galipettes, à moins que ce ne fussent leurs positions d’atterrissage ? Il dut s’arrêter pour cela, oubliant l’endroit où il se trouvait et les démons autour de lui. Sytry, le premier, remarqua son arrêt et le rejoignit avant de lui attraper le poignet. Il pinça les lèvres en voyant l’objet de sa subjugation.
– Sensible à l’art ?
Il se félicita intérieurement d’avoir réussi à ne pas rire en lâchant la question. Picarel se tourna vers lui et le démon se mordit les joues devant son air ahuri.
– Je ne savais pas que tu étais intéressé par ce genre de –
– Je ne comprends pas – pourquoi toutes ces statues ? Et ça représente quoi ?
Après une seconde d’hésitation, Sytry fut incapable de se retenir plus longtemps et s’esclaffa. Byleth et Achamoth se retournèrent et s’aperçurent alors qu’ils avaient distancé le duo. Le Prince lâcha le poignet de Picarel pour enrouler un bras autour de ses épaules, tandis que de son autre main, il lui tapotait le bras, se remettant avec peine de son fou rire.
– Eh bien, nous aurons beaucoup de choses à discuter plus tard, souffla-t-il lorsqu’il fut en mesure d’articuler des mots.
Picarel lui adressa une moue dépitée.
– Et pourquoi pas maintenant ? Je ne comprends pas, que fait cet humain la tête entre les cuisses d’un bouc et –
– Eh, vous deux ! Arrêtez de flirter et revenez ici, les réjouissances, c’est plus loin ! les interpella gaiement Byleth.
Achamoth gloussa alors que Picarel le fixait avec de grands yeux ronds, sans se rendre compte que Sytry tremblait contre lui, la tête basse et une main couvrant sa bouche. Il s’en inquiéta quelques secondes plus tard mais le jeune démon garda le silence sur le sujet.
– Voyons, tu sais bien que les réjouissances peuvent très bien débuter ici, ou à n’importe quel endroit… où ils veulent, en fait ! rétorqua-t-elle, amusée. Et s’ils veulent en profiter dès maintenant, pourquoi les en empêcher ?
Byleth rit en réponse.
– Flirter ?
Picarel ne comprenait pas le sous-entendu ni ce dont il pourrait vouloir profiter mais son incompréhension était telle qu’il ne sut quelle question poser. Sans rien réfuter, Sytry retira son bras. Ils rejoignirent les deux démons qui conservaient un air goguenard.
– Au fait, où est Asmodée ?
Et surtout, où Nana est-elle susceptible d’être ? se demanda-t-il lorsque le souvenir de son amie et de la raison de sa venue en Enfer fut ravivé par une sculpture de limaces – qui faisaient il-ne-savait-quoi sur une démone nue. Quel sens avaient donc de telles représentations et quel en était l’intérêt ? Il se sentait honteux de l’avoir occultée de son esprit, même un instant, mais préféra réfléchir à sa localisation éventuelle plutôt que de se laisser envahir par la culpabilité. Il y avait tant de possibilités !
– La maison close n’est plus très loin, lui répondit Byleth, l’extirpant ainsi de ses pensées. Tu peux la voir d’ici, d’ailleurs ; c’est le bâtiment immense au bout de la rue.
Picarel écarquilla les yeux lorsqu’il la repéra. Pour être immense, elle l’était, et sa toiture dorée était des plus remarquables. Son portique avait des airs de temple grec mais sa largeur et sa longueur dépassaient le plus grand d’entre eux, et ses innombrables sculptures n’avaient rien à envier à celles du reste du domaine. De hautes portes en marbre rose se détachaient derrière la rangée de colonnes ; ils y firent face après quelques minutes. Nul vigile, cette fois, bien qu’elles fussent largement ouvertes. Ce détail laissa l’ange perplexe ; pourquoi qualifier cette bâtisse de ‘maison close’ alors qu’elle semblait libre d’accès ? Les notes d’une musique pulsée et dynamique leur parvinrent, ce qui stimula sa curiosité autant que son désir d’amusement, sensations qu’il réfréna presque aussitôt. Il n’avait pas le temps de jouer ! Il devait retrouver Nana, sans doute dans une position délicate. Elle devait être si apeurée et désespérée, à l’heure actuelle…
Ne t’inquiète pas, Nana. J’arrive !
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