Picarel avait d’abord pensé fausser compagnie à la petite troupe mais il n’en eut pas l’occasion. Les trompettes avaient tendance à vider les lieux autour d’eux, ce qui ne lui permettait pas de se perdre dans la foule. Il s’en était affligé un moment en lorgnant sur chaque bout de ruelle trop éloignée de lui pour espérer la rejoindre en toute discrétion. Alors qu’ils venaient d’atteindre un quartier peu animé, la fin du tintamarre de l’orchestre de chats le ramena à son sauveur providentiel. Il décida de le bombarder de questions.
— Pourquoi avoir prétendu que je suis votre serviteur ? Je ne vous ai jamais rencontré auparavant ! Et où est-on ?
L’endroit était très bizarre ; trop tranquille pour les Enfers, surtout. Il s’agissait d’un ensemble d’habitations avec jardin où les gens visibles, quoi qu’ils fussent, paressaient sur des transats, des hamacs ou des canapés disposés à l’extérieur avec des téléviseurs ou des jeux vidéo. Dans les détails, il y avait tout et n’importe quoi ; tantôt de l’herbe rose, tantôt de la mousse ou des cailloux multicolores, tantôt une maison composée de traversins et d’oreillers, tantôt une autre composée de briques mais agencée très étrangement avec des portes en guise de fenêtre et inversement…
Le concepteur des lieux avait été drôlement inspiré.
— Et où va-t-on ? Je ne suis pas sûr de –
— Nous retournons dans mon domaine, répondit son sauveur.
— Dans votre domaine ? Mais pourquoi faire ? Et que voulez-vous de mo –
— Ce n’est pas vraiment le moment de parler de cela, soupira-t-il.
Adamanth lui jeta une œillade avant de rouler des yeux, exaspéré. Pourquoi avait-il signalé son cas, sérieusement ? Il sentait qu’il allait le regretter !
Cela n’empêcha pas Picarel de poursuivre. Cependant, il se tut après quelques minutes lorsqu’ils arrivèrent devant le domaine en question et que l’homme mit pied à terre. Comme le reste, elle n’avait rien à voir avec le sinistre manoir qu’il s’était plu à imaginer. Différents styles architecturaux se mélangeaient en un fouillis indescriptible et vertigineux par les dimensions impressionnantes des diverses sculptures, très nombreuses. Le rôle de certaines pièces avait dû échapper à son constructeur ; ainsi une tourelle et sa toiture pointue se retrouvaient tête en bas tandis que des fenêtres se côtoyaient en diagonale et que des balcons se retrouvaient seuls, sans ouverture depuis l’intérieur pour y accéder. La parcelle qui précédait la maison n’était pas plus classique ; au lieu du gazon vert des habitations humaines ou des roches grises et des cendres noires attendues, le sol était recouvert d’immenses champignons rose translucide qui s’agitaient comme des méduses dans l’eau, des espèces de coussins bleus à poils dont plusieurs de leurs représentants couinèrent lorsque le cheval blanc se coucha dessus et des allées de cailloux miroitants qui changeaient sans cesse de couleur et qui hurlaient quand ils leur marchèrent dessus.
Picarel ne se sentit pas moins dépaysé à l’intérieur.
A peine furent-ils rentrés que les chats se dispersèrent et disparurent. Picarel se figea et pensa alors faire demi-tour. Adamanth et son seigneur lui tournaient le dos. C’était l’occasion, non ?
Alors qu’il se tournait vers la porte, cette dernière claqua juste devant son nez et il vit ses possibilités de fuite s’envoler avec tristesse. Cependant il resta, dans l’espoir qu’elle se rouvrirait d’elle-même ; après tout, personne ne l’avait refermée derrière lui.
— Ne reste pas planté là, elle ne va pas s’ouvrir toute seule ! s’exclama Adamanth d’une voix agacée.
— Ah bon ?
Adamanth soupira mais préféra ne rien répliquer. Lorsque Picarel se retourna vers lui, il constata qu’ils n’étaient plus que tous les deux. Son maitre avait disparu.
— Et comment je suis censé ressortir ? demanda-t-il naïvement.
— Tu n’es pas censé ressortir.
— Quoi ? Je suis prisonnier ?
Il se sentit idiot de ne pas y avoir songé plus tôt. Adamanth avait dû voir en lui une cible facile et il était devenu un otage ! Peut-être était-il destiné à être la pièce maitresse de leur prochain repas ?
Il recula brusquement, horrifié.
— J-je ne veux pas être mangé !
Le démon le jaugea quelques instants, stupéfait.
— … Tu crois sérieusement qu’on voudrait te manger ? Il ne doit rien exister de plus dégueulasse à se mettre sous la dent qu’un ange !
Picarel se figea, les yeux agrandis de surprise. Un… un ange ? Il savait ? Comment ?
Et comment cela, il n’y avait rien de plus dégueulasse à manger qu’un ange ?
Vexé, il ne pensa même plus à chercher une issue. Adamanth l’interrompit dans ses bougonnements intérieurs en l’attrapant par le poignet pour le trainer dans un long couloir aux murs occupés sur toute leur longueur par des peintures grotesques. Il le fit pénétrer dans une pièce au sol jonché de dunes de coussins et de poufs de toutes les couleurs. Ils y retrouvèrent le cavalier, vautré sur ces derniers, un verre rempli d’un liquide bleu sulfate à la main.
— Eh bien ! Vous avez pris votre temps.
— Il voulait filer.
— C’est un peu tard pour cela, il fallait y songer avant. Ah ! Et ce n’est pas dans son intérêt non plus ; vu comme il n’a pas su se débrouiller jusque-là, je ne donne pas cher de sa peau.
— Euh, je suis là, vous savez. Et bien sûr que j’ai envie de filer, je ne sais toujours pas qui vous êtes ni ce que vous me voulez !
Deux paires d’yeux le jaugèrent avec perplexité. Les deux démons désignèrent celui dont Picarel ne connaissait pas le nom.
— Tu ne l’as pas reconnu ?
— Tu ne m’as pas reconnu ?
Parce qu’il aurait dû ? Picarel haussa les épaules. Ce n’était pas de sa faute si sa tête ne lui revenait pas !
— Et ma procession ? Tout le monde sait qui je suis, rien qu’en l’apercevant !
— Les chats qui jouent mal de la trompette ? Non, non, ça ne me dit rien.
Il y eut un instant de silence. Puis un soupir.
— Vraiment pas futé…
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