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— Mais où peut-elle donc bien être ?

Après avoir quitté Saint Joseph, les deux amis avaient rejoint un petit coin tranquille du Paradis pour s’y poser et réfléchir, assis sur des nuages rose fuschia. Fraichement rentrés de mission et ayant déjà effectué les tâches ingrates que Michael leur avait infligées à cause de leur échec, personne ne les chercherait avant un bon moment. Première bonne nouvelle.

— Ce n’est pas comme si elle avait mille lieux où se rendre ! se plaignit Picarel en plongeant la tête entre ses mains, désemparé.

Il ne pouvait pas en attribuer la faute à Saint Pierre, régulièrement ivre – la faute à ceux qui venaient le voir et lui proposaient un petit apéro pour passer le temps ou pour le ‘récompenser’ de son dur labeur – car il n’avait en charge que la réception des âmes humaines. Celles des animaux passaient par un autre portail, gardé par Sainte Rita et Saint Mammès. Le risque que Nana fût devenue une âme errante était minime ; d’une part, parce que les deux Saints n’avaient pas pour habitude de quitter leur poste ou de se retrouver inaptes à l’assurer, d’autre part parce que même si une âme de limace n’était pas prise en charge, il y avait peu de chance qu’elle allât bien loin d’elle-même. Aucune âme n’était ni plus grande ni plus rapide que de son vivant. Quelqu’un l’aurait forcément récupérée à l’heure qu’il était et elle aurait figuré dans les Registres. Or, ce n’était pas le cas.

— Peut-être est-elle au Purgatoire ? proposa Cockatiel, à défaut d’autre chose.

Il avait juste envie de dire que ses recherches étaient sans espoir. Une limace ne ressemblait à rien de plus qu’à une autre limace, alors comment distinguer la sienne des autres ? Peut-être même l’avait-il déjà confondue de son vivant et que la Nana originelle n’était pas morte.

Picarel lui jeta une œillade perplexe.

— Au Purgatoire ? Mais qu’irait-elle faire là-bas ? C’est pour les âmes en repentir !

— Bah, je n’en sais rien… peut-être aurait-elle commis des fautes –

— Des fautes ? Elle ? Et que veux-tu qu’elle ait commis comme fautes ? Piquer la feuille de salade d’une autre limace ?

Cockatiel haussa les épaules, dubitatif.

— Que veux-tu que je te dise ? Tu penses plutôt qu’elle est restée sur Terre ? Je ne connais aucun cas d’âme errante de limace qui ait été reporté jusque-là !

Les âmes errantes restaient attachées à un lieu à cause de quelque chose qui les y retenait, comme des regrets ou de la souffrance… parfois une non-acceptation de la mort elle-même. Les limaces n’étaient classiquement pas concernées.

Picarel haussa les épaules avant de les laisser retomber, dépité.

— La dernière solution qu’il reste est l’Enfer. Mais bon, la probabilité qu’elle y soit est plus faible encore que pour le Purgatoire…

Picarel redressa vivement la tête à cette hypothèse. Non… Le risque n’était pas plus faible. Certes, Nana n’avait aucune raison d’y aller d’elle-même mais le Paradis recevait régulièrement des rapports de vols d’âmes avant leur élévation vers les cieux, emmenées par les démons pour une destinée floue. Comme les âmes étaient trop nombreuses, les Anges étaient incapables d’endiguer complètement le phénomène, même s’ils s’efforçaient d’y trouver des parades.

Nana avait pu être enlevée par un démon, tout simplement. La voilà, la clé du mystère !

Picarel se releva brusquement, ce qui fit sursauter son ami.

— C’est ça, tu as raison ! Nana ne peut qu’être en Enfer !

— Q-quoi ?! s’exclama Cockatiel avant de bégayer : Pourquoi tu penses ça ?

— C’est logique ! Les démons ont pu l’emmener !

— Une limace ?!

Picarel le jaugea avec une grimace.

— Bien sûr, c’est déjà arrivé. Il y a peut-être des amateurs de limaces parmi les démons.

— Je ne veux même pas savoir pour quoi…

Picarel le fixa un instant, perplexe, avant de pâlir.

— Oh mon Dieu… si cela se trouve, ils veulent la manger ou en faire… il faut absolument que j’y aille !

— T-tu… tu n’es pas sérieux, n’est-ce pas ? Te rendre en Enfer ?

Il était partagé entre horreur et anxiété. Cette histoire ne pouvait que mal tourner ! En plus, aller retrouver une limace en Enfer… Autant chercher une aiguille dans une botte de foin ! Et encore, leurs chances seraient bien meilleures dans ce cas.

L’air résolu de son ami le convainquit que quoi qu’il dît, rien ne le dissuaderait dans sa démarche.

— Et comment comptes-tu t’y prendre ? soupira-t-il, las.

— Je verrai une fois sur place !

Ça, c’était du plan.

— En même temps, ce n’est pas comme si j’avais déjà eu l’occasion de visiter l’Enfer ! se justifia-t-il.

Normalement, aucun Ange ne s’adonnait à ce genre de balade ni n’en avait l’occasion. Que ferait un démon s’il en voyait un se promener dans leur coin ?

— Tu es au courant que c’est du suicide ? Et même si tu survis, quand tu reviendras, Michael te tuera !

— Il ne le fera pas s’il ne le sait pas, n’est-ce pas ?

Cockatiel cligna des yeux, atterré. Il espérait réellement être revenu avant que quiconque ne s’en aperçût ? Il ne répondit pas.

— Pour cela, mieux vaut que tu restes ici et que j’y aille seul ; ils s’apercevront moins vite de ma disparition si tu es encore là !

Son ami ne rétorqua pas, pas davantage convaincu. Comme s’ils seraient assez idiots pour ne pas remarquer l’absent dans leur paire. Ses yeux s’humidifièrent à la perspective de la mort de son ami, qui était pour lui l’unique issue de cette aventure absurde. Il se jeta dans ses bras avant d’éclater en sanglots.

— Allons ! Ce n’est pas comme si tu es sur le point de m’enterrer, plaisanta Picarel en lui tapotant le dos, après l’avoir enlacé.

Cockatiel songea qu’il n’en aurait même pas l’occasion. Les démons n’avaient pas pour habitude de leur rendre leurs camarades disparus là-bas, comme leur ami Scalpel ; sans doute préféraient-ils ensuite les consommer ou s’amuser avec leurs restes. Il refusa d’y penser.