Saint Joseph fronça les sourcils.
— Ou alors vous allez chercher une autorisation.
Picarel souffla, exaspéré. Qu’il était têtu.
— Je ne peux pas avoir votre autorisation !
Qui lui en donnerait une, sérieusement ? Raphael, sûrement. Gabriel aussi, peut-être. Même s’il arrivait à convaincre l’un ou l’autre – à les émouvoir surtout, ce qui n’était pas difficile concernant le premier –, le plus dur était d’obtenir ce fameux document avant qu’un autre Archange ne tombât sur eux. Or, Michael rôdait souvent dans les parages, quand ce n’était pas Uriel. L’un dans l’autre, c’en serait fini d’eux.
— Alors vous pouvez partir et cesser de m’importuner.
Cockatiel espéra qu’ils en resteraient là mais se douta que ce ne serait pas le cas. Il n’y avait plus qu’une dernière option : essayer de l’acheter. Picarel commença par sortir son portefeuille, ce qui ne lui valut qu’une œillade peu amène.
— Vous croyez réellement pouvoir m’acheter ? persiffla-t-il d’une voix doucereuse. Je suis un Saint !
Pas d’argent donc… une lubie secrète ? Picarel n’avait aucune idée de ce que cela pourrait être ! Il extirpa des choses diverses et variées de ses poches, des livres, des mouchoirs, des cadavres de chewing-gum prémâchés, des kakis pas mûrs, des bouts de tissus colorés…
— C’est une jupe ? s’étonna l’âme en lorgnant sur un long vêtement en fuseau pourpre, qu’il pointa du doigt.
Picarel rougit mais ne répondit pas. Cockatiel lui répondit par un haussement d’épaules embarrassé.
L’air de Saint Joseph changea pour devenir intéressé lorsqu’une boite de chocolats apparut sur le tas d’objets hétéroclites. Un gourmand, donc… Picarel dut sacrifier toute sa réserve et pousser Cockatiel à en faire de même pour voir lesdites boites disparaitre et les mots tant attendus être prononcés :
— Quel Registre ?
Il avait repris son visage austère et sa voix monocorde. Le tribut n’avait pas suffi à lui arracher une once de sympathie.
— Celui des Entrées ! fit Picarel sur le ton de l’évidence. En fait, je cherche une amie –
— Humain, donc ?
Picarel faillit gémir de dépit. Quelle étroitesse d’esprit ! Pourquoi un humain, forcément ?
— Non ! C’est une limace !
— Une limace ?
Saint Joseph cligna des yeux, perplexe, avant de secouer la tête. Il choisit de ne pas chercher à comprendre.
— Quel Registre donc ?
— Je viens de vous dire –
— Si nous avons autant de livres, c’est parce que nous tenons un Registre d’Entrées par espèce. Que croyez-vous ? Cela fait des milliers d’années que ce service est en vigueur, cela en fait des individus, toutes espèces confondues !
Picarel ouvrit la bouche, hébété. Jamais il n’avait envisagé une telle chose. Il se reprit.
— Euh, celui des limaces alors.
Saint Joseph soupira et se passa la main sur le visage, comme s’il était confronté à un parfait abruti.
— Je viens de vous le dire, chaque espèce a son Registre. Quelle espèce de limace ?
— Quelle espèce de limace ? répéta Picarel, perplexe.
Cockatiel cacha son visage entre ses mains, désespéré, tandis que l’anxiété montait en flèche chez l’autre ange.
— Oui. Alors ?
— Mais je n’en sais rien ! se lamenta-t-il.
Comment aurait-il pu deviner qu’il aurait des questions aussi tordues ? Il n’était pas zoologiste !
De nouveau, un soupir du Saint.
— Bon, je crois que nous devrons procéder autrement. Région où se trouvait l’individu ? Couleur particulière ? Longueur ?
— France, en région parisienne, répondit-il, désemparé. Plutôt grise. Longueur… bah, c’est une limace.
— Je suppose que je devrais m’en contenter… Espèce européenne donc. Peut-être Deroceras reticulatum ?
Il se retourna vers la bibliothèque et chercha l’ouvrage pendant plusieurs secondes avant de l’extirper de l’étagère. Il était très épais et possédait une couverture couleur bronze zébrée de reflets. Il revint vers eux et le posa brusquement sur le comptoir, ce qui souleva un épais nuage de poussière qui fit tousser les deux anges, jusqu’à leur piquer les yeux. Chose étrange, l’intérieur de leurs nez, de leurs bouches et de leurs gorges les irritait.
— Mais c’est quoi cette poussière ? On dirait qu’elle colle ! pesta Cockatiel en toussotant comme s’il essayait d’extraire quelque chose. Vous n’entretenez pas vos livres ?
Saint Joseph lui jeta un regard ironique.
— Ce sont des Registres et non des livres, et si. Ceci a pour but de dissuader les gens de revenir ici trop souvent, même avec une autorisation. C’est que je n’ai pas que ça à faire non plus !
Ils ne répliquèrent pas, bien que le rôle du Saint en question se restreignît justement à la gestion des Registres.
— Date et lieu de la mort ?
Ils firent chou blanc. Sur l’insistance de Picarel, ils consultèrent les Registres des autres espèces de limaces françaises, même s’ils durent essuyer d’autres attaques de poussière en conséquence, jusqu’à mettre le feu à leurs poumons. Ils finirent par quitter la pièce, haletants et inconfortables, sans avoir rien trouvé. Nana ne figurait sur aucun Registre.
Son âme n’avait pas rejoint le Paradis.
LeConteur.fr | Qui sommes-nous ? | Nous contacter | Statistiques |
Découvrir Romans & nouvelles Fanfictions & oneshot Poèmes |
Foire aux questions Présentation & Mentions légales Conditions Générales d'Utilisation Partenaires |
Nous contacter Espace professionnels Un bug à signaler ? |
2860 histoires publiées 1289 membres inscrits Notre membre le plus récent est Microc |