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Il s’arrêta avant de considérer les alentours. Ils n’arriveraient à rien à continuer ainsi. Le mieux était que Byleth vînt à eux.

– Byleth ! Je sais que tu nous entends ! Nous ne sommes pas ici pour te chercher querelle –

– Ça, cela reste à voir, selon si –

– Tais-toi donc, tu vas tout compromettre.

– Je te demande pardon ? À qui crois-tu parler ?

Le visage d’Uriel perdit un peu de son indifférence et il pinça les lèvres, conscient d’avoir été trop loin à cause de son agacement. Michael restait son Prince.

Ce dernier renâcla mais se força au calme. Frapper Uriel ne les avancerait à rien et, en soi, il n’avait pas tort. Sans compter qu’il avait lui-même titillé son irritation tantôt, lorsqu’il avait voulu donner un coup de pied à un chat pour passer sa frustration. Ce qui, comme Uriel l’avait souligné en l’empêchant de commettre cet acte funeste, aurait été considéré comme une déclaration de guerre par Byleth… Car il ne plaisantait pas lorsqu’il s’agissait de ses petits protégés. Mieux valait frapper ses démons que ces derniers.

Décidément, l’immersion en Enfer ne lui réussissait pas. Qu’il avait hâte de rentrer au Paradis et de refouler cette atroce journée au fin fond de son esprit.

– Je…

– Eh bien, votre séjour en Enfer semble vous réussir, tous les deux. Uriel, tu as pris une sacrée assurance depuis la dernière fois que nous nous sommes vus.

Les trois anges se retournèrent pour apercevoir Byleth sur son cheval blanc, devancé par une troupe de chats trompettistes qui jouèrent soudain leur cacophonie avec retard, sans aucune coordination, ce qui arracha une grimace aux deux Archanges. Shrapnel, lui, demeura imperturbable malgré le massacre musical qui lui vrilla les tympans. Près du cavalier, Asmodée glissait sur le sol, auréolé d’un nuage de fumée noire, lumineux dans sa noirceur. Un sourire extatique était dessiné sur ses lèvres tandis qu’il dévorait Uriel des yeux.

— Je crois que nous avons des choses à nous dire, n’est-ce pas ?

**

— C’est Nana ! Oh mon Dieu, c’est Nana, regardez !

Picarel pointait du doigt une limace à travers la vitre de l’énorme aquarium qui en comportait une centaine, planté dans une pièce qui en comportait plusieurs similaires. Il pleurait d’émotion en répétant ‘Nana’ et en lui faisant de petits signes pour lui signaler sa présence, au cas où ses cris ne suffisaient pas.

— Oh mon Dieu ? répéta Mahalath avec dégoût. Comment oses-tu jurer sur ce type, tu n’as pas honte ? Et qui est Nana ?

Comme convenu, ils s’étaient rendus chez la démone, et elle les avait guidés dans la grande pièce où elle détenait son élevage de limaces – ses escargots et ses oursins en avaient chacun une autre. Elle avait commencé à les leur présenter, en les désignant chacune par leurs noms – Choupinou, Choupinette, Loulette, Louloute, Minette … – jusqu’à arriver à la fameuse Poupette, qui leur valait tous ces cris.

Lorsque Mahalath comprit qu’il désignait Poupette, elle écarquilla les yeux.

— Poupette ? Mais pourquoi l’appelles-tu Nana ? En plus, ce n’est même pas un nom mixte, ça ne va pas du tout pour une limace, elles sont hermaphrodites !

— Heu, en quoi Poupette est un nom mixte ? intervint Cockatiel d’une voix peu assurée.

— C’est mon amie ! C’est Nana ! continua de s’exclamer Picarel, comme si les paroles de Mahalath n’avaient jamais existé.

— Comment peux-tu être aussi catégorique ? s’hasarda Sytry, perplexe.

Il avait beau regarder, il ne voyait pas la différence avec les autres limaces. C’était… une limace, tout simplement. Pourtant, Picarel insistait.

— C’est Nana !

— Mais pourquoi appelles-tu Poupette Nana ? insista Mahalath, perdue. Qui est-ce ?

— C’est, hum, son amie, expliqua Sytry en toussotant. Il la cherche depuis un moment… depuis sa mort, en fait, il y a quelques jours.

— Oh !

— Cette limace est-elle morte il y a plusieurs jours ? Ou semaines, peut-être ? l’interrogea-t-il.

— Oui. Je l’ai récupérée dans un parc, du côté de Saint-Denis.

— C’est là que Nana est morte ! Écrasée par une semelle !

— Que… ? Comment sais-tu qu’elle – ?

— Parce que j’ai retrouvé son cadavre, pleurnicha Picarel, éploré. Desséché, déshydraté ! Mais bien écrasé par une semelle assoiffée de sang et de chair fraîche !

Mahalath se dandina sur ses pieds, l’air coupable. Sytry se demanda pourquoi.

— En fait, ladite semelle, c’est moi, avoua-t-elle.

— Quoi ?

Picarel avait lâché la vitre sur laquelle il était vautré pour se tourner vers elle, ulcéré.

— Je ne l’ai pas fait exprès ! s’excusa-t-elle. Je me baladais dans le parc quand j’ai soudain senti quelque chose de spongieux sous ma chaussure. J’ai regardé, et je l’ai vue, là, écrasée !

— Meurtrière !

L’accusation sembla accabler la démone qui détourna les yeux.

— Bref, je me suis excusée, puis j’ai vu son âme s’élever. Que pouvais-je faire d’autre ? Pour me faire pardonner, je l’ai récupérée et je lui ai promis de bien m’occuper d’elle, qu’elle aura tout ce qu’elle voudra.

— Monstre !

— Pica, arrête, souffla Cockatiel, pris de pitié pour la démone. Tu vois bien qu’elle se sent affreusement coupable.

En effet, les yeux de Mahalath s’étaient remplis de larmes. Picarel se tut, mais conserva un air revêche. Il ne pardonnerait pas le crime si aisément.

— Tu… tu la connaissais de son vivant ? couina-t-elle en essuyant ses yeux.

— Oui.

Mahalath se mordit la lèvre. Elle jeta un coup d’œil en direction de Poupette.

— Et je viens la récupérer, assena-t-il d’un ton ferme.

Mahalath vacilla comme si elle venait de prendre un coup. Puis elle fronça les sourcils.

— De quel droit… ?

Elle se tut un instant, hésita, regarda de nouveau Poupette qui remontait la vitre en laissant une traînée de bave derrière elle. Elle réfléchit quelques secondes puis soupira.

— C’est… c’est à elle de décider.

Sytry haussa un sourcil, sceptique, mais ne dit rien. Picarel et Mahalath s’approchèrent de l’aquarium. Après quelques instants, il devint évident pour eux que la limace s’efforçait de rejoindre Picarel. Mahalath inspira douloureusement, les yeux brûlants. Elle n’était pas là depuis longtemps mais elle s’y était attachée, à sa Poupette. Cependant, cela expliquait peut-être la petite déprime qu’elle avait sentie chez elle ; sans doute son ami lui manquait-il.

Elle renifla avec émotion puis hocha la tête. Ne pas pleurer devant les invités. Ce n’était pas classe ni démoniaque.

— Je vois.

Elle s’éloigna quelques secondes et revint avec une boîte au couvercle percé de multiples petits trous. Elle ouvrit l’aquarium, attrapa délicatement Poupette-Nana avant de la mettre dans la boîte, qu’elle tendit une fois fermée à Picarel avant de replacer le couvercle de l’aquarium. Les deux anges comme Sytry en demeurèrent bouche bée.

— Attends, c’est tout ? Tu le crois ? Comme ça ? s’écria le démon, éberlué.

— Bien sûr. C’est comme les humains, chacune a ses caractéristiques propres et elles ont leur façon de s’exprimer, répliqua sa comparse avec assurance.

Sytry hésita avant d’hausser les épaules, effaré. Un truc de passionnés de limaces, sans doute. Ils devaient interpréter la gesticulation de leurs tentacules, ou d’autres signes du même acabit.

Après un instant d’hébétude, Picarel se confondit en excuses et en remerciements joyeux, sa colère oubliée. La démone finit par arborer un air sérieux, presque sévère, qui le réduisit au silence.

— Quelques petits points à aborder, avant de partir, parce que tu n’as pas la tête du type calé sur le sujet.

Mahalath se lança alors dans un exposé détaillé sur les conditions d’entretien d’une limace en captivité, en passant par des détails techniques comme l’hygrométrie ou la luminosité.

Un exposé qui ne servit à rien car Picarel n’y comprit rien.