— Surtout pas !
Il haussa un sourcil devant son couinement misérable.
— Sûr ? On peut y faire un crochet si tu veux –
— Non !
Comme Cockatiel insista pour ne pas y aller, ils n’y allèrent pas. La mort dans l’âme pour celui-ci, même s’il ne cessait de se sermonner en affirmant qu’il faisait le bon choix.
La même scène se répéta à l’occasion, parfois pour Cockatiel, parfois pour Picarel. Parfois, une animalerie se présentait et ils la visitaient, pour ressortir les mains vides, déçus. Toujours pas de Nana à l’horizon.
Mais plus le temps passait, plus Cockatiel se crispait. Ce n’était pas normal. C’était trop normal pour être vrai. Pas assez démoniaque. Sytry avait parlé d’illusion, mais jusqu’où s’étendait-elle donc ? Où était le piège ? Quel profit tirait Léviathan d’une telle structure ? Était-ce réellement pécuniaire, alors qu’il n’était pas le Seigneur de la cupidité mais de l’envie ?
Et si Sytry, au lieu d’aider Picarel à chercher sa limace, comme il le prétendait, les jetait tout droit dans la gueule du loup démoniaque ?
Ses doutes furent perçus par Sytry qui, après une œillade, finit par l’interpeller :
– J’imagine que tu te demandes ce qui le distingue d’un centre commercial humain, ce qui le rend démoniaque, et pourquoi Léviathan en a fait son business ?
Cockatiel sursauta, hésita avant d’acquiescer, gêné d’avoir été percé à jour. Sytry gloussa et agita la main.
– Et tu as bien raison de te poser la question. Évidemment que Léviathan ne fait pas cela pour l’argent – un peu quand même, mais ce n’est pas l’objectif in fine de ce centre. C’est le Temple de l’Envie, après tout.
Picarel le jaugea, un peu perplexe. Lui n’avait aucune idée du rapport. Cockatiel avait peur de le deviner. Le sourire de Sytry, carnassier, ne l’invita pas à calmer son esprit.
– Cet endroit est fait pour cela : pousser à désirer sans se contenter de ce que l’on a, à ne cesser d’acheter et de consommer dans un cycle infernal d’une envie insatiable et jamais satisfaite, car l’on ne pense plus qu’à ce que l’on ne détient pas. Cet endroit gigantesque a été conçu pour se perdre dans ses allées labyrinthiques et ses innombrables magasins… sans jamais en sortir. Il est fait pour que les clients s’y perdent et ne vivent plus que pour et par ce centre.
Sytry se mordit les lèvres, moqueur, en voyant les mines effrayées des deux anges. Alors que Cockatiel allait protester, soudain fâché d’avoir été ‘dupé’, il s’empressa de nuancer :
– Mais n’ayez crainte, il est possible d’en sortir. L’illusion fait juste tout pour que vous ne le fassiez pas – que vous n’y pensiez même plus. Je ne cesse de faire des allers et retours pour me réapprovisionner en sucreries et en pâtisseries, et comme vous pouvez le voir, j’en ressors toujours ! La plupart en ressort, d’ailleurs, après un temps plus ou moins long. C’est selon la force de volonté de chacun, j’imagine.
Si Cockatiel n’était pas aussi rassuré que Picarel, qui émit juste un ‘Ah’ soulagé, il admit qu’il devait avoir raison. Ils ne l’auraient jamais rencontré s’il s’était perdu dans ces allées… et en serait-il venu à se piéger lui-même ? A moins que le prix pour sortir fût de les livrer tous les deux à Léviathan ?
Cockatiel ne sut qu’en conclure, à part que Sytry n’était, de toute façon, pas fiable. Ses tentatives fructueuses pour corrompre Picarel en étaient la plus belle démonstration. Il n’arrivait même plus à regarder son ami en face, depuis que les deux avaient... S’il croisait seulement son regard, il devenait rouge de honte et balbutiait de manière incompréhensible. En même temps, chaque fois qu’il le fixait, il y pensait et se demandait jusqu’où ils avaient été. S’étaient-ils ‘contentés’ de la… hm… ou avaient-ils… ? Il n’osait pas le demander. C’était gênant. Pire encore avec Sytry à côté, à agir comme si de rien n’était. Et évidemment, Picarel ne comprenait rien.
– Il suffit donc que vous restiez avec moi et tout ira bien.
Ils reprirent leur progression. Après une bifurcation, ils aperçurent avec surprise une silhouette blanchâtre jeter des tomates sur les passants en gloussant, s’effondrant presque de rire lorsque ses victimes glissaient sur les restes de légumes et en renversaient d’autres par effet domino. Les quelques démons revanchards qui tentèrent de lui faire payer l’outrage en eurent pour leurs frais car leurs appendices divers, avides de vengeance, ne rencontrèrent que du vide, troublant à peine l’individu aux airs de fantôme. Cela ne causait chez lui que davantage d’hilarité, et la perplexité chez les autres.
– Qui est-ce ? Un démon ?
– Je ne crois pas, non. Il s’appelle Folletto. Personne ne sait qui il est ni d’où il sort. Il hante ce centre depuis… je ne sais combien de temps. J’imagine que Léviathan doit le trouver amusant, pour le laisser – ou alors, il n’a pas réussi à s’en débarrasser... Ah, et certains disent qu’il est très susceptible et qu’il n’aime pas être ignoré.
– Mais pourquoi ressemble-t-il à un fantôme… fantomatique ? Les âmes ne sont pas censées être ainsi, en Enfer !
– Allez savoir ! répondit Sytry avec désinvolture. Ce mystère n’a jamais été résolu – il faut dire que personne n’a jamais cherché à le résoudre. On a parfois ce genre de bizarrerie en Enfer. Cette âme ne doit pas être tout à fait réglo. Une erreur dans la conception, j’imagine.
– C’est possible, ça ? fit Picarel, effaré, tandis que Cockatiel secouait la tête, sceptique.
Ils durent ruser pour contourner l’obstacle et ne pas faire eux-mêmes les frais des plaisanteries du personnage insolite. Il fallut quelques minutes pour ne plus entendre ses jacasseries.
– Pourquoi tu m’ignores ?
Cockatiel tourna la tête et fixa Picarel, effaré. Pourquoi, Ciel, posait-il une telle question sortie de nulle part, tout à coup, maintenant ? Il se raidit et dévia les yeux, gêné.
– Je ne t’ignore pas.
– Si, tu m’ignores ! Tu fais tout pour éviter de me regarder, comme maintenant. Qu’est-ce que je t’ai fait ?
La note plaintive dans sa voix mit Cockatiel mal à l’aise. Il se dandina un peu. Il ne pensait pas à mal, le concernant. C’était juste…
– Tu ne m’as rien fait, c’est juste… toi et Sytry…
Il hésita. Devait-il avouer ce qu’il avait vu ? Ses suspicions ? Avait-il réellement envie de découvrir la vérité, même si elle ne devait pas lui plaire ?
– Vous deux, je vous… euh…
Il tourna la tête pour voir la réaction du démon, dérangé par sa proximité. Il aurait préféré avoir une telle conversation loin de ses oreilles.
Aussi, il fut incroyablement surpris lorsque ses yeux ne rencontrèrent que du vide. Au grand étonnement de Picarel, il fit un tour sur lui-même, oubliant de lui répondre. Nul Sytry en vue. Oh non. Ils l’avaient perdu.
Ils étaient perdus.
Picarel regarda à son tour et posa le même constat.
– Mais où est Sytry ?
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