Picarel se posait des questions, depuis sa discussion avec Cockatiel. Il était assez frustré que son ami connût des termes et des émotions dont la signification lui échappait, à lui. Tout ce qu’il avait réussi à arracher de Cockatiel – qui insistait qu’il valait mieux pour lui de ne pas connaître, que c’était pour son bien – était que le désir était relié à la… cèksualhité. Ce terme bizarre évoqué par Sytry chez Asmodée. Il voulait comprendre : pourquoi Cockatiel semblait-il tant craindre qu’il s’y mît ? L’aperçu qu’il en avait eu dans le quartier de la luxure l’avait laissé perplexe et ne l’avait pas tenté du tout.
Il fut dérangé dans ses réflexions par un bruit mat près de lui, et il sursauta dans son hamac lorsqu’une voix bien connue, moqueuse, glissa près de ses oreilles :
– Je suis surpris de te retrouver ici, tout seul. Je pensais que tu aurais été collé à ton ami angélique depuis vos retrouvailles.
– Sytry ?
La surprise était de taille : cela faisait plusieurs jours que le Prince n’avait pas donné signe de vie, de sorte que Picarel avait fini par se demander s’il ne l’avait pas oublié ou s’il ne s’était pas lassé de sa compagnie. La simple pensée avait été douloureuse. Finalement, ses craintes s’avéraient infondées !
Picarel voulut se lever mais, dans sa précipitation, il s’empêtra dans son plaid et récolta une chute douloureuse hors de son hamac. Sytry lui attrapa le bras pour l’aider à se redresser, goguenard.
– Je te fais un tel effet ?
Picarel le jaugea un instant sans répondre, en même temps heureux de le retrouver et indécis. Il ne savait pas quoi dire. Il ne pouvait pas lui sauter au cou pour manifester sa joie. Parce que Sytry n’était pas Cockatiel, ni aucun de ses amis angéliques. Parce qu’il était un démon, qu’il n’était pas forcé d’apprécier l’initiative, et parce que cela risquerait de trahir son secret.
Sytry fronça les sourcils devant son silence prolongé, à se questionner sur de possibles séquelles suite à sa chute. Il serait assez doué pour cela.
– Ça va ?
Picarel n’entendit pas la question et garda le silence, songeur. Chaque fois que Sytry venait le retrouver, il le prenait par surprise puis allait directement à l’essentiel. Devrait-il l’imiter ? Mais avec quel essentiel ? Lui était juste content de le voir ! Il n’avait pas envie de revenir sur leur échec chez Belzébuth, pour le moment. Sinon, une seule question brûlait ses lèvres mais il ne la poserait pas.
A moins que… ?
– Tu sais ce que c’est, l’amour romantique des humains ? Et le désir ?
Peut-être Sytry pourrait-il l’éclairer à ce sujet.
– Hein ? hoqueta Sytry, surpris au point qu’il faillit en lâcher sa sucette.
Comment une telle question était apparue dans une conversation même pas démarrée ? Le mystère de la logique de l’ange restait entier pour le démon. Enfin, si tant est que l’on pût parler de logique dans son cas, tant il en semblait dépourvu.
Il se reprit vite et décida de s’en amuser, malgré sa perplexité.
— Eh bien, on dirait que ça a bien cogité ici, en mon absence… Je peux savoir comment tu en es venu à te poser la question ? Le sujet n’avait pas l’air de t’intéresser, jusque-là…
— C’est Cockatiel.
Sytry attendit que Picarel poursuivît mais comme rien ne vint, il tenta de l’y pousser :
— Quoi, tu te demandes si tu es amoureux de lui ?
Les traits choqués de Picarel parlèrent pour lui.
— Quoi ? Non !
— Alors, quel rapport avec lui ?
— C’est plutôt… il m’en a parlé, et je n’ai pas compris. Lui a l’air de savoir ce que c’est, mais il refuse d’en parler, maintenant.
— Mais comment en êtes-vous venus à parler d’un truc pareil ?
Là encore, Picarel refusa de répondre. Il détourna les yeux, gêné, presque penaud, ce qui surprit Sytry. Qu’avait-il donc raté, ces derniers jours ? Quel dommage, ce devait être bien croustillant ! Peut-être devrait-il interroger ce Cockatiel pour avoir le fin mot de l’histoire, si Picarel y était si réfractaire ?
Dans tous les cas…
– Et donc, c’est à un démon que tu demandes ce qu’est l’amour ?
Il était visible que Picarel prenait la question à cœur. Sytry se retint de glousser.
– Eh bien, je viens de te le dire, je suis mal placé pour te parler de ce genre de mièvreries…
Il ne sut dire si Picarel était désappointé par ses paroles, aussi il s’empressa d’ajouter :
– Et c’est difficile à expliquer, c’est du ressenti. Même si j’y mettais des mots, si tu n’as jamais expérimenté et que cela ne te parle pas, cela ne te dira rien –
– Essaie quand même !
– Et qui te dit que j’ai déjà été amoureux moi-même ?
Picarel hésita avant d’acquiescer. Il n’avait pas tort. Un démon, ça ne tombait pas amoureux, à part dans les livres romantiques des humains. Un ange n’était pas supposé considérer non plus un démon comme un ami mais il préféra éluder la remarque inutile dans son esprit. Sur ce sujet, mieux valait s’adresser à un humain, finalement. A sa prochaine excursion sur Terre, sans doute.
Pour le second, cependant, Sytry serait sans doute en mesure de l’aider. N’avait-il pas exprimé de l’enthousiasme lorsque la question avait été évoquée chez Asmodée ?
– Et le désir ?
Le sourire de Sytry s’élargit, pour se faire presque carnassier.
– Ah, là, ça me parle plus ! Même si je ne suis pas sûr que tu comprennes juste avec des termes –
– Essaie.
Picarel exprimait un tel sérieux que Sytry eut envie de rire. Picarel aurait-il voulu qu’il lui expliquât pour quelle raison le ciel terrestre était bleu ou la plupart des plantes vertes, qu’il n’aurait pas arboré un autre visage. Était-il conscient du sujet vers lequel ils allaient dériver ?
Le Prince décida de s’asseoir sur le hamac abandonné par Picarel avant de se lancer.
– Alors, comment dire…
Quelques minutes suffirent pour conforter la supposition de Sytry ; celui-ci eut beau retourner la définition dans tous les sens, Picarel n’y comprit rien. Cette notion lui échappait totalement.
Pourtant, il jubilait. L’idée de corrompre l’ange ne l’avait pas quitté. C’était sans doute la plus belle occasion d’y parvenir. Ce serait déjà un premier pas vers cet objectif, en tout cas.
Il s’aperçut que Picarel commençait doucement à s’assoupir, vautré sur un gros pouf en peluche rouge, et arrêta de monologuer. Eh bien, l’élève attentif n’avait pas fait long feu… Le démon hésita à quitter son cher hamac – redevenu à lui, au passage, juste rétribution de ses efforts d’enseignement ; et même sans, c’était à lui, de toute façon – avant de décréter que ce n’était pas nécessaire. Il essaya de le tapoter du bout du pied et dut se tortiller un peu pour parvenir à toucher son épaule. Picarel sursauta avant de se redresser légèrement, hagard. Il semblait sur le point de resombrer dans les bras de Morphée aussi sec.
— Pour quelqu’un qui désirait ardemment savoir, tu n’es pas très concentré.
Il rit de la mine dépitée de l’ange. Celui-ci bailla avant de s’excuser :
— J’rien compris…
– Je t’avais prévenu, c’est difficile d’expliquer à quelqu’un qui ne l’a jamais vécu.
Il laissa quelques secondes en suspens, le temps de laisser Picarel réfléchir à ce que cette phrase pouvait impliquer – même s’il se doutait déjà qu’il n’en penserait rien, surtout dans son état semi-ensommeillé.
– Enfin, peut-être comprendrais-tu un peu mieux si tu expérimentais le plaisir charnel ; ce serait bien plus facile.
Devant l’incompréhension indolente de Picarel, il dut expliciter son idée.
– Je peux te montrer, si tu veux.
La proposition eut le mérite de réveiller l’ange qui se redressa dans un mouvement brusque. Lui montrer ? Lui montrer quoi ?
– Je ne te force en rien, ajouta Sytry sur un ton rassurant.
Ce qui n’était pas forcément rassurant, au demeurant. Picarel demeura songeur. Sytry venait de dire qu’il ne le forçait en rien… et il le croyait, même s’il ne voyait pas trop de quoi il parlait. Cependant, il n’avait jamais cherché à le contraindre à quoi que ce fût, jusque-là, alors pourquoi s’y mettrait-il ?
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