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– Pour ma part, je dirais que le mieux serait de le cuire avec ses ailes. Il suffirait ensuite de filtrer le bouillon pour récupérer les plumes et les mettre à part. Je suis sûre que cela permettrait de conserver son goût caractéristique.

Sur ces mots, l’araignée géante démoniaque attrapa les morceaux d’oignons nouveaux qu’elle venait de couper avec ses pattes avant de les jeter dans l’immense marmite. Comme celle-ci n’avait été mise sur le feu que quelques minutes plus tôt, l’eau frémissait tout juste. Encore claire, de nombreux morceaux flottaient à sa surface, intacts. La pièce maîtresse de ce futur plat, Cockatiel, était ligotée comme un saucisson près de l’âtre, attendant que vînt son tour en se débattant. Quelle déveine ! Comme il l’avait craint, ses kidnappeurs l’avaient emmené dans le palais de Belzébuth pour qu’il finît en rôti ! Ou plutôt en ange mijoté, d’après ce qu’il avait compris, quoique, en vérité, le débat fût toujours d’actualité. Cela faisait tellement longtemps qu’un ange avait été cuisiné en ces lieux qu’ils discutaient de la meilleure façon de le préparer à cette occasion.

Quel honneur.

Il tentait bien d’exprimer son opinion, qui consistait à ne pas le cuisiner du tout et à le laisser partir parce que, non, ils avaient halluciné, il n’était pas un ange, et que, de toute façon il n’était pas comestible – il était un stressé sur pattes, sa viande serait bien trop dure, assurément ! Cependant, les démons semblaient avoir réponse à tout quand cela les arrangeait, parce qu’ils avaient simplement répliqué qu’il faudrait, par conséquent, pensé à l’attendrir. Il avait envie de pleurer. Qui le pleurerait, lui ? Personne ne savait qu’il était ici hormis Minitel ! Sa solitude lui pesa soudain. Mais quelle idée avait-il eu de venir en un tel endroit ?

Je suis désolé, Picarel, s’excusa-t-il entre deux plaintes intérieures. Je n’ai pas été capable de t’aider – si tu es encore en vie, bien sûr. Pour lui, le problème serait bientôt réglé.

– Je ne suis pas sûr que ce soit une bonne idée, répliqua un autre démon, un hybride entre la chauve-souris géante, la sauterelle pour les six pattes et une pantoufle. Je dirais qu’il faut le déplumer avant, nous risquerions d’avoir un goût bizarre qui restera à la cuisson. Sans compter les restes de plumes que nous n’arriverons pas à retirer ensuite, cela pourrait gâcher le plat !

– Hm, je ne vois pas pourquoi cela gâterait le goût, mais je suis d’accord pour le second point, fit un troisième à tête de faucon mal plumé, tandis qu’il réduisait en bouillie une racine noirâtre. Et si nous le plumions puis que mixions cela avant de l’ajouter à la préparation ? Comme ça –

– Mais ce serait du gâchis !

– Moi, je ne comprends même pas que vous vouliez le cuisiner en mijoté. C’est à la broche qu’il faut le cuire ; la viande bien dorée et cuite à point, c’est la meilleure façon de procéder, assurément !

– Moi, je serais plus d’avis d’en faire un rôti farci. Un angelet aux pommes, ce doit être top.

Au secours !

– Pourquoi aux pommes ?

– Je ne sais pas, j’ai dit ça au pif ; on peut utiliser autre chose…

– Le Seigneur Belzébuth a-t-il émis un avis à ce sujet ? Cela couperait court aux débats, argua une démone aux allures de serpent.

Les autres haussèrent les épaules ou leurs équivalents. A quelques pas d’eux, une pile d’assiettes trembla ; si la plupart tinta, quelques-uns se brisèrent, ce qui valut des rires gras à l’adresse du maladroit qui s’empressa de faire disparaître les traces de son crime, apeuré à l’idée d’essuyer une punition.

– Aucune information ne nous est remontée à ce sujet, alors j’imagine que non. Peut-être est-ce une surprise pour sa Seigneurie ? Il aime bien les surprises.

– C’est vrai, acquiesça un autre. Ce qui ne nous arrange pas ; nous n’avons pas intérêt à nous louper sur ce plat. Surtout qu’il est de mauvaise humeur, aujourd’hui.

— A ce qu’il paraît, oui. Espérons que ce plat le déridera un peu. Peut-être même qu’on nous récompensera !

— Oh, ce serait fantastique !

— Ne nous emballons pas trop vite, il faut d’abord le cuisiner. Et espérer surtout qu’il n’aura pas envie de nous torturer pour le gâchis si nous nous loupons.

— … Tu sais plomber le moral, toi.

Cockatiel grimaça. S’il devait mourir – et dans d’atroces souffrances, en plus –, il espérait qu’ils se louperaient bien sur la façon de le cuisiner ; ce serait un mensonge de prétendre que leurs morts ne le satisferaient pas. C’était mal de penser ainsi, aux antipodes de l’ange du Bien qu’il incarnait, mais il ne put s’en empêcher.

Une odeur de brûlé fit froncer le nez aux cuisiniers mais ils l’ignorèrent. Encore un malheureux qui risquait de payer cher s’il ne rattrapait pas vite son erreur.

– Mais comment le cuisiner, alors ? Comment se décider ?

– Quelles sont ses préférences du moment ?

– Aujourd’hui, Belzébuth est à fond sur les crustacés, façon ‘fruits de mer’ à la terrienne.

– Oh, oui, c’est vrai, cela me dit bien quelque chose. Et ça explique pour les crevettes géantes.

Un léger silence accueillit ces paroles, tandis qu’ils méditaient sur ce que cela impliquait pour eux. Un ange, ce n’était pas réellement un fruit de mer.

– Peut-être devrions-nous le faire mijoter dans une sauce aux fruits de mer ? Ou aux algues ?

– Et le disposer dans une grosse coquille pour la présentation du plat ?

– Ce pourrait être une idée…

Par pitié, pensa Cockatiel en pleurnichant. Il ne voulait pas être mijoté dans des fruits de mer et que son lit de mort fût une coquille que l’on ouvrirait pour le savourer… Dans ses suppliques, il promit d’arrêter de manger des fruits de mer et de se faire un ardent défenseur des crustacés et autres mollusques dévorés avec malignité par des bouches avides, pris d’une soudaine solidarité envers eux. Tout mais pourvu que quelqu’un vînt à son secours –

– Cockatiel ?