Il aurait dû se lasser de cette recherche absurde et l’abandonner à son sort, après lui avoir dit la vérité : qu’à l’heure qu’il était, sa Nana avait très certainement été écrasée ou digérée depuis longtemps. Le recyclage des âmes était rapide en Enfer. Il aurait dû passer à autre chose. Il en allait souvent ainsi avec lui ; une distraction répétée n’était plus une distraction, mais un ennui. Et là, il avait eu de quoi finir écœuré pendant un moment par la simple vue des escargots et autres bestioles de cet acabit. Et pourtant.
Et pourtant, il était là, dans la réserve à limaces de Belzébuth, à prendre cette histoire assez au sérieux pour se risquer sur le territoire de démons plus puissants que lui, alors que ce n’était plus aussi amusant, à la longue, après autant de répétitions. A compatir pour cet ange stupide à la recherche de son amie gastéropode. Compatir ! Un terme terrible pour un démon ! Et un ange ! Un abruti en plus ! Peut-être était-il malade ? Il lui arrivait d’être moins railleur, avec la fatigue ; cependant, il ne se sentait pas assommé comme d’habitude. Ce ne devait pas être ça. Soudain, il pâlit alors qu’une hypothèse émergeait dans son esprit. La stupidité pleine de bons sentiments était-elle contagieuse ? Était-ce à force de contacts avec Picarel qu’il aurait attrapé ce mal ?
Alors qu’il fronçait les sourcils, soudain anxieux, et qu’il réfléchissait, sous le regard surpris de la source de son souci, une voix surgit d’entre les ombres pour les interpeller :
— Hey, les nazes ! Devriez pas être là, vous gênez ! Dégagez !
Picarel sursauta et Sytry émergea de ses hypothèses mentales sans un mot, piqué par l’agacement. Une masse immense, musculeuse, obstruait l’ouverture de la pièce. Le démon qui venait de les interpeller était une sorte d’ours-garou gris partiellement transformé, bien velu, vêtu d’une salopette jaune parcourue de cochons roses qu’un tablier taché recouvrait partiellement. Des touffes de poils formaient une moustache autour de son museau, tressées en de multiples nattes mêlées de perles, et une crête recouverte de peinture violette se dressait sur son crâne. A cet accoutrement s’ajoutaient de multiples pendants d’oreilles bleus ou verts, et des piercings figurant diverses choses, pourvu que ce fût coloré. Peut-être regrettait-il son pelage si terne, pour déployer un tel arc-en-ciel sur lui.
Cependant, si cela avait pu lui conférer un aspect sympathique, de prime abord, cet effet était aussitôt dissous par la mine patibulaire que le cuisinier arborait. Celui-ci repoussa Picarel d’un coup d’épaule, ce qui le propulsa plusieurs pas en arrière. Il ne dut sa non-rencontre avec les aquariums derrière lui que grâce à Sytry qui le retint par le bras.
— Hey, Lam, tu pourrais faire attention ! Je sais que ta vue est déplorable, mais quand même…
Ledit Lam, de son nom complet Lamodon, se retourna brusquement et écarquilla les yeux lorsqu’il reconnut Sytry.
— Sytry ? Mais qu’est-ce que tu fous là ?
Celui-ci haussa les épaules avec nonchalance, comme si ce n’était qu’un détail sans importance. Picarel les considéra tour à tour, surpris. Alors ils se connaissaient ?
Lamodon ouvrit le haut d’un aquarium avant d’attraper un filet à papillon.
— J’t’ai pas vu d’puis un bail, tu viens plus aux combats d’humains ? fit-il en plongeant son instrument de mort dans le contenant ouvert. T’as raté que’que chose, l’âme de Furfur a fini par être battue par celle de Caym, j’te dis pas comment l’a massacré ! Et le nombre de gens qui se sont fait plumer ! Ah, heureusement qu’j’ai pas parié c’jour-là, j’aurais perdu moi aussi !
Un combat d’humains ? Picarel peinait à suivre, et pas seulement à cause de l’accent épouvantable du démon-ours-garou. Cependant, il s’abstint d’intervenir ; la relative sympathie que Lamodon exprimait désormais n’était adressée qu’à son compagnon démoniaque. Il loucha plutôt sur la pelletée de limaces que Lamodon avait récupérée et qui s’agitait dans le fond du filet, s’efforçant de s’extirper de la masse et de remonter vers les hauteurs. Vers la liberté, sans doute.
— Non, effectivement, cela fait un moment que je n’y suis pas allé.
— C’dommage ! Et c’est qui, çui-là ? fit-il en désignant Picarel, qui s’inquiéta aussitôt de son regard inquisiteur. Le mec avec qui tu traînes depuis quelques temps ?
— Je vois que les nouvelles circulent bien, en ce bas monde, plaisanta Sytry.
— Y a pas d’quoi rire, on dirait un glandu, ce type, j’sais pas d’où tu l’sors –
— De chez Byleth.
— Et surtout pourquoi tu l’trimballes avec toi. Il a la tête du type qui attire les ennuis.
Sytry esquissa un sourire amusé et jeta une œillade ironique à ledit aimant à ennuis. Lamodon se raidit soudain pendant un instant, sembla réfléchir, puis arbora un air inquiet. Le prince n’eut pas besoin de le questionner sur son changement d’attitude qu’il se confia aussitôt :
— Tu devrais bouger tes miches de là, et fissa. Belzébuth est plutôt de mauvaise humeur, aujourd’hui. Sans doute qu’il prendra pas d’gants avec vous s’il vous voit rôder trop longtemps ici, quoi que vous soyez v’nus faire, et comme j’sais pas d’puis quand vous êtes là…. D’ailleurs, j’devrais bouger, moi aussi, si j’veux pas finir en garou rôti, ajouta-t-il en tapotant sa prise. A la revoyure !
Sur ces mots, Lamodon se détourna d’eux et quitta la pièce. Sytry hocha la tête, distrait.
— Belzébuth pas content… C’est bien notre veine. Bon, puisque tu es sûr de toi, on y va ? fit-il d’une voix plus vive, en se ressaisissant.
Picarel acquiesça avec vigueur. Si ce Lam sentait que quelque chose n’allait pas, mieux valait ne pas s’attarder en cet endroit. Il ne tenait pas à découvrir la source du mécontentement de Belzébuth, ni comment il se vengeait pour évacuer son ressentiment.
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