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— Au fait, où est Adamanth ?

Picarel devait l’avouer, il était impressionné ; jamais il n’avait vu d’élevage de limaces aussi grand – bien qu’il n’en eût jamais visité, à part avec Sytry, mais les précédents étaient si différents de celui-ci qu’il n’était pas sûr que la comparaison se tînt. Quand les aquariums des premiers en regroupaient une vingtaine qui vagabondait gaiement sur les vitres, ceux d’ici en contenaient des centaines, trop serrées pour se déplacer sans passer par-dessus une comparse. A croire que la population limacienne de l’Enfer se concentrait là. Elles formaient des magmas si compacts qu’elles ressemblaient à des composantes d’une seule et même entité.

— Qu’est-ce que j’en sais ? En train de s’empiffrer, sans doute. C’est un peu l’idée des lieux. Et la seule activité possible, hormis préparer la bouffe ou en faire partie.

— Mais comment va-t-on faire pour le retrouver, dans ce cas ?

— Pourquoi chercherait-on à le retrouver ?

— On ne repart pas avec lui ?

En y réfléchissant, il était incroyable qu’on les autorisât à se déplacer en un tel endroit – pas de garde, ni nul démon n’était venu leur bloquer l’accès. Au début, Picarel s’était senti angoissé par ce silence ; il avait l’impression d’être un voleur à qui l’on comptait sauter dessus quand il s’y attendait le moins. Ce devait être un piège, comme dans tant de films. Mais rien. Alors Picarel avait fini par oublier la question, concentré sur sa recherche.

Les choses auraient peut-être été différentes s’il l’avait trouvée, mais tant que ce n’était pas le cas, pourquoi s’en soucier, visiblement ?

— Pourquoi faire ? Il est grand, il rentrera tout seul. Il a l’habitude.

Et malgré tout, Picarel était dépité, voire déçu. Focalisé sur sa quête, il en avait même oblitéré de son esprit les conditions d’élevage qu’il avait qualifiées ‘d’atroces’ un moment plus tôt, et ce malgré les touches colorées apportées sur les aquariums et autour, dans une vaine tentative pour rendre l’endroit plus attrayant. C’était flashy, pelucheux, plein de pompons et de fanfreluches pendaient du plafond ou décoraient un peu partout mais les limaces n’en avaient sans doute cure et lui aussi. Dans tous les cas, Nana n’y était pas. Il était catégorique. Au moins n’avait-elle pas eu à subir un environnement aussi malsain.

Si son âme était encore en ‘vie’.

— Et de toute façon, s’il n’est pas en état de rentrer de lui-même, Belzébuth lui fera débarrasser le plancher.

— Comment cela ?

Picarel quitta brièvement sa déprime pour fixer Sytry d’un air horrifié. Il imaginait déjà leur manière brutale de ‘débarrasser le plancher’.

Son interlocuteur esquissa un sourire, amusé par sa réaction. Il s’appuya avec nonchalance contre une paroi vitrée.

— Il s’arrange pour que Byleth le récupère. Que crois-tu donc ? Belzébuth n’a pas envie de se risquer dans une guerre avec Byleth ; celui-ci a beau être le roi des feignants et des imbéciles, s’ils étaient aussi faibles qu’on pourrait le penser, Byleth n’aurait pas conservé son statut très longtemps. Certains se sont déjà cassé les dents en pensant ainsi et ont eu de quoi le regretter. Ils savent se bouger les fesses quand elles risquent de chauffer douloureusement. Et Belzébuth n’aime pas agir frontalement – c’est un vicieux, qui préfère détruire lentement, sans que la victime le réalise… Comme la nourriture !

— Comme la nourriture ?

— Oui ! Comme le sucre, ou un truc cancérigène. Tu en consommes innocemment et ça te ronge le corps petit à petit, sans que tu t’en rendes compte… sauf une fois qu’il est trop tard ! Ah, il a vraiment bien trouvé son filon, celui-là, avec le péché de Gourmandise ! Ils étaient faits pour s’entendre !

Picarel était surpris. Les anges n’étaient pas affectés par ce genre de pathologies, ni par aucune autre, d’ailleurs. Il avait supposé que c’était également le cas chez les démons, puisqu’une grande part d’entre eux étaient d’anciens anges. La perspective inverse ne le réjouissait pas tant, cependant ; au contraire, il était inquiet. Au rythme où Sytry consommait ses sucreries mortifères, dans combien de temps paierait-il le prix de cette habitude ?

— Mais… tu consommes tout le temps des sucettes ! Si ça te détruit, tu devrais arrêter !

Si la boîte de sucettes avait été à sa portée, il l’aurait sans doute attrapée pour la jeter… quelque part. Loin de Sytry. Même si cela n’aurait sans doute pas beaucoup changé la donne.

— Hein ?

Sytry tiqua, puis rit.

— Ah, mais non ! Je suis un Prince démon, pas un mortel lambda, je ne suis donc pas concerné !

— Oh.

Picarel souffla, soulagé. Mais pourquoi cette comparaison, alors, si elle ne concernait que les mortels ?

— Alors ? Tu l’as trouvée ?

L’ange mit quelques secondes à comprendre de qui il parlait. La simple question le ramena à son désarroi antérieur, qui revint aussitôt l’assaillir. Ses traits se crispèrent en une grimace franche. Sytry croisa les bras tandis que lui-même s’écartait du dernier aquarium avec un soupir. S’il avait été un peu sceptique au début – démoralisation oblige –, il avait fini par y croire. Dur retour de bâton.

Le prince ne tarda pas à deviner la réponse sans que l’autre eût besoin de la formuler.

– Comment peux-tu affirmer qu’elle ne se trouve pas là-dedans ? Elles sont tellement nombreuses qu’on ne les voit même pas toutes !

– Je l’aurais sentie. Elle n’est pas là.

Sytry haussa les épaules, perplexe devant la certitude affligée que Picarel exprimait. Tandis qu’il observait sa moue triste, il songea que quelque chose n’allait plus chez lui ; il aurait dû trouver cela drôle. La pseudo-quête de l’ange était d’un pathétisme sans nom – et comment était-il supposé reconnaître sa fichue limace ? C’était un mystère que Picarel n’avait jamais expliqué. Ou peut-être que si, mais lui-même ne s’y était pas intéressé et n’avait pas écouté. Un baratin mélangeant caractéristiques physiques et aura psychique, quelque chose comme cela… Il renifla avec dédain. Comme si une limace disposait d’une aura.