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tome 1, Chapitre 41 « Déclinaison de recettes (Part 2) » tome 1, Chapitre 41

Picarel écarquilla des yeux, stupéfait.

– Q-quoi ?!

– Oh, pas sur d’autres humains – quoique – mais sur d’autres créatures. Les homards ou les moules, par exemple ! Combien jubilent devant la souffrance de ces malheureux crustacés tandis qu’ils les jettent vivants dans la marmite ?

– Les… les homards et les moules ? Vraiment ?

Pouvait-il réellement y croire ? S’il s’intéressait à la gastronomie humaine, c’était pour manger, pas pour cuisiner, aussi ses connaissances en la matière étaient… nulles.

Il secoua la tête.

— Non, ce n’est pas possible. Ils ne sont pas si sadiques. C’est vous qui faites ça.

Sytry haussa les épaules.

— Tu peux facilement vérifier cela sur Terre. Honnêtement, les humains sont très inspirants en la matière. C’est qu’on pourrait presque être jaloux de leur imagination !

Le démon commença alors à énumérer divers instruments et diverses pratiques inventés par les humains avec un enthousiasme presque effrayant, que ce fût dans un cadre culinaire ou dans un autre, en particulier dans l’art des interrogatoires et des arrachages d’aveux forcés, même faux. Il se permit parfois de divaguer un peu pour évoquer quelques anecdotes.

— … Pour les dragons, les chevaliers avec leurs armures, c’était un peu comme un mollusque dans sa coquille. Des fois, ils les grillaient dedans avant d’ouvrir leur carapace métallique, d’autres préféraient les ouvrir avant, quand les humains étaient encore frétillants… Ce sont eux qui nous ont inspirés plusieurs idées de recettes. Âmes humaines à l’étouffée, grillées à point dans leur armure… Cela conférait à la viande un petit goût des plus appréciables. Quelle belle invention humaine qui allait de pair avec leur amour pour la guerre ! Ah, quelle perte gastronomique cela a été quand ils ont cessé de les utiliser ! Quelle tragédie. Maintenant, nous sommes obligées de les fabriquer nous-mêmes pour reproduire ces recettes, mais il y a quand même eu des pertes. Qualitatives, surtout. Les humains ne sont pas fair-play, je te jure, ils auraient pu penser à nous.

Et la diatribe se poursuivait inlassablement au cours de leur avancée, impassible. Cependant, entendre ceci, plus s’astreindre à ne pas réagir à la détresse des âmes humaines, minait les forces et le moral de Picarel. Sa moue devenait de plus en plus crispée et livide pour laisser transparaître le débat qui agitait son corps, concernant sa résistance stomacale et notamment les capacités de l’organe à conserver son contenu. Sytry finit par le constater et l’exposé parvint finalement à son terme, alors même que le sujet n’était pas totalement épuisé.

— Ah, il n’y a pas à dire, les humains sont doués en la matière ! conclut-il avec satisfaction. C’est tout juste si nous incitons quelques-uns à mettre ce savoir-faire en pratique, de temps à autre.

Picarel lui rendit un regard vide en réponse, trop effaré par la monstruosité existante pour s’efforcer de protester ou de déterminer le degré de véracité des propos du prince. Il avait déjà vu quelques scènes choquantes, macabres ou sanglantes, causées par des humains, mais il avait considéré cela comme des cas isolés, résultants d’une influence démoniaque.

– Ne me regarde pas comme ça, c’est quelque chose que tu peux aisément confirmer, fit Sytry, un sourcil haussé. Les humains sont des pros pour ce qui est d’écarter ce genre de pensées dérangeantes quand cela les arrange – ou quand ils estiment les individus trop inférieurs pour s’en préoccuper – et ils aiment réécrire l’Histoire à leur avantage. Ce sont loin d’être des victimes innocentes.

Picarel préféra ne pas répliquer, assuré que le jeune démon conserverait un avis très tranché sur la question. Il était évident qu’il ne nourrissait que dédain pour cette espèce favorisée par Dieu, même s’il se disait admiratif devant leurs capacités de destruction. Et puis, il avait du mal à réfuter ses arguments avec fermeté. Où était le vrai et où était le faux ? Sytry serait bien capable de lui emmêler davantage les pinceaux plus qu’autre chose, sans doute trouverait-il la chose très divertissante !

Et puis, de toute façon, s’épancher sur le bon côté des Hommes, ceux qui étaient gentils du moins, n’était pas la meilleure chose à faire en ce genre de lieu. Un démon ne ferait jamais cela et des mouches traînaient dans les parages. Belzébuth n’apprécierait sans doute pas.

**

Michael n’avait jamais caché son mépris pour les démons, et son exaspération à l’égard de leur prétendue organisation qui n’en était pas une. Dante avait eu une très belle idée de hiérarchisation des lieux en fonction des crimes commis par l’Homme, afin que les criminels fussent punis à la hauteur de leurs actes. L’Enfer n’avait, en réalité, rien à voir, et ne nourrissait aucunement une telle ambition, même si les âmes avaient de quoi regretter irrémédiablement d’avoir agi de sorte à finir là. Le désordre avait toujours régné en ces lieux ; et la vue qu’exposait la grande ville démoniaque, même à cette distance, l’avait assuré que cet état de fait ne s’était pas amélioré depuis le temps, bien au contraire. Leur dernière excursion n’avait pas remis les idées en place à l’autre abruti.

– Lucifer se laisse complètement aller ! grogna-t-il entre ses dents, sous l’œil attentif d’Uriel qui remonta ses lunettes sur son nez.

Il avait presque envie d’une bonne guerre pour y remettre un peu d’ordre. Là, tout de suite, ce qu’il aimerait surtout, c’était dénicher Lucifer pour le jeter à bas de son trône de pacotille, allumer un feu de joie avec ses eaux-de-vie immondes et lui coller une raclée, rien que pour cela. La vision qu’offrait cette cité chaotique lui était tant pénible qu’il avait l’impression qu’il allait faire de l’urticaire ! Et ils en étaient encore loin. Combien de fois avait-il été tenté d’effacer l’existence de cette immondice ? Si souvent !

Leur Seigneur, dans Sa Grande Miséricorde, était vraiment bon pour tolérer un tel laisser-aller.

Son regard se perdit vers le centre de la ville, à la recherche de la tour du Roi Suprême des Démons. Cela ne prendrait que quelques petites minutes… Près de lui, Uriel fronça les sourcils. Shrapnel, lui, se contenta de scruter les environs et de les analyser avec un air neutre. La grande plaine ne proposait pas grand-chose de plus que des plantes carnivores et des crevettes géantes. Pas de démons à l’horizon.

– Michael… C’est l’Enfer. Ce n’est pas supposé être un Paradis bis.

– Et donc ? En quoi est-ce un prétexte pour faire n’importe quoi ? s’agaça ce dernier, avant de râler : Et n’avons-nous pas dit que nous utiliserions d’autres noms ? C’est un coup à nous faire repérer !

– Non, nous n’avons rien dit de tel, mais ce serait préférable, en effet.

– Bien ! Et vire-moi ces lunettes, tu n’en as même pas besoin.

Quelques secondes s’égrenèrent avant qu’Uriel n’acquiesçât et n’obtempérât. L’objet disparut dans une poche sans fond, presque à regret.

– Toutefois, cela ne change rien au fait que nous n’avons pas le temps de rendre visite au seigneur Lucifer, même si tu en meurs d’envie –

– Quoi ?

Le ton était indigné, comme si Uriel venait de sous-entendre une raison inavouable, plus intime. Michael était devenu paranoïaque sur le sujet depuis qu’il avait entendu quelques rumeurs, qu’il s’était efforcé d’éteindre. Non, ses seuls tête-à-tête avec le Roi des Démons concernaient leurs conflits innombrables ; les seuls contacts qu’il s’autorisait avec lui étaient ses mains sur son cou pour l’étrangler ou pour matraquer sa ‘face de rat’ – même si sa réputation de chef d’œuvre de leur Seigneur n’était pas usurpée, mais il refusait de l’admettre.

– Nous sommes venus ici pour une raison bien précise, notre mission, qui ne consiste pas à cogner le Seigneur de ces lieux jusqu’à ce que guerre s’en suive, rappela Uriel d’un ton patient.

Michael décoléra un peu, légèrement gêné par la remarque. Bien sûr qu’il n’avait pas oublié leur mission. Cela n’aurait été qu’un petit intermède. Un petit intermède qu’il ne pouvait se permettre, cela étant, car l’Enfer tout entier serait en état d’alerte, et eux grillés. Trouver l’ange imbécile et l’artéfact qu’il détenait serait alors tâche impossible. La mission serait un échec.

La mission avant la satisfaction personnelle.

Après, se promit-il.

– Bien sûr que je le sais, et je n’ai pas oublié. Je ne fais que constater.

Bien sûr. Uriel préféra ne pas s’appesantir sur sa mauvaise foi. Conscient qu’il lui faudrait sans cesse surveiller, mais que le problème se poserait surtout une fois qu’ils auraient remis la main sur l’artéfact et l’ange Picarel, s’il était toujours en vie.

Ce qui n’était que très peu probable.


Texte publié par Ploum, 13 octobre 2022 à 15h55
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