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tome 1, Chapitre 39 « Une certaine compagnie (Part 2) » tome 1, Chapitre 39

Seul avantage à ce bref interlude dans sa quête : cela l’avait dégoûté de la nourriture, qu’il fusillait à présent du regard, comme s’il dévisageait de vils serpents. Insectes tentateurs et plateaux enchanteurs ne suscitaient plus, pour l’heure, que son irritation. Comme quoi, la nourriture aussi était capable d’un machiavélisme sans nom, à briser des relations de la sorte !

– Tu n’as pas à t’en faire autant pour lui, intervint Sytry, qui avait remarqué son trouble. Il a l’air de s’être très bien intégré à la table de Belzébuth. Il ne doit plus rester grand-chose d’angélique chez lui. D’ailleurs, je doute qu’il puisse retourner au Paradis ainsi, même s’il le désirait. Michael l’en chasserait sans doute avec des coups de pied au derrière, trop horrifié par ce qu’il est devenu pour supporter sa vue et surtout par l’éventualité qu’il puisse ‘contaminer’ son Paradis chéri.

Picarel ne retint réellement qu’une chose de sa tirade.

— Tu as remarqué qu’il était… ?

— Un ange ? Bien évidemment. Je l’ai compris en le scrutant avec attention. Même s’il a passé du temps ici, ses ailes ne lui ont jamais été retirées officiellement.

Porté disparu et enterré dans l’esprit de tous, cela ne risquait pas.

– Alors il a chuté ?

– Comme la dernière excursion de Michael en Enfer remonte à une certaine époque, il doit être là depuis un sacré moment. Et s’il s’est autant vautré dans le péché de gourmandise depuis, ce que tendrait à confirmer son embonpoint et sa facilité à y retourner… J’imagine qu’on peut dire que c’est tout comme.

Sytry ne lui ferait pas l’affront de lui dire qu’il était désolé, car ce n’était pas le cas. Même pas par satisfaction démoniaque. Seulement, le cas Scalpel l’indifférait.

Picarel retourna à sa déprime, mais Sytry l’en extirpa vite en lui attrapant le bras.

– Par ici, fit-il en désignant, à leur droite, une ouverture qui donnait sur une autre aile. C’est plus rapide pour se rendre aux cuisines.

Les cuisines… ? Picarel se rappela alors Nana et se morigéna, honteux. Sa mémoire était-elle donc si défaillante ? Heureusement que Sytry était là ! Il écarta l’ancien ange de son esprit. Il n’avait pas le temps de s’apitoyer sur son sort.

Il avait une amie à sauver et ne comptait pas l’abandonner aux démons, lui !

**

– Michael… je peux savoir ce que cet ange fait ici ? fit Uriel en rehaussant ses lunettes avant de pointer ledit ange du doigt.

Les deux Archanges s’étaient réunis près des grilles du Paradis, et ils n’y étaient pas seuls. Saint Pierre ne comptait pas, puisqu’il était là pour son travail ; qu’il faisait mal, car Michael venait de le sortir brusquement de son sommeil pour le rabrouer alors qu’il ronflait joyeusement, accolé à une colonne. A présent, il titubait, ivre et mal réveillé, l’air hagard, et les reproches de son supérieur lui passaient au-dessus de la tête. Michael avait dû se résoudre à envoyer quelqu’un se charger de sa tâche ; de nombreuses âmes déambulaient devant le grand portail, perplexes et angoissées. Pas étonnant que des errantes se baladassent ensuite sur Terre, faute d’avoir été réceptionnées dans les temps ! Dans son bâtiment, Saint Joseph râlait, car les couloirs étaient saturés d’esprits en attente.

Hormis cela, les lieux étaient plutôt calmes, du moins de leur côté des grilles. Pas d’ange à l’horizon, si ce n’était celui planté près d’eux comme un piquet, droit, les traits durs et impassibles et la tenue impeccable, sans un seul faux pli. L’ange parfait, selon les critères de Michael – il valait mieux pour lui puisqu’il était sous ses ordres directs. Uriel le trouvait plutôt sinistre, malgré son physique lumineux : les classiques boucles blondes, les yeux bleus sans originalité, le teint clair usuel, une taille gigantesque à refiler des torticolis à leurs vis-à-vis plus petits, des muscles à faire pâlir d’envie un bodybuilder… Un ange guerrier typique. Aussi expressif qu’une armoire à glace. La comparaison prenait un aspect presque concret avec cet individu. Sa présence n’avait aucune explication apparente, d’après les conclusions du Conseil. Cependant, Uriel nourrissait déjà quelques soupçons.

Malgré son statut, Uriel était un ange relativement discret, presque effacé, et peu interventionniste. Plutôt solitaire, aussi. Sa réputation, construite à partir de fausses vérités, de vrais mensonges et d’entre-deux, lui assurait une tranquillité des plus profitables, de même que l’aura de mystère qui demeurait sur ses activités. Il ne changerait cela pour rien au monde. Côtoyer cet ange pendant quelques jours risquait-il de mettre à mal cet état de fait ? Surtout si ce dernier devait le coller comme il le supposait.

Occupé à pester contre Saint Pierre, Michael entendit à peine la question d’Uriel. Il lorgna sur le malheureux remplaçant, amené par un de ses anges, qui faillit faire une syncope devant la catastrophe. Cependant, l’œil incandescent du Prince des Anges l’incita à ne pas tenter de s’esquiver. Il se résigna vite et se lança avec fatalisme, comme poussé à l’échafaud. Tout cela agaça Uriel, en plus du silence obstiné de son compagnon. Il dut se répéter pour qu’il lui prêtât attention.

– L’Ange Shrapnel ? Il vient avec nous, bien entendu.

– Et pour quelle raison ? N’étions-nous pas supposés y aller juste tous les deux ? argua-t-il en s’efforçant de conserver un ton neutre. Il y avait pourtant une bonne raison à cette décision !

Michael se tint immobile, quoique sur ses gardes. Il était rare qu’Uriel protestât contre quelque chose. Il était rare qu’il se sentît suffisamment floué pour cela. Tous préféraient éviter une telle situation. Même Michael était incapable d’évaluer la véracité des rumeurs concernant son homologue. Seul Dieu le pouvait sans doute mais, joueur, il se taisait et laissait ses servants dans l’ignorance. L’Archange trouvait cela particulièrement frustrant.

– Pour te protéger.

Uriel roula des yeux, exaspéré. Et voilà, ils y étaient. Une nounou. La précaution serait essentielle pour un ange aussi crédule que Raphael mais, dans son cas, elle se révélait inutile et stupide. Vexante, même.

– Parce que j’ai besoin de protection ?

– C’est préférable, affirma le Prince avec fermeté. Tu n’es pas un ange guerrier –

– Je ne suis pas faible.

– Tu n’es pas un ange guerrier pour autant. Entre les démons et l’autre crétin, je ne pourrai pas assurer tes arrières tout le temps, surtout si la situation se complique – et ce serait étonnant que ce ne soit pas le cas à un moment ou à un autre.

– Si tu te fais discret et que tu ne nous fais pas remarquer en t’indignant de leurs activités ou d’autre chose, cela devrait aller. Nous ne partons pas pour un séjour de plusieurs semaines.

– Je préfère l’emmener. Et ce n’est pas un troisième individu qui rendra notre groupe beaucoup plus voyant.

Uriel accorda une œillade peu amène à l’ange supplémentaire. Il devait avouer que ce dernier n’était pas des plus remarquables ; il jouait très bien son rôle de tapisserie. Peut-être même trop. Peut-être lui-même en viendrait-il à l’oublier durant leur excursion. Il lui fallait rester vigilant.

Il finit par hausser les épaules, vaincu. La décision revenait à Michael et ce dernier avait déjà tranché.

– Bien, maintenant que nous sommes tombés d’accord…

L’heure n’était plus à la discussion.


Texte publié par Ploum, 12 octobre 2022 à 20h20
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