Le regard de Wolfgang était distant, hanté. Garance devinait que ce récit était douloureux pour lui, mais elle n'osa pas l'interrompre. Il fallait qu’elle sût. Elle était certaine qu’elle ne pourrait pas appréhender la situation à moins de savoir exactement ce que son compagnon redoutait. Pourtant, à la vue de ses épaules basses et de son expression d’une tristesse infinie, la jeune femme se trouva cruelle. Mal à l’aise, elle se raidit.
« Au début, tout était normal, poursuivit le garou sans paraître s’apercevoir de son trouble. Mon frère et moi, nous avons ri de la peur stupide de nos parents. C’était… Ce n’était qu’une forêt, après tout. Des arbres, des buissons, des bestioles, rien d’extraordinaire. »
Il y avait de l’amertume dans sa voix. En voulait-il à l’enfant qu’il avait été de s’être montré imprudent ?
« Mon frère a commencé à avoir un comportement bizarre, au bout d’un moment, continua-t-il. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite, parce que j'étais persuadé d'entendre quelque chose qui m'appelait. Et puis... Et puis, je ne sais pas. Je me souviens que ma sœur s'est mise à pleurer. Je ne sais pas si elle s'est blessée ou si elle voulait juste rentrer à cause du froid. Mais elle pleurait et... »
Il luttait. La gorge de Garance se noua.
« Je crois que c'est à ce moment-là que mon frère a commencé à se transformer. Ça ne lui était jamais arrivé avant et... et à moi non plus. Pourtant, pour la première fois, j'ai senti le loup en moi et il avait envie de sortir. J'étais mort de peur et en même temps j'avais envie de... de tuer quelque chose. Ça m'a paralysé. »
Un lourd instant de silence passa. Aux abords du petit feu de camp que les hussards avaient embrasé, des rires éclatèrent. La chasseresse les trouva obscènes.
« Alors, mon frère s'est transformé pour de bon. Il a... il a sauté sur ma sœur. Elle a hurlé et puis il y a eu ce bruit affreux. Comme lorsqu’on égorge un mouton. Je ne sais pas pourquoi je me suis mis à courir. Quand je me suis arrêté, j'étais près de la maison. J'avais du sang partout. Un loup a hurlé et... je crois que j'ai vomi mes tripes dans l'auge des cochons. Je ne me souviens pas de ce qui s'est passé ensuite. On n'a jamais retrouvé mon frère. Et mon père ne s'est jamais pardonné ce qui était arrivé. »
Wolfgang se frotta les paupières et rejeta sa tête contre le tronc de l'arbre. Des larmes fantômes brillaient au fond de ses yeux.
« Je ne me suis pas transformé, cette nuit-là. J’étais trop jeune, je crois. Mais le loup… le loup, lui, n’est jamais sorti de mon esprit. Il est toujours là. A attendre que je relâche ma vigilance pour prendre le dessus. »
Il secoua la tête.
« Tu sais, parmi les garous, certains pensent que c'est la Pierre aux Loups qui est à l'origine de notre existence. De là viendrait la magie qui nous permet de nous transformer. Mais au fond, nous restons des animaux. Après tout, nous avons toujours besoin de notre peau d’homme pour redevenir humain, jamais l’inverse. Alors je ne sais pas si c'est cette maudite pierre qui se trouve dans les parages, mais en tout cas, il y a quelque chose dans cette forêt qui a rendu fou mon frère. Je ne veux pas que ça m'arrive. »
Une expression de détermination farouche se peignit sur ses traits.
« Toute ma vie, j’ai lutté contre ce loup qu’il y a en moi. Ce n’est pas pour tout ruiner maintenant. »
Garance pinça les lèvres. Elle avait le cœur serré. Tout près d'elle, le corps de son compagnon exsudait la souffrance, mais elle ne savait pas comment l'apaiser. Son impuissance lui laissait un intense sentiment de frustration et de rage au fond de la poitrine. Jamais Wolfgang ne lui avait parlé de cela, auparavant. Jamais il n’avait fait mention des difficultés que sa condition générait. A présent, elle se disait qu’elle aurait du savoir. Qu’elle aurait dû deviner.
Et que cela n’aurait rien changé.
Que pouvait-elle contre le loup ?
« Comment s’appelaient-ils ? » demanda-t-elle simplement.
Wolfgang ferma les yeux.
« Hans et Antonia. »
Sa voix se brisa sur le nom de sa sœur.
« Je n'avais jamais parlé d'eux à qui que ce soit, avant. »
La jeune femme se tortilla de manière à pouvoir s'appuyer contre le torse de son compagnon. La manœuvre s'accompagna d'un vacarme de chaînes qui attira l'attention des hussards sur eux. Garance les fusilla du regard. Contre son dos, elle sentait battre le cœur du garou plus vite qu’à l’accoutumée. Il leva les bras et laissa retomber ses fers sur elle pour l’enlacer.
Ils laissèrent le silence les envelopper, ignorant l’écho des conversations de la soldatesque, un peu plus loin.
« Je sais qu ça ne changera rien, avança la chasseresse au bout d’un long moment, mais je suis désolée. »
Les bras de Wolfgang se refermèrent un peu plus étroitement autour d’elle.
« Ne le sois pas, objecta-t-il. C’est du passé. Je ne veux plus y penser. »
Garance hocha la tête, pensive.
« Et puis, dans mon malheur, je t’ai trouvée. Je ne vois pas ce qui pouvait m’arriver de pire », ajouta le garou dans une vaine tentative d’alléger l’atmosphère.
Sans s’offenser le moins du monde, la jeune femme lui envoya un discret coup de coude dans le flanc.
« Moi aussi je t’aime, idiot. »
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