Il ne fallut pas longtemps à la petite troupe pour être prête à repartir. Les chaînes de Wolfgang et de Garance furent fixées à la selle de leur monture et deux hussards furent chargés de les conduire. Impuissants et rageurs, ils n’eurent pas d’autre choix que de céder.
Le groupe eut tôt fait de passer les murs de Sächen. La lisière de la forêt se dressa alors devant eux. La jeune femme jeta un regard à son compagnon. Le garou regardait droit devant lui, le dos raide, les poings serrés sur le pommeau de sa selle. Une tension sourde se diffusait dans la poitrine de la chasseresse. Les paroles sibyllines et glaçantes de Wolfgang la veille n’y étaient pas pour rien.
La masse sombre de la forêt avait quelque chose de menaçant sous la grisaille du ciel. La jeune femme vit se rapprocher les troncs tordus et les ténèbres du sous-bois avec un sentiment grandissant de danger. Insensibles à leur répugnance, les hussards s’engagèrent sans hésiter sur l’étroit sentier qui s’ouvrait dans le mur végétal.
La pénombre les enveloppa, en même temps que les odeurs d’humus, d’écorce et de champignons décuplées par l’humidité ambiante. Les frondaisons étaient épaisses et laissaient à peine passer un maigre rayon de lumière. En revanche, elles les mirent un peu à l’abri de la pluie.
Tous les sens aux aguets, Garance se dressa sur ses étriers. Les propos sibyllins de Wolfgang avaient infusé en elle une crainte sourde dont elle n’avait pas eu pleinement conscience jusque-là. Son instinct de chasseresse, exacerbé par la certitude d’un danger à venir, renvoyait l’écho du moindre bruit.
Paupières closes, elle écouta la forêt respirer, tâchant de déceler dans la multitude de petits bruits forestiers le grondement inaudible d’une menace. Elle ne perçut aucune perturbation ni hésitation dans le chant des quelques oiseaux qui se cachaient dans les feuillages. Tout était calme.
La jeune femme se retourna. Wolfgang cheminait derrière elle, encadré par deux hussards à l’air rébarbatif. Il se tenait très droit. Son regard parcourait les alentours comme s’il craignait de voir surgir quelque chose des fourrés.
Au bout de quelques instants, cependant, ses épaules se détendirent, presque surprises. Il plongea les yeux dans ceux de Garance. Le soulagement et l’incrédulité qu’ils exprimaient la heurtèrent de plein fouet.
« Tout va bien. Je pensais… Ne t’inquiète pas. Tout va bien », déclara-t-il d’une voix hachée.
La chasseresse se retourna sans rien dire. Les propos du garou ne la rassuraient guère. Sa réaction stupéfaite révélait que, quoi qu’il eût redouté, cela ne s’était pas produit. Elle ne parvenait pas pour autant à faire comme si de rien n’était. Impression rémanente ou sentiment véridique, cette forêt ne lui disait rien qui valût. Même si tous les signaux qu’elle percevait montraient qu’ils n’avaient rien à craindre pour le moment, il y avait quelque chose d’hostile dans la manière dont la sylve semblait se refermer sur eux.
La troupe fit une halte à l’orée d’une petite clairière. La pluie tombait bruyamment sur l’herbe découverte. Quelques hommes s’éloignèrent pour se soulager. Garance profita de ce qu’on la faisait descendre de selle pour interpeller le capitaine Hahn.
« Est-ce que vous savez où vous allez ? »
Le soldat se tourna vers elle avec un regard ennuyé.
« Pour le moment, on suit le sentier. Nous vous dirons quand nous aurons besoin de vous », répondit-il sèchement.
La jeune femme fit une moue boudeuse. Pendant ce temps, un hussard avait profité de sa distraction pour serrer une paire de fers à ses chevilles. Ainsi entravée, elle dut se diriger à petits pas vers un gros rocher où on l’obligea à s’asseoir sous la menace d’une baïonnette. Agacée par ce déploiement de précautions qui mettait un terme définitif à ses espoirs de fuite, Garance planta ses coudes sur ses genoux, sa tête dans ses mains et attendit en rongeant son frein. Un instant plus tard, elle fut rejointe par Wolfgang à qui on avait fait subir le même traitement.
« Comment tu te sens ? demanda-t-elle à son compagnon.
— Normal », répondit-il.
Il n’ajouta rien de plus. La chasseresse se mordit l’intérieur de la joue, réfrénant une envie soudaine de hurler sa frustration. Tout ce mystère commençait à l’irriter. L’ignorance et la tension qu’elle occasionnait influaient sur ses impressions et c’était loin d’être une bonne chose. Si son ressenti était biaisé, elle n’était pas capable de déceler le danger. D’après ce qu’elle savait de cette Pierre aux Loups et du destin qui s’était abattu sur ceux qui l’avaient recherchée, elle aurait besoin de toutes ses capacités.
« Vas-tu te décider à me dire ce que tout ça signifie ? » réclama-t-elle à voix basse en fronçant les sourcils.
Wolfgang jeta un regard aux hussards qui revenaient vers la clairière, tandis que d’autres s’éloignaient à leur tour. Leur gardien céda la place à un autre.
« Pas maintenant », décida-t-il.
Garance plissa les yeux.
« Ne t’avise pas d’oublier. »
Quelques temps après, le capitaine Hahn laissa fuser quelques ordres pour que la troupe se remît en marche. Davantage pour l’ennuyer que parce qu’elle en avait envie, Garance causa un esclandre pour avoir elle aussi le droit de soulager sa vessie. Non sans une expression meurtrière sur le visage, l’officier accéda à sa requête. Elle se retrouva ainsi accroupie derrière un arbre, sous la garde d’un malheureux soldat qui, à l’évidence, aurait préféré se trouver ailleurs.
Son affaire terminée, elle fut délestée de ses fers aux pieds, hissée sur son cheval et l’escadron reprit sa progression. Ils continuèrent de suivre le sentier qui s’enfonçait de plus en plus dans la forêt.
Quelques heures plus tard, ils firent de nouveau une courte pause pour se restaurer des provisions qu’ils avaient emportées mais ce fut dans un mutisme maussade. Les hussards étaient peu loquaces. A l’exception des ordres que Hahn lâchait de temps à autre, le voyage se faisait dans un silence de plomb.
Ils chevauchèrent jusqu’à ce que la nuit tombât et rendît la pénombre du sous-bois impénétrable. Le capitaine Hahn décréta qu’ils allaient faire halte pour prendre un peu de repos. Garance et Wolfgang se retrouvèrent enchaînés au pied d'un sapin, les fers aux chevilles pour décourager toute velléité de fuie nocturne.
Puisqu'ils étaient partis pour rester là un long moment, la jeune femme adressa un regard d'avertissement à son compagnon. Ce dernier soupira.
« Très bien. »
Ils s'adossèrent au tronc du sapin, observant d'un œil distrait les soldats qui préparaient le campement.
« J'ai grandi à Fehrn, un village qui borde la frontière avec la Carménie, commença le jeune homme. Mes parents y avaient une ferme. Mon père était un garou. Il ne s’en est jamais caché devant nous mais je ne l'ai vu se transformer qu'à trois ou quatre reprises et uniquement quand la ferme était menacée. J'avais un frère et une sœur. Nous avions interdiction d'entrer dans la forêt. Nos parents nous avaient dit qu'il arrivait des choses affreuses à ceux qui y pénétraient. »
Le jeune homme baissa les yeux sur ses mains entravées. Elles tremblaient.
« Alors évidemment, un jour, nous y sommes allés. »
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