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tome 1, Chapitre 2 « Wolfgang » tome 1, Chapitre 2

Lorsque Garance émergea du bois dans la clarté argentine de la lune, la tête tranchée du garou dans une main, son coutelas taché de sang dans l’autre, un petit comité d’accueil l’attendait à l’entrée du village. C’étaient des hommes pour l’essentiel, tassés en rang serré comme des moutons apeurés. Tous portaient des torches qui dessinaient un grand cercle de lumière autour d’eux, étirant l’ombre menaçante des armes de fortune qu’ils transportaient.

Ils attendirent dans un silence religieux que la chasseresse s’approchât. Alors, un délire indescriptible s’empara d’eux. La tête lui fut arrachée des mains. Un instant plus tard, la jeune femme la vit plantée au bout d’une pique, surplombant l’assemblée éperdue d’euphorie de ses yeux morts.

Aussitôt que les choses commencèrent à dégénérer, Garance se replia dans un recoin d’ombre, à proximité d’une barrique de bière intacte pour observer sans se compromettre.

En son for intérieur, elle reconnaissait que ce déploiement triomphal de joie rageuse n’était que la conséquence de la terreur que les villageois avaient ressentie. Elle ne les en blâmait pas. Mais la vérité, c’était qu’elle les trouvait plutôt ridicules, à parader dans les rues au beau milieu de la nuit derrière la dépouille mutilée de la bête. Les autres habitants, femmes, enfants, vieillards, tirés de leur lit, se joignirent à eux. La procession se transforma alors en fête de village copieusement arrosée.

Peu désireuse de se joindre aux festivités, la jeune femme se tassa dans un coin avec un soupir et se décida à attendre que l’on se fût assez calmé pour se souvenir de la récompense qu’on lui avait promise.

L'aube blanche pâlissait l'horizon quand une délégation de notables se dirigea enfin vers elle. Certes, ils s'intéressaient bien davantage au tonneau qui lui tenait compagnie qu'à elle-même. Néanmoins, le boucher qui menait le groupe eut le bon goût de ne pas le montrer et de lui tendre une bourse bien rebondie. L’officier du culte expédia un discours de remerciements et tous s'en furent, embarquant le tonneau avec eux.

Pas mécontente de l'échange, Garance soupesa le petit sac de cuir. A l'intérieur, les pièces cliquetèrent les unes contre les autres, un joli son d'abondance qui enchanta ses oreilles. Elle desserra les cordons pour vérifier le contenu et ne fut pas déçue. Satisfaite, elle récupéra ses affaires en toute discrétion, avant de se fondre dans la masse et de disparaître en direction de la forêt. Les échos de la fête accompagnèrent sa retraite jusqu'à ce qu'elle atteignît les bois.  

Là, la jeune femme se laissa envelopper par le silence si particulier du lieu, à l'heure où le jour n'a pas encore éveillé ses habitants diurnes. Garance vit quelques chauves-souris se hâter de rejoindre leur repaire, tandis que résonnait le hululement fatigué d'une chouette.

La jeune femme sourit, sans raison particulière.

A ce moment, une branche craqua sur sa droite. Garance s’immobilisa. Le bruit se reproduisit. Un léger frémissement agita les fourrés. La chasseresse porta la main au manche de son coutelas, fouillant la pénombre du regard. Elle écouta encore, analysant chaque nuance de ces petits bruits qui trahissaient la présence d’un prédateur discret et habile.

Puis…

« Wolfgang, n’essaye pas de me faire peur. Je sais que c’est toi. »

Un grognement se fit entendre. Il y eut un froissement de feuilles. Une masse énorme et poilue bondit souplement par-dessus les buissons pour atterrir juste devant elle, babines retroussées et crocs dévoilés.

Un sourire étira les lèvres de Garance.

« On s’en est tiré comme des rois, déclara-t-elle. Regarde. »

La jeune femme tira de sa besace la bourse que lui avaient donnée les villageois. Elle la lança aux pattes du garou. Le petit sac s’ouvrit, libérant un flot de pièces d’or, d’argent et de bronze rutilant.

Garance s’accroupit. La bête s’approcha, assez près pour qu’elle pût sentir son haleine chaude contre sa peau. Elle enfouit ses mains dans la fourrure épaisse du garou. Du sang séché encroûtait sa bosse au garrot, là où le carreau d’arbalète l’avait atteint. L’animal lui donna un coup de museau dans l’épaule. Déséquilibrée, la jeune femme bascula et atterrit brutalement sur son postérieur.

Le garou lâcha un grognement amusé à son oreille avant de s’éloigner. Il disparut au milieu des buissons et revint avec quelque chose entre les dents. Il s’avança vers Garance qui, entre-temps, avait récupéré son pécule. Le garou lâcha son fardeau sur ses genoux. La jeune femme déploya le paquet que l’animal avait apporté. C’était une peau humaine écorchée, d’un blanc ivoirin souillé de terre et de débris de feuilles. A la manière d’un baluchon, elle dissimulait une paire de culottes brunes, pliée en quatre avec un soin maniaque. A cette vue, Garance sourit. Elle glissa le vêtement dans la boucle de son sac. Puis, elle étala l’enveloppe de peau et en couvrit le garou qui se laissa sagement faire.

Aussitôt, la membrane sembla adhérer à la masse trapue de la bête. Dans une débâcle de craquements d’os répugnants et de torsions de membres, le corps de l’animal se transforma. Il perdit en corpulence ce qu’il gagna en taille. Les muscles s’allongèrent, la tête rapetissa, la mâchoire craqua et rétrécit. Le garou endura la métamorphose en grognant et en grinçant des dents.

Puis tout cessa. Ne resta plus, allongé sur le sol couvert de feuilles mortes, que le corps d’un homme entièrement nu, encore un peu tremblant. La jeune femme se pencha vers lui.

Avant qu’elle ne pût réagir, l’homme avait agrippé le revers de sa veste de chasse et l’avait attirée vers lui. Garance perdit l’équilibre. Son adversaire roula par-dessus elle. Un caillou lui écorcha méchamment les reins. Wolfgang se mit à rire, un son rauque et grave qui ressemblait aux grognements du garou.

« Un prêté pour un rendu, ma chère, ricana-t-il. Tu as failli me tuer tout à l’heure.

— Le mot important, c’est failli, répliqua-t-elle avec un sourire. Tu sais bien que je ne rate jamais ma cible.

— Peut-être, mais tu te laisses surprendre plus facilement qu’avant.Tu vieillis. »

Piquée au vif, Garance se pendit à son cou, crocheta l’une de ses jambes et donna un solide coup de hanche qui lui permit de basculer par-dessus Wolfgang.

« Tu vas voir qui vieillit », gronda-t-elle.

Elle mordilla sa clavicule découverte. Le jeune homme éclata de rire.

« C’est si facile de te faire sortir de tes gonds », se moqua-t-il.

Garance se redressa et croisa les bras.

« Ah oui ? N’empêche, qui vient de nous rendre riches ? »

Le regard translucide de Wolfgang étincela.

« Sans fausse modestie, je dirai bien que c’est moi », répondit-il.

Garance lui assena un coup de poing dans l’épaule.

« Quoi ? répliqua-t-il. J’ai raison, non ? »

De fait, il n’avait pas tort. La chasseresse semblait avoir le beau rôle, mais elle ne faisait que de la figuration. Leur combine, tout bien ficelée qu’elle fût, reposait essentiellement sur Wolfgang et sur une minutieuse préparation.

Lorsqu’ils avaient repéré un village susceptible d’accueillir leur petite mascarade, le jeune homme terrorisait les habitants sous sa forme de garou plusieurs jours durant. Il ne fallait pas longtemps pour que la peur leur fasse perdre tout sens commun. Une fois qu’ils étaient mûrs, Garance entrait en scène.

La taverne était le meilleur endroit pour mener l’affaire. Quelques insinuations bien placées et il lui revenait de devenir l’héroïne de tout le village. Il suffisait ensuite aux deux compagnons de simuler un combat plus ou moins dramatique selon les circonstances. En général, la jeune femme faisait mine d’avoir reçu une blessure quelconque pour donner un peu plus de réalisme à la chose. Un coup de griffes ou de dents n’avait jamais tué personne. Elle revenait alors victorieuse au village, brandissant la tête tranchée du monstre honni pour la donner en pâture aux malheureux éplorés.

En réalité, il ne s’agissait que de la tête d’un loup ordinaire, savamment améliorée par les bons soins de Wolfgang. Garance ignorait comment il faisait, mais ses têtes de garou étaient toujours criantes de vérité. C’était elle qui se chargeait de chasser les loups – tâche autrement plus aisée que de traquer un vrai garou : ceux-là ne se laissaient pas attraper si facilement. Mais lorsque leurs cadavres étaient passés entre les mains de son comparse, ils semblaient cinquante fois plus terrifiants et sanguinaires qu’ils ne l’avaient été de leur vivant. Les gens, en tous cas, n’y voyaient que du feu.

Dès lors, il ne leur restait plus qu’à toucher la récompense que ces braves gens ne manquaient jamais de constituer en ce genre de circonstances… et à déguerpir avant qu’ils ne découvrent le pot aux roses !

« Peut-être, finit-elle par répondre. Ça dépendra de ce que tu comptes faire dans les secondes à venir. »

Wolfgang arqua un sourcil.

« Est-ce à dire que je risque de perdre ma part de gloire si je te demande mon pantalon ?

— Probablement.

— Il fait froid…

— Ah bon ? Je n’avais pas remarqué. Veux-tu que je te réchauffe ? » demanda-t-elle avec innocence.

Le jeune homme fit mine de réfléchir.

« C’est une option intéressante. Après tout, tu as encore un carreau d’arbalète à te faire pardonner. 

— Oh, tais-toi », grogna-t-elle en se penchant pour l’embrasser.


Texte publié par Pixie, 5 février 2020 à 15h51
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