Méfie-toi du loup, mon enfant.
Il te regarde quand au bois, tu vas fredonnant.
Comptine populaire de Magnésie
Depuis le toit de l'auberge, Garance fouillait la nuit du regard. La lune était pleine et baignait le paysage en contrebas d'une luminescence irréelle, tout en étirant des ombres monstrueuses entre les ruelles pavées. Le fond de l'air était froid. La jeune femme avait dû abaisser son capuchon de cuir sur son front pour empêcher la fraîcheur insidieuse de se glisser dans son cou et lui geler les oreilles. Son souffle se condensait en petits nuages blancs devant son visage avant de s'évaporer. Pas un bruit ne se faisait entendre. Les villageois étaient restés cloîtrés chez eux, terrifiés à l'idée que le garou ne vînt arracher leurs enfants jusqu'entre leurs bras. Une réaction qui n'était pas entièrement dénuée de bon sens... Cependant, il y avait fort à parier que par les fentes des volets clos, la plupart des habitants épiait avec fébrilité ce qui se passait dans la nuit claire.
La jeune femme ne tenta pas de réprimer un sourire satisfait. Elle caressa la crosse lustrée de son arbalète avec une lenteur toute charnelle. C’était une arme moderne. Puissante. Quelques instants à peine suffisaient à la réengager. Le carreau était encoché, prêt à cueillir une nouvelle proie.
Il n'y avait plus qu'à attendre que celle-ci se montrât.
En attendant, tout était tranquille, serein. Le parfum de la forêt toute proche, mélange de terre humide, de feuilles en décomposition et de musc animal, était porté par le vent jusqu'à elle. Garance se laissa enivrer. Elle pouvait bien se le permettre : personne ne l'observait sur son perchoir. Et au dire de tous, elle était la meilleure chasseresse de toute la région. Qu'aurait-elle pu redouter ?
La jeune femme modifia légèrement sa position pour éviter de finir ankylosée au moment où elle aurait besoin de toutes ses capacités. Ses pieds bottés crissèrent sur les ardoises en losange du toit. Elle entendit un chat miauler quelque part en dessous d'elle et son ombre hérissée détala dans une venelle noire comme l'au-delà.
Un instant plus tard, le vent tourna, rabattant vers elle les relents de fumée qui s'échappaient des cheminées. La chasseresse pinça les narines.
C'est à ce moment que le loup hurla.
Garance se redressa, tous les sens en alerte. Immobile comme une gargouille, elle attendit. Rien ne bougeait mais l'atmosphère avait changé. Une tension diffuse s'était installée et le corps de Garance l'avait absorbée pour mieux la canaliser.
Une silhouette émergea des ténèbres de la forêt. Plus grosse qu'un loup ordinaire, la créature avançait sur ses quatre pattes, soutenant un trot léger, presque nonchalant. La chasseresse, malgré la distance et la pénombre, put voir jouer les muscles puissants de la bête sous la fourrure noire. Ses yeux comme des billes de jais accrochaient les rayons de lune. La jeune femme fut même certaine de voir luire ses crocs dévoilés. Garance épaula son arme et visa. Le garou ne semblait pas pressé. Joueur, il s'arrêtait, levait son museau formidable et flairait le vent. La jeune femme prit une profonde inspiration avant d'appuyer sur la détente. Chtong ! fit l'arbalète en lâchant son carreau. Le trait fila en sifflant.
La bête fit un bond adroit et évita la flèche de justesse. Cette dernière se ficha dans le sol jusqu'à l'empennage. Le garou leva la tête vers Garance. La jeune femme plissa les yeux. Aussi vite que possible, elle tendit la corde de l'arbalète et rajusta un carreau.
La créature lâcha un nouveau hurlement avant de reprendre son avancée, guère impressionnée. Plus elle se rapprochait, plus la chasseresse pouvait discerner les détails de sa silhouette, la puissante charpente osseuse qui jouait sous la fourrure hirsute, les lignes musculeuses de ses pattes aux griffes démesurées, les crocs longs comme sa main qui dépassaient de la gueule écumante.
Son arme de nouveau opérationnelle, Garance épaula, visa et tira. Cette fois, elle ne rata pas sa cible. Le carreau fusa et se planta dans la bosse qui saillait derrière l'épaule de la bête, à la jonction avec le cou. Le garou hurla de douleur et son cri sembla faire trembler tous le village. Il chercha à atteindre le carreau avec ses pattes. Il ne réussit qu'à l'enfoncer davantage dans sa chair.
Garance entreprit de recharger son arme. Mais avant qu'elle n'en vînt à bout, la bête avait fait volte-face et s'enfuyait en direction des bois.
La chasseresse fit basculer l'arbalète dans son dos et sortit le long coutelas de chasse qu'elle portait à la ceinture. Agilement, Garance descendit du toit. Quand elle eut atteint le sol, elle tourna le regard vers la forêt. Le garou n'était visible nulle part. Sa lame à la main, la jeune femme se lança à sa poursuite.
A l'orée du bois, elle ne marqua pas la moindre hésitation et s'enfonça entre les arbres.
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