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tome 1, Chapitre 30 « La Vengeance du Roi Sálarhaushung » tome 1, Chapitre 30

Joyeuse, Ævintýri courait et s’enfonçait toujours plus loin dans le labyrinthe de pierre. Parfois, elle trébuchait et alors elle riait ; et son rire ressemblait aux tintements de sa boucle d’oreille, qu’il portait au bout de sa chaîne. De rues en ruelles, d’obscurs boyaux en lumineux sentiers, elle folâtrait, enfantine et ravie, au milieu des recoins oubliés de la ville. Abandonnées, les maisons croulaient, soupiraient, s’assoupissaient, en même temps qu’elles servaient de refuge à faune dont il n’entrapercevait que les fantômes, comme si elle aussi subissait l’influence néfaste de ce souverain à l’étrange dessein. Pourtant, Ævintýri ne semblait pas inquiète et, le sourire aux lèvres, poursuivait son chemin ; Stjörkug à quelques pas en arrière. Soudain, alors qu’elle franchissait une barricade, elle s’arrêta nette au seuil d’une porte et lui intima le silence, un doigt sur les lèvres.

— C’est là l’entrée d’un passage qui nous conduira tout droit au cabinet du secrétaire particulier de mon père. Nous pourrons ainsi nous rendre à la salle du trône sans crainte d’être vu ou entendu.

Stjörkug acquiesça. Mais alors qu’il s’apprêtait à déplacer le lourd panneau de bois, Ævintýri l’avait précédé et l’invitait déjà à le suivre. Surpris, il le repoussa, non sans difficulté, puis attrapa la main blanche qui flottait dans l’obscurité. Cependant que ses doigts se refermaient sur les siens, il ne put réprimer un violent frisson, à l’étonnement de sa compagne.

— Que vous arrive-t-il ? Auriez-vous peur du noir ?

— Euh… ce… seulement un courant d’air, mentit-il, peu heureux de travestir ainsi la vérité.

— Ah ?

Mais elle n’insista pas, au grand soulagement de Stjörkug, et s’enfonça sans hâte dans les épaisses ténèbres. Nyctalope, Stjörkug l’observait ; sa démarche souple et son pas sûr trahissaient sa parfaite connaissance des lieux. Qu’en de nombreuses occasions, elle avait dû emprunter ce sentier d’évasion ! Perdu dans ses pensées, il manqua de peu de la bousculer, alors qu’elle s’était arrêtée au niveau d’une muraille, où était incrusté un judas de fer. Penchée dessus, elle scrutait avec attention l’intérieur de ce qu’il devinait être le cabinet du secrétaire.

— Sornbjörg est encore dans son bureau. Nous devions attendre qu’il sorte, avant d’y pénétrer à notre tour. Cela ne tardera plus.

Assis sur le sol en terre battue, Stjörkug réprimait toutes les émotions, tous les mots qui envahissaient son esprit. Appréhendait-il la confrontation ? Sand doute, eut-elle été différente s’il n’y avait eu elle, elle et les étranges sentiments qui étaient nés dans son cœur dépourvu de profondeur. À ses oreilles, la boucle tintinnabulait, des notes pures et cristallines qui résonnaient dans la noirceur des lieux. Les yeux fermés, il retenait les larmes qui menaçaient de se déverser.

— Stjörkug ! l’appela soudain Ævintýri. Dépêchez-vous ! Le voici qui s’en va !

L’instant d’après, ils évoluaient derrière un lourd rideau, avant de se glisser dans un étroit cagibi, puis de se faufiler auprès d’une porte dérobée qui les mena jusqu’à la salle du trône. Dissimulés par un panneau de bois, ils étaient spectateurs de la fureur d’un souverain.

— Comment ! Vous me rapportez que ma fille est en ville ! Escorté qui plus est par cette merdaille, ce putereau que vous aviez ordre d’arrêter ! Maintenant, vous osez me dire qu’ils se sont enfuis ! Qu’ils ont disparu ! Ah ! J’ignore ce qui me retient ! Déguerpissez, misérables ! Et ramenez-les moi avant les vêpres, ou bien c’est votre tête qui se retrouvera sur le billot.

Au brusque silence se succéda un bruit de cavalcade, puis Sálarhaushung reprit d’une voix plus calme :

— Quant à vous, Fyrskhugi, prêtresse de Skuggá, soyez assurée que je saurai vous récompenser de vos services.

Mais il n’acheva pas sa phrase, que la porte s’ouvrait, cependant que s’avançait Ævintýri, suivie de Stjörkug.

— Toi ! rugit le souverain. Tu as osé porter la main sur ma fille, la chose la plus précieuse à mes yeux. Tu vas répondre de tes actes, fot-en-cul !

— Père ! se récria Ævintýri. J’ignore de quelle nature vos allusions. Sachez seulement que ce jeune homme avait ordre de m’escorter, jusqu’à ce que vos gardes tentent de nous arrêter.

— Ma fille, rétorqua-t-il, glacial. Je vous prierai de bien vouloir regagner votre chambre ; nous aurons à discuter. Ne me faites pas regretter ma clémence. Quant à ce jeune homme… qu’on le jette au cachot ; il sera exécuté demain.

— Mais pourquoi père ? Au nom d’une vieille prophétie à laquelle vous ne croyez même pas ?

— Il suffit, Ævintýri. Nous discuterons de tout cela plus tard. Fyrskhugi, veuillez la raccompagner à sa chambre, je vous prie.

Résignée, elle suivit de mauvaise grâce la sœur encapuchonnée, tandis qu’une demi-douzaine de gardes menaçaient Stjörkug de leurs épées.

— Alors tu ne te défends pas ! Tu ne protestes pas !

Silencieux, il soutenait le regard enragé du souverain.

— Explique-toi ! Il y a plusieurs jours de cela, tu viens te rendre, puis tu t’évades. Peu après, j’apprends qu’un monstre, le Drekvöld, notre soi-disant protecteur enlève ma fille du temple de Skuggá. Une coïncidence ? Je ne puis le croire !

Semblable à un fauve, il lui tournait autour, mauvais.

— Réponds ! rugit-il. Pourquoi est-ce que je vous retrouve ensemble ? Tu l’escortes ! La belle affaire ! Avoue !

Mais Stjörkug ne bronchait pas ; aucun son ne franchissait ses lèvres.

— Bien ! Bien ! Je pensais t’offrir un sursis, mais j’ai changé d’avis. Ta mise à mort aura lieu ce soit, sous les fenêtres de la chambre de ma fille. Et c’est nous-mêmes qui procéderons à ton exécution.

Mutique, Stjörkug soutenait toujours le regard noir de son bourreau.

— Ah ! Hors de ma vue ! Qu’il disparaisse ! Qu’on l’apprête et qu’il soit dans une heure dans les jardins, la tête posée sur le billot.

Droit, il suivit la troupe qui le mena hors de la salle du trône jusqu’à une pièce dénudée, où il fut assis sur une chaise. En face de lui, un homme à la figure dissimulée par une capuche noire le déshabilla avant de lui tendre un ensemble en lin, qu’il déclina d’un hochement de tête.

— Je ne triche jamais et c’est à mains nues que je mettrai à terme la tyrannie, lâcha-t-il, comme le bourreau le couvrait de chaînes.

Pour toute réponse, il lui ordonna de se lever et de le suivre. Dressée devant lui, la silhouette imposante de son tourmenteur se déplaçait à la manière d’un automate, dont une présence invisible remonterait le mécanisme à intervalles réguliers. Ils marchèrent ainsi un long moment, avant de déboucher un corridor au bout duquel il apercevait une porte ouverte sur un hiver vespéral. Au milieu d’un massif enneigé, on avait apprêté un énorme billot ; fût de chêne écorcé et ensanglanté. À côté, une hache gigantesque entre les mains, Sálarhaushung attendait. Mais alors que Stjörkug cheminait, une exclamation étouffée jaillit des hauteurs.

— Silence, putarelle ! gronda-t-il. Je ne vous ai pas appris à vous conduire de cette manière que je sache.

— Quant à vous ! lança-t-il en direction du bourreau. Retirez-vous.

Solennel, il s’inclina, puis disparut, cependant que Stjörkug s’avançait sans qu’il ne l’y ait invité.


Texte publié par Diogene, 5 mars 2020 à 07h40
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