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tome 1, Chapitre 29 « La Colère d’Ævintýri » tome 1, Chapitre 29

Stjörkug lui avait passé sa lourde veste. Malgré tout, il ne paraissait pas souffrir du froid, alors même que de violentes bourrasques surgissaient par moment. Ainsi chaussés, ils marchaient d’un pas alerte au travers d’un paysage pris dans les glaces ; nul doute qu’ils arriveraient bientôt. Déjà, ils apercevaient la rivière, dont les eaux gelées donnaient à voir un spectacle de toute beauté. Agenouillé sur la berge, Stjörkug lui avait proposé de s’arrêter le temps de manger. Penché sur les flots tumultueux qui glissaient sous mince pellicule solidifiée, il tendit la main en direction de son reflet.

— Enfant ! Enfant des Miroirs ! Viens à moi, car j’ai besoin de toi, murmura-t-il.

Mais le seul bruit chaotique des eaux lui répondit. Absorbé dans sa contemplation, il ne remarqua pas la figure chafouine d’ Ævintýri, au-dessus de son épaule. Lorsqu’il se releva, elle lui tournait le dos, assise sur une souche qu’elle avait époussetée. Sans un mot, il s’avança et lui tendit un morceau de viande fumée et quelques baies, qu’il avait ramassées auparavant.

— Stjörkug, pourquoi semblez-vous si triste ? Jamais vous ne fuyez quand vos yeux se posent sur ma personne, alors même qu’ils expriment le contraire.

— Sans doute, parce que vous éveillez en moi les échos d’un passé douloureux. Cependant, je ne désire pas vous entretenir d’événements de mon enfance. Le Drekvöld m’a confié une mission : vous conduire saine et sauve, jusque chez votre père, et je l’honorerai.

— Si vous le dites. Je saurai m’en contenter, marmonna-t-elle en avalant un nouveau morceau.

Stjörkug n’ajouta rien, malgré le malaise qui croissait en lui. Dans sa bouche, les baies relâchaient un jus sucré et acidulé, en forme de souvenirs d’une certaine nuit.

— Dame Ævintýri, vous me trouvez mélancolique et je vous en ai donné les raisons. À présent, répondez-moi. Pourquoi le Drekvöld vous a-t-il enlevé à votre père ?

Outrée, elle le foudroya d’un regard noir, cependant qu’il n’en prenait aucun ombrage.

— Peuh ! Je n’ai compris goutte à ses explications. Il m’a fait mention d’un pacte qui le lierait lui à ma famille, qui aurait été violé par mon père. J’étais au couvent de Skuggá, où je recevais l’enseignement des sœurs, lorsqu’il s’en vint et exigea que je le suive. J’ignore pourquoi il me libéra hier. Néanmoins, je n’en suis guère fâché, je n’aurai pas supporté de passer un jour de plus dans cette soue. Êtes-vous satisfait, Stjörkug ?

— Je le suis.

Les yeux étrécis, il fixait son reflet dans la rivière.

— Finissez donc votre repas, nous reprendrons notre route ensuite, ajouta-t-il d’une voix sombre.

— Comme vous voudrez, répliqua-t-elle d’un ton acide, alors qu’un vent violent se levait.

La dernière bouchée engloutie, elle repoussa une mèche de cheveux que la bise avait rabattue sur son front. Debout, Stjörkug, tourné vers la cité radieuse, l’attendait, stoïque.

Côte à côte, sans échanger la moindre parole, le moindre regard, ils marchèrent au travers de la forêt jusqu’au flanc de la colline qui surplombait la ville. Ævintýri poursuivait sa route, quand elle s’arrêta, soudain décontenancée.

— Pourquoi ne me suivez-vous pas ? Ne vous êtes vous pas engagé à me conduire jusqu’à mon père ? s’étonna-t-elle.

— Si…

Ses doigts enserrèrent encore plus violemment le bâton sur lequel il s’appuyait. Il ne doutait pas qu’il ne serait pas le bienvenu, pas plus qu’il ne saurait être retenu. Implacable, la roue du destin le poussait dans une direction à laquelle il se refusait. En contrebas, Ævintýri s’impatientait ; à contrecœur, il reprit sa marche. Sur le chemin, ils se mêlèrent à une colonne de marchands venus, sans doute à l’occasion d’une foire, et pénétrèrent sans encombre dans la ville. Bien que fort peu vêtu, Stjörkug s’étonna de ne pas susciter plus de réactions, toutefois, peu de soldats circulaient dans les rues. Cependant qu’il poursuivait leur course dans le dédale de pierres, une voix, soudain, rugit :

— Au nom du roi, je vous arrête !

Aussi haut que large, l’homme qui s’était ainsi adressé à lui avait le teint rouge et le regard noir.

— Résiste et nous t’exécuterons sur-le-champ, grinça-t-il.

— Que signifie, soldat ! s’interposa Ævintýri, avant que Stjörkug ait pu prendre la parole.

— Écartez-vous, mademoiselle ! répliqua-t-il. Nous avons ordre d’appréhender toute personne correspondant au signalement de l’homme qui vous accompagne. Maintenant, je vous ordonne de vous écarter, que nous le convoyons jusqu’à sa cellule.

— Et moi ! Je vous dis qu’il ne se passera rien de tel. Cet homme m’escortera jusque chez mon père et il en sera ainsi, rétorqua-t-elle, glaciale, les poings sur les hanches et la tête haute.

— Arrêta-la, soldat ! Je n’ai que faire de vos jérémiades !

Le visage dur, Ævintýri planta ses yeux étincelants de colère dans les siens. Incapable de le soutenir, il recula.

— Apprenez que je suis la fille du roi Sálarhaushung, la princesse Ævintýri et, encore une fois, cet homme m’accompagnera ! Me suis-je bien fait comprendre, capitaine ? poursuivit-elle comme elle découvrait sa figure.

Blême, l’homme d’armes tremblait de tout son être. Agenouillé, il n’osait plus croiser le regard terrible de la jeune femme. Derrière lui, ses hommes s’étaient, eux aussi, prosternés.

— Veui… veuillez nous pardonner.

Mais, ils s’étaient déjà enfuis et étaient hors de vue, mêles à la foule bigarrée qui envahissaient la cité.

— Ævintýri, pourquoi lui avoir opposé votre refus ? Je me serai rendu sans résister.

Furieuse, elle s’arrêta nette au milieu d’une rue encombrée par les chariots et les échoppes des artisans. Sans mot dire, elle lui saisit alors la main et l’entraîna dans une impasse obscure.

— Et moi je ne vous comprends pas Stjörkug ! Vous êtes l’émissaire du Drekvöld ! Pourtant vous semblez si lointain, effacé, détaché ! S’emporta-t-elle. Est-ce ainsi que se comporte quelqu’un investi d’une si importante mission ? Où est donc votre noblesse, votre grandeur d’âme ? Un simple soldat, fut-il capitaine, ne saurait être un obstacle !

Sa main avait volé, sans bruit, soudaine, brutale.

Amer, Stjörkug ne l’écoutait que d’une oreille distraite. Amer, il l’était, car il percevait les échos de cette colère, de cette rage bouillonnante et libératrice qui l’avait conduite à s’élever au-dessus de sa condition et à défier son père.

— Ævintýri ! Accablez-moi, si vous le souhaitez. Mais ce n’est ni par goût du drame, ou par lâcheté que j’agis ainsi, rétorqua-t-il d’une voix sourde, coupant court à sa diatribe.

Les yeux plongés dans le vide, il demeura silencieux quelques secondes, puis se reprit :

— Il se murmure dans votre royaume une légende à propos d’un homme qui apparaîtra de nulle part ; il renversera le tyran et sauvera la cité, car il saurait apaiser la colère du Drekvöld.

— Et en quoi cela nous concernerait-il ? Nous n’accordons aucune importance, ni moi ni mon père, à toutes ces superstitions. Certes, le Drekvöld existe, puisque je l’ai rencontré. Cependant, mon père règne toujours et son courroux ne s’est jamais abattu sur quiconque.

— Peut-être parce que je suis parvenu à calmer sa juste colère, soupira Stjörkug.

— Vous ! ricana Ævintýri. Un pleutre comme vous !

Soudain, la figure de Stjörkug s’éclaira d’un sourire, obscurci par la mélancolie et la tristesse.

— Qui sait. L’histoire ajoute que cet homme aura un cœur confectionné d’or, son ombre sera d’argent et son visage d’airain. Ce cœur fut mien, de même que cette ombre, seul son visage demeure mien. Votre père ne croit pas aux contes et légendes, pourtant il me craint, au point d’ordonner ma capture par ses gardes les plus féroces.

Ævintýri le considérait avec circonspection ; sa fureur s’était évanouie et ses traits semblaient apaisés.

— J’entends votre histoire singulière et mon père n’enverrait pas ses meilleurs hommes vous mettre en prison sans d’excellentes raisons, même si elles me paraissent fort obscures. Néanmoins, je vous apporterai mon aide. Il nous sera impossible de rejoindre le palais par les remparts et, malgré tout le poids de mon autorité, je ne doute pas que nous serions aussitôt arrêtés et jetés au cachot. Toutefois, je connais bien mieux ce château que quiconque, dont les nombreux passages qui permettent de s’en évader au nez et à la barbe de tous.

Tout sourire, elle lui attrapa alors le bras et l’emmena à sa suite.


Texte publié par Diogene, 5 mars 2020 à 07h39
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