Pourquoi vous inscrire ?
«
»
tome 1, Chapitre 13 « Les Vœux d’Ævintýri » tome 1, Chapitre 13

Dans la clairière, l’homme ne bougeait plus ; aux aguets, il tentait de deviner la position de sa proie. Toujours dissimulé dans la souche, Stjörkug retenait son souffle, cependant que l’éclat de noir, chauffé à blanc, brûlait sa chair. Incapable d’en supporter davantage, il l’arracha puis le jeta à terre. Aussitôt, une brume ténébreuse l’enveloppa, puis se répandit dans la trouée où elle étouffa toute lumière. À sa grande surprise, Stjörkug n’en était nullement gêné, nyctalope, il voyait l’homme errer, pris au dépourvu par la soudaine obscurité ; n’avançant que de quelques pas à la fois. En outre, aucun son ne semblait devoir émerger de la noirceur, les bruits, les chants, plus rien ne lui parvenait. Avec prudence, il sortit de sa cachette puis se rapprocha de son agresseur. Cependant, celui-ci tenait toujours sa dague entre ses doigts et n’en demeurait pas moins dangereux. Toutefois, à mesure que le temps passait, l’homme paraissait s’agiter de plus en plus. Hagard, ses yeux roulaient dans ses orbites et d’entre ses lèvres, grandes ouvertes, ne jaillissait que des cris muets. Fou de terreur, sa lame était tombée sur le sol et il rampait par terre, allant jusqu’à mâchonner les feuilles mortes et les racines qui affleuraient. Mesuré, Stjörkug s’avança en direction de la silhouette en proie à des cauchemars qu’elle seule pouvait voir. D’un coup de pied, il éloigna, par précaution, sa dague qui gisait dans l’humus, puis fourra dans sa bouche une poignée d’inflorescence séchée de coquelicots et de pavots. Bientôt, il fut aussi mou qu’une poupée de chiffon. Assuré qu’il ne présentait plus de danger, il ramassa l’arme, ainsi que son pendentif demeuré à l’intérieur de la souche. Quand il ressortit, la noirceur avait disparu et le soleil poursuivait sa course vers le zénith ; au milieu de la clairière, son adversaire ronflait. Preste, il le chargea sur son épaule, puis le ramena jusqu’à la cabane. D’un regard par la fenêtre, il aperçut Ævintýri, toujours assoupie dans le lit. Circonspect, il assit l’homme le long du mur et le fixa un moment. Il se souvint alors qu’Andlitslaus possédait un jeu de fers, dont il s’était jadis servi pendant l’épidémie. Par précaution, il le déshabilla puis, calé contre le tronc d’un hêtre, lui passa un bandeau sur les yeux ; un simple pagne en lin voilait son intimité. Assuré qu’il ne présentait aucun danger, Stjörkug s’éclipsa un instant et revint ensuite, portant entre ses bras de lourdes chaînes, et l’entrava. Il demeura encore auprès de lui quelques minutes, puis se retira. Lorsqu’il entra dans la maisonnée, Ævintýri dormait toujours à poings fermés. Soulagé, il ranima le feu et, quand l’eau dans le chaudron fut chaude, il y jeta le faisan. Quelques secondes plus tard, il le sortit et commença à le plumer, cependant que la jeune femme entrouvrait les yeux.

— Comment vous sentez-vous ? s’enquit-il.

Accoudée sur le matelas, elle semblait plus sereine et son visage s’illuminait.

— Mieux, je pense, soupira-t-elle. Mais que nous préparez-vous ?

Stjörkug s’apprêtait à lui répondre, quand un grognement suivi d’un épouvantable bruit de chaînes l’interrompit.

— Veuillez me pardonner ! Je reviens tout de suite ! s’exclama-t-il, avant de disparaître.

A l’extérieur, les cris redoublaient, de même que les claquements des fers qui s’entrechoquaient. Quelques minutes plus tard, le calme régnait à nouveau et Stjörkug réapparaissait.

— M’expliquerez-vous ce mystère, Stjörkug ? Quels sont ces bruits qui résonnaient dehors ?

— Il n’y a aucun mystère. Alors que j’étais sur le chemin du retour, j’ai ressenti une étrange présence dans la forêt. Bien qu’incapable de le voir ou l’entendre, je réussis, par ruse à le capturer ; arrivé ici, je l’ai attaché au tronc d’un hêtre. Si j’en juge par ses armes, c’est un mercenaire, n’est-ce pas ?

— Que dites-vous ? Où est-il ? s’alarma-t-elle, soudain blême.

— Je vous l’ai expliqué, dehors, nu, les yeux bandés, enchaîné au tronc d’un hêtre ; il ne peut fuir.

En entendant ses paroles, sa figure s’empourpra et son souffle s’apaisa.

— Vous… vous m’en voyez soulagé.

Inquiet, Stjörkug demeura silencieux, puis attrapa sa gibecière et en sortit la terrible lame.

— Ævintýri, sauriez-vous identifier ces armoiries ? Je doute que son visage vous soit familier. De plus, dans votre état, cela ne serait, en aucune manière, raisonnable.

D’un hochement de tête, elle acquiesça. Mais, à peine l’avait-elle aperçu, qu’elle poussa un cri d’effroi :

— Stjörkug ! Je vous en conjure ! Balancez cette horreur dans les flammes !

Aussitôt, le jeune homme la jeta au milieu du feu d’où s’éleva un large panache de fumée à l’odeur fétide.

— C’est… c’est une lame dauði, une lame de mort.

— Alors, je doute qu’il parle.

Ævintýri esquissa un pâle sourire

— Vous avez raison. Ces hommes prêtent serment ; ce sont des fanatiques. Qu’ils soient capturés et ils se tranchent la langue, ou s’empalent sur leur dague. Je m’étonne qu’il soit encore en vie.

— Sans doute, mais son esprit… murmura-t-il, d’un air sombre. Cependant, je doute qu’il n’en vînt pas d’autres.

Par l’embrasure de la fenêtre, il apercevait la silhouette apathique du mercenaire, la tête penchée mollement sur le côté ; pantin désarticulé. Dans l’être, l’âcre fumée s’était dispersée et l’abominable odeur avait disparu. Silencieuse, Ævintýri fixait le mur où était suspendue une vieille besace, ainsi d’antiques outils de fer.

— Vous supposez bien, Stjörkug. Jamais mon père n’acceptera que je creuse mon propre sillon, que je trace ma propre route et il enverra autant d’hommes que nécessaire pour me ramener, de gré ou de force.

Les paroles de la jeune femme résonnaient d’une manière étrange dans ce cœur qu’un dragon, que d’aucuns qualifiaient de fléau, lui avait remis ; singulière créature en vérité, car ses adversaires n’avaient affronté en réalité que leurs ténèbres.

— Que vous arriverait-il si votre âme était corrompue ? Vous renierait-il ?

— Hélas ! Hélas ! Peu lui en importerait, en vérité. Que je sois sorcière ou qu’un démon me possède, ma vie seule a de la valeur à ses yeux, riposta-t-elle, amère.

Stjörkug s’était emparé d’une broche et l’avait enfilée dans la gorge du faisan. Troublé, il le tournait au-dessus des braises, d’une geste mécanique.

— Pardonnez-moi cette question impromptue, Ævintýri. Mais à combien de jours se trouve le royaume de votre père ?

Étonnée, la jeune femme se pencha vers lui. Son visage, émaillé, étincelait de mille feux, comme il renvoyait les échos lumineux dans le foyer ; il paraissait si lointain, si inaccessible ; un prince retenu prisonnier dans une tour d’ivoire.

— Pourquoi vous excusez-vous ? J’ai galopé cinq jours durant, ne m’arrêtant que lorsque le sommeil avait raison de moi ou que ma jument me le réclamait.

Mais Stjörkug ne répondait pas ; ses gestes étaient ceux d’un automate et son esprit l’avait quitté.

— À quoi pensez-vous, Stjörkug ?

Des larmes roulaient le long de ses joues, puis s’écrasaient sur le sol en pierre, où elles grésillaient, puis s’évaporaient.

— Rien… En fait, rien… Je ne suis qu’un humble bûcheron, je n’ai rien d’un guerrier ou d’un prince.

— Stjörkug ! Ne vous flagellez pas ainsi. C’est inutile. Ni vous ni moi ne sommes des héros. J’ai voulu fuir le destin que l’on avait tracé pour moi et j’ai échoué. À présent que vous m’avez recueillie et soignée, ne gâchez donc pas ce moment. Je rédigerai un mot que vous attacherez à la personne de ce mercenaire que vous avez enchaîné. Ainsi vous n’aurez qu’à le reconduire au village le plus proche , où vous demanderez qu’il soit ramené jusqu’à la cité de Nowendörm ; je vous remettrai de l’or.

Il n’osait pas croiser le regard de la jeune femme. Il avait le sentiment confus d’avoir fui. Mais il ignorait qui, de même que les raisons qui l’y avaient contraint. Sur la broche, la bête achevait de dorer. D’un geste souple, il la détacha puis la servit accompagné des baies, qu’il avait récoltées dans les bois. Son repas fini, Ævintýri s’était presque aussitôt endormie. Silencieux, Stjörkug la contempla un long moment, puis la borda.


Texte publié par Diogene, 18 février 2020 à 08h57
© tous droits réservés.
«
»
tome 1, Chapitre 13 « Les Vœux d’Ævintýri » tome 1, Chapitre 13
LeConteur.fr Qui sommes-nous ? Nous contacter Statistiques
Découvrir
Romans & nouvelles
Fanfictions & oneshot
Poèmes
Foire aux questions
Présentation & Mentions légales
Conditions Générales d'Utilisation
Partenaires
Nous contacter
Espace professionnels
Un bug à signaler ?
2836 histoires publiées
1285 membres inscrits
Notre membre le plus récent est Fred37
LeConteur.fr 2013-2024 © Tous droits réservés