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tome 1, Chapitre 11 « L’Effroi d’Ævintýri » tome 1, Chapitre 11

Le lendemain matin, alors que les premiers rayons de l’aube perçaient l’atmosphère saturé d’humidité, Stjörkug et Ævintýri sommeillait toujours, prisonniers d’un rêve qui n’appartenait qu’à eux-mêmes. Plus tard, ils s’éveillèrent et déjeunèrent de peu, cependant que le vent chassait les derniers lambeaux de brume. Pas plus qu’ils n’avaient, au cours du repas, échangés la moindre paroles, ils quittèrent la maisonnée en silence. Dehors, la jument ne s’était pas éloignée la clairière et, malgré l’orage, elle avait trouvé refuge sous l’abri à bûches. Troublée, Ævintýri s’approcha d’elle et lui flatta l’encolure, puis se retourna vers Stjörkug, adossé à sa charrette à bras.

— Nous pouvons partir, soupira-t-il. À moins que…

— Quelque chose vous inquiète, messire ?

— Non ! Surtout pas ! Et maintenant, veuillez me conduire, je vous prie, rétorqua-t-il d’un ton qui n’admettait aucune réplique.

Malgré la rudesse et l’agressivité soudaine de ses paroles, Stjörkug ne broncha pas et s’engagea sur le chemin qui les mènerait à la rivière, puis à la tanière du Drekung, ainsi qu’il le nommait. Sur les rives, tout était demeuré à l’identique ; la désolation régnait et des nuées d’ailes noires s’abattaient sur les restes du charnier. Ils marchèrent jusqu’au gué, puis à la grotte effondrée.

— Nous y voici, messire. C’est là qu’un soir, je vis s’envoler une ombre gigantesque, après que les grondements venus de la montagne m’eurent tiré de mon sommeil.

Désemparé, le chevalier s’était avancé et frappait du poing les roches qui scellaient l’entrée.

— Non ! Non ! hurlait-il, outragé ; ses coups redoublaient de violence. Cela ne se peut !

— Toi ! Oui, toi ! s’écria-t-il ; un regard noir posé sur Stjörkug, impassible. Aide-moi à dégager ces pierres ! Je dois voir !

— Enfin ! s’exclame Stjörkug. C’est pure folie ! Vous allez vous blesser ! Nul homme ne saurait être assez fort pour n’en déplacer, ne serait-ce qu’une seule. Pardonnez-moi ! Mais, pourquoi tenez-vous tant à vous rendre à l’intérieur ?

— Rien qui ne vous concerne, bûcheron ! rétorqua-t-il, tandis qu’il tentait de déloger l’une des plus grosses.

Mais, à peine l’avait-il effleuré qu’une autre se détacha et la frappa à la tête. Vif, Stjörkug bondit et l’écarta tandis qu’une nuée de roches dévalait la pente. Du sang maculait sa figure et souillait sa chevelure. Penché sur lui, il écouta le cœur qui battait encore, cependant que son visage avait la couleur du marbre. Ne pouvant l’abandonner à son sort et s’en revenir avec sa charrette, il confectionna en toute hâte une civière de fortune, avec les branchages qui traînaient un peu partout, puis le coucha dessus. De retour à la cabane, il l’allongea dans son lit. Mais alors qu’il le portait entre ses bras, un pan de sa chemise s’accrocha dans un vieux crochet et se déchira, révélant sa poitrine. Troublé par cette soudaine vision, Stjörkug demeura un instant interdit. Puis, après l’avoir bordée, il se dépêcha de ranimer le feu afin de réchauffer au plus vite de l’eau. Soigneux, il ôta avec délicatesse le bonnet, découvrant des cheveux aile de corbeau poisseux de sang ; au-dessus une large plaie dévoilait un os couleur ivoire. Fort heureusement, la blessure semblait plus spectaculaire que grave. À l’aide de mousse, ainsi que le lui avait enseigné Andlitslaus, il arrêta l’hémorragie, puis déposa sur la béance d’un cataplasme de plantes qu’il avait préalablement mâchées. Bien sûr, il lui faudrait très certainement recoudre le lambeau de peau, à moins que son pansement ne suffise. Tenu par des cordeaux de lin, la compresse ne bougerait pas et il commença à lui nettoyer le visage. Gêné, il s’efforçait de ne pas la regarder et, lorsqu’enfin il l’eut achevé, il s’en alla préparer quelques infusions dont il possédait le secret. De temps à autre, il l’entendait gémir ; il cessait ses activités et s’asseyait à côté d’elle et l’écoutait. Quand la tisane fut prête, il lui en versa quelques gorgées entre les lèvres qui l’apaisèrent, avant de la plonger dans un profond sommeil. Par précaution, il lui lia les poignets à des pierres posées sur le sol, afin de l’empêcher de les porter à sa tête à son réveil. La journée passée, puis le ciel se para de couleurs vespérales et enfin la nuit s’en vint. Dans le lit, Ævintýri dormait à poings fermés et, cependant que l’obscurité déployait ses rets, Stjörkug veillait. Quelques fois, il se levait, une vieille couverture jetée sur les épaules, pour maintenir le feu en vie. Ævintýri avait entrouvert les paupières et l’avait aperçu qui s’affairait auprès du foyer, mais elle n’avait rien dit. Sa tête était bien trop douloureuse et son corps bien trop faible pour exiger de lui le moindre effort.

Le lendemain matin, alors que les ténèbres cédaient aux assauts des premiers rayons de l’aube, Ævintýri sentit quelque chose de lourd pesé sur son ventre. Vaincu par la fatigue, Stjörkug s’était assoupi et il avait glissé sur le lit. La tête endolorie et les bras entravés, Ævintýri s’était essayée à se redresser, avant de se caler contre le mur tapissé de peaux, attendant son réveil.

— Bonjour Stjörkug, murmura-t-elle lorsqu’il ouvrit enfin les yeux.

Les paupières encore bouffies par le sommeil, il rougit violemment quand il découvrit le buste dénudé Ævintýri qui le fixait avec le plus grand étonnement.

— Pardon de vous commander. Mais vous serait-il possible de me détacher ? Je comprends pourquoi et je ne vous en tiendrai pas rigueur.

Écarlate, Stjörkug s’empara de son couteau de chasse et trancha aussitôt les liens, le regard baissé.

— Mais enfin ! Pourquoi vous détournez-vous de ma personne ? Ne puis-je vous remercier comme il se doit ?

— Certainement, messire ! Cependant…

Bafouille, il revint avec une large chemise de laine et lui tendit.

— Merci, Stjör…

Mais elle n’acheva pas sa phrase, comme ses yeux découvrirent l’étoffe déchirée.

— Vous… vous… vous m’avez vu ! suffoqua-t-elle d’une voix blanche.

— Oui… madame, répliqua le jeune homme, délibérément de dos, face à la fenêtre.

— Stjörkug.

Sa colère était retombée et son ton s’était apaisé.

— Retournez-vous, je vous prie. Vous m’avez soigné et il serait malvenu de ma part que je vous en tienne grief. Toutefois, vous mériteriez que je vous donne un soufflet, si je n’étais pas aussi épuisée.

Piqué au vif, il se tourna et plongea son regard dans celui de la chevalière.

— Et la galanterie, alors ! s’offusqua-t-elle.

Mais Stjörkug n’ajouta rien et lui tendit un bol de gruau, mélangé à du miel. Ævintýri sembla hésiter puis s’en empara, avant de l’inviter à s’asseoir à côté d’elle.

— Vous me trouvez sans doute grossier et gauche. Cependant, vous êtes la première que je vois, murmura-t-il. Hier, vous vous êtes précipitée vers l’entrée et, alors que vous vous acharniez à en ôter les rochers qui l’obstruaient, une pierre s’est détachée et vous a assommé. Je vous ai ensuite ramené ici, aussi vite qu’il m’était permis. C’est en vous portant dans le lit que votre chemise s’est malencontreusement accrochée, avant de déchirer et ainsi dévoiler votre secret.

Ævintýri avait passé au-dessus de la sienne le lainage que lui avait confié Stjörkug et mangeait avec appétit les céréales qu’il avait préparées.

— Un secret… soupira-t-elle. En effet. Hélas, maintenant que le Drekung est parti, je ne puis m’en retourner chez moi.

— Pourquoi donc, s’enquit Stjörkug, étonné par semblable déclaration. De plus, pourquoi vous êtes-vous travestie ?

— Naïf que vous êtes, Stjörkug. La chevalerie est activité exclusivement réservée à la gent masculine. Quant à mon impossible retour, c’est là une bien longue histoire.

— Alors, narrez-la-moi, Ævintýri. Je vous en prie. Vous n’êtes pas encore rétablie et je dois vous veiller, au cas où votre état empirerait. Quand vous vous sentirez mieux, nous irons dehors ; je dois construire un enclos pour votre monture, avant qu’elle se décide à faire un sort à toutes mes provisions.

Le dos calé contre le mur, Ævintýri rit douloureusement, puis avala une nouvelle bouchée du gruau. Sa figure enflée avait bleui au-dessus de ses pommettes et son front avait pris une vilaine teinte violacée.

— À quoi est-ce que je ressemble ? Je suis hideuse, n’est-ce pas.

Une main tendue vers son visage, elle avait effleuré sa joue, puis l’avait retirée.


Texte publié par Diogene, 16 février 2020 à 08h34
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