Il ne fallut que quelques secondes à Uriel pour reconnaitre Michael tandis que ce dernier poussait la porte du bar en balayant la pièce de son regard aiguisé. La foule environnante, nombreuse à cette heure de la journée, le masquait en partie mais Michael dépassait l’essentiel d’entre eux d’une bonne tête, au moins. Si sa haute taille et sa stature imposante ne lui permettaient donc pas d’être discret, ce n’étaient pas ces détails qui permirent à Uriel une telle prouesse – les humains de très grande taille n’étaient pas si exceptionnels, surtout à cette époque. Ce n’était pas non plus ses autres caractéristiques physiques, plus communes encore ; les cheveux blonds n’étaient pas une rareté en Europe et le reste était difficile à voir depuis sa position. Ses ailes et son aura divine absentes, rien ne dénonçait sa véritable nature. Non, ce qui distinguait avant tout Michael des humains, c’étaient ses vêtements. Le terme de démodé ne suffisait pas à les décrire ; ils appartenaient à une toute autre époque. Uriel pinça les lèvres pour se retenir de pouffer. Renaissance, peut-être ? Michael devrait descendre sur Terre plus souvent, l’on ne s’habillait plus ainsi depuis longtemps, sauf en tant que déguisement ou dans une reconstitution ! En réalité, celui-ci le savait déjà, puisqu’il lui arrivait de porter des costumes trois-pièces, et cela ne changeait rien ; c’était juste son petit côté vieux jeu. Et puis, porter une veste plutôt épaisse par un temps aussi doux, dans un intérieur chauffé et avec un monde pareil… car il devinait déjà que Michael ne la retirerait pas, comme à chaque fois qu’ils se rejoignaient dans un bar ou dans une autre structure très fréquentée. Michael n’aimait pas s’en défaire, même pour être plus à son aise.

Dire que le Prince des Anges détonait parmi les clients était un doux euphémisme.

Le regard de Michael s’arrêta enfin sur Uriel. Celui-ci lui fit signe pour lui confirmer sa présence et l’Archange se dirigea aussitôt vers lui. Les humains se décalèrent à son passage sans qu’il n’eût besoin de dire quoique ce fût. De nombreuses paires d’yeux le suivirent durant son court trajet et des commentaires fleurirent sur son sillage. Tous, il les ignora. Lorsqu’il rejoignit son compagnon, ce dernier tentait d’étouffer le large sourire qui ornait ses lèvres. Michael ne manqua pas l’énième coup d’œil qu’il porta à sa cravate en dentelle et à ses braies.

– Toi aussi, alors, soupira Michael avec un dramatisme sur-joué, un faux air dépité sur le visage.

Uriel ne répondit pas et se mordit les joues pour museler son hilarité pendant que Michael s’asseyait près de lui. Autour d’eux, quelques humains, au bar ou attablés, jetaient encore à ce dernier des regards condescendants ou perplexes à la vue de sa tenue. Le principal concerné en avait conscience mais n’en avait cure ; au début, lui infliger de telles scènes avait mis Uriel mal à l’aise mais Michael l’avait assuré que cela ne le dérangeait pas. Selon lui, l’avis des humains ne lui importait pas et ce n’était certes pas pour profiter de leur compagnie qu’il venait en un tel endroit. Que s’il aimait y passer du temps pour être avec lui, il n’allait pas s’en empêcher à cause de broutilles aussi futiles.

Et qu’il ne changerait pas sa façon d’être s’il n’en avait pas envie pour le simple désir d’éviter leurs œillades inutiles.

Le regard d’Uriel s’attendrit tandis que Michael passait commande. Il savait que ce dernier n’aimait pas ce genre d’endroits, au contraire de lui-même. Qu’il ne s’y rendait que pour lui.